Si vous voulez en prendre plein les yeux, ne cherchez plus! Rendez-vous au MAD Paris (Musée des Arts Décoratifs de Paris) pour vous éblouir de la nouvelle exposition qui s’y tient depuis le 21 octobre dernier et jusqu’au 20 février 2022: Cartier et les arts de l’Islam – aux sources de la modernité.
En premier lieu, vous vous dites que cette exposition est dédiée aux initiés, que vous y connaissez peu de choses aux arts de l’Islam, et que Cartier, vous connaissez de nom mais ses bijoux vous restent pour la plupart inaccessibles. Et bien détrompez-vous ! A travers plus de 500 pièces -bijoux, objets, œuvres d’art, dessins, livres, photographies, documents d’archives-, et une superbe scénographie du cabinet d’architecte américain DS+R (Diller Scofidio + Renfro), didactique et réalisée avec pédagogie comme c’est toujours le cas aux MAD Paris, vous comprendrez facilement et avec émerveillement les influences des arts de l’Islam sur la création et la fabrication de bijoux et objets précieux de la Maison Cartier, du début du 20e siècle à aujourd’hui. Une influence qui donnera toute sa modernité à ce célèbre haut joailler.
A travers un parcours de visite court, thématique et chronologique, l’exposition revient, dans une première partie, sur l’histoire de la Maison Cartier, créée en 1847 par Louis-François Cartier dont le fils Alfred, et le petit-fils Louis, feront la renommée internationale ; et sur l’origine de l’intérêt pour l’art et l’architecture islamiques qui s’imposeront comme autant de nouvelles sources d’inspiration au début du 20e siècle.
Dans une seconde partie, vous découvrirez une magnifique et riche sélection de bijoux et de créations de la Maison Cartier illustrant le répertoire des nombreuses formes inspirées par les arts de l’Islam qu’elle a utilisé et utilise encore.
La Visite de l’exposition
Dès le début de l’exposition, en gravissant les quelques marches qui y conduisent, je me retrouve face à trois créations emblématiques de la Maison Cartier qui sont mises en regards d’œuvres d’art islamiques. La beauté de ces pièces donne le ton de ce qui va suivre!
Point Histoire ! Avant de pénétrer dans la première salle, je vous propose un point rapide et historique sur les débuts de la Maison Cartier. Après avoir débuté sa carrière de joailler chez Adolphe Picard qui lui cèdera son atelier en 1847, Louis-François Cartier (1819-1904) fonde sa propre entreprise spécialisée dans la vente de bijoux et objets d’art à laquelle il associe son fils Alfred (1841-1925) en 1872. L’aîné d’Alfred, Louis (1875-1942), qui s’associe à lui en 1898, fait déménager la Maison au 13 rue de la Paix en 1899, haut lieu de la mode et de la joaillerie parisiennes. C’est là, et surtout dans les années suivantes, que Cartier commence la création de bijoux en son nom propre, et que l’entreprise se dote d’un studio de dessinateurs, avant d’y installer un atelier de fabrication en 1929. Au début du 20e siècle, Cartier lance donc ses propres collections tout en continuant d’acheter et vendre des bijoux et objets d’arts : porcelaine de Sèvres, petits tableaux, bijoux indiens ou Renaissance…. Et œuvres islamiques. En 1902, la Maison prend une dimension internationale avec l’ouverture d’une filiale à Londres dirigée par Pierre, le deuxième fils d’Alfred ; et en 1909 une branche américaine est inaugurée à New York sous la direction de Pierre, Jacques, le troisième et dernier fils, prenant les rênes de la succursale londonienne. C’est aussi à cette période que l’intérêt de la famille Cartier pour les arts de l’Islam va commencer., et que leur collection va s'enrichir et influencer les créations de la Maison.
Après cette courte introduction à la Maison cartier, commençons la visite. La première partie de l’exposition rassemble des bijoux, des archives et objets invitant à explorer les processus de créations et les sources d’inspirations liées aux arts Islamiques. Pour information, on appelle à l’époque « arts islamiques » des savoir-faire et œuvres que l’on trouve de l’Espagne à l’Inde en passant, entre autres, par l'Iran.
Dès la première salle dédiée à la mode persane, devant les lampes, bouteilles ou tapisseries anciennes qui s’y trouvent, je comprends que dès la fin du 19e siècle, naît à Paris un certain attrait pour l’art oriental entrainant la création d’un marché de l’art spécifique. Cet intérêt s’accentue dans les années 1910 avec la mise en vente et la diffusion des plus belles pages de livres persans et indiens, et l’organisation de plusieurs expositions, en France et en Europe, dédiées aux arts d'Islam. Celle de 1912, organisée au Musée des Arts Décoratifs, présente des « miniatures persanes » et attire la haute société parisienne et le monde artistique de l’époque qui va se saisir et s’inspirer de ces arts persans et indiens, colorés et inédits en Europe. On retrouve cette influence à l'époque, par exemple, chez des créateurs de mode comme Paul Poiret. C’est à cette période que Louis Cartier commence à collectionner les œuvres d’art islamiques qui lui inspireront rapidement de nouvelles créations.
Je poursuis ensuite la visite par une succession de pièces où sont présentées une multitude d’archives, de livres, d’objets ou de bijoux aussi beaux que passionnants. Il s’agit ici de superbes ouvrages issus de la bibliothèque personnelle de Louis Cartier (livres, pages d’illustrations), d’objets de sa collection privée (céramiques, porte-plumes, poignards, bijoux) ou encore de dessins inspirés d’œuvres islamiques et réalisés par Charles Jacqueau, alors dessinateur pour la Maison Cartier.
On y trouve aussi une collection de photographies réalisées en Inde par Jacques Cartier, alors qu’il est invité à Dehli en décembre 1911 pour le couronnement du roi Georges V et de la reine Mary d’Angleterre comme empereur et impératrice des Indes. Jacques rencontrera là-bas des maharadjahs, qui deviendront des clients et à qui il achètera aussi des bijoux orientaux anciens, mais aussi des marchands de pierres précieuses et de perles. Il faut savoir que jusque-là, le Royaume-Uni gérait le commerce des pierres précieuses indiennes ou des perles du Golfe persique, notamment du Bahreïn. Jacques a alors l’idée de faire affaire directement avec les marchands de ces régions pour mieux en contrôler les prix et surtout pouvoir revendre librement pierres et perles en Europe. Paris devient ainsi dans les années 1920 la capitale de la perle.
Tous ces objets importés et collectionnés par la famille Cartier sont ici mis en regard de bijoux et objets qu’ils ont inspirés à la Maison de haute joaillerie qui les exposera et les proposera à ses clients. Des bijoux originaux intégralement imaginés de toute pièce ou, pour certains, réalisés à partir d’éléments d’autres bijoux ou objets existants. En effet, j’apprends ici que dès les années 1920-1930, Cartier utilise ce qu'on appelle des "apprêts orientaux". Pour information, en haute joaillerie, les apprêts sont les éléments ajoutés traditionnellement après le travail du joailler (bracelet de montre, fermoirs etc…). Ici, on parle d’apprêts orientaux pour qualifier des parties plus ou moins grandes issues de pièces (bijoux ou objets) rapportées d’Inde ou d’Iran que le joailler va décomposer pour, soit recomposer un nouveau bijou, soit les incorporer dans une nouvelle création. Quoi qu’il en soit, je dois, en tous les cas, avouer que déjà à ce stade de l’exposition, je suis émerveillé par la richesse des pièces présentées. Et ça n’est pas fini !
La richesse des collections accumulées par Louis et Jacques Cartier, que l’on peut voir rassemblées pour la première fois dans cette exposition, contribuent au renouvellement créatif de la Maison qui propose ainsi de nouvelles formes ou de nouvelles pièces d’inspirations orientales : les aigrettes, ces bijoux orné de plumes qui surmontent les turbans des souverains indiens et iraniens, les pompons, ces motifs utilisés en passementerie depuis le 17e siècle et qui sont ici réalisés en perles ou en métaux précieux pour agrémenter les bijoux (notamment les sautoirs) ; ou encore Bazubands, ces bracelets portés en haut du bras par des personnages de haut rang en Inde et en Iran, réalisés avec une technique qui apporte une nouvelle forme de souplesse aux bijoux dont va s’inspirer Cartier pour créer des pendentifs, montres, colliers ou autres ornements de corsage.
Avec l’étude de l’art islamique et l’inspiration qu’elle trouve dans ces objets, la Maison Cartier va donc innover à la fois en termes de création mais aussi de technique pour se développer et atteindre la renommée internationale qu’elle connaît dans la première moitié du 20e siècle et jusqu’à aujourd’hui.
La première partie de l’exposition se termine ainsi et je commence la visite du second volet consacré aux formes inspirées des arts de l’Islam qui ont marqué les collections de la Maison. Je découvre alors une série de pièces qui ouvrent cette section qui regroupe plus particulièrement des créations originales imaginées par la Maison. Ces bijoux (colliers, devants de corsage, broches, diadème) sont de style "guirlande". Un style inspiré de ceux de Louis XV et Louis XVI, avec notamment des enroulements végétaux, et agrémenté ici d’une touche de modernité avec des motifs géométriques évoquant les dessins arabes et orientaux issus des collections islamiques de Cartier. Tout en diamants et platine, ces bijoux sont incroyables de brillance et de détails.
Au fil de l’exposition, je découvre d’autres formes d’inspirations qui prennent leur origine dans les arts de l’Islam et qui, par une adaptation moderne et talentueuse des dessinateurs et artisans de la Maison Cartier, deviennent de vrais chefs-d’œuvre de préciosité. Parmi les motifs, on retrouve ainsi:
Jeux de briques : des bijoux ornés d’une alternance de pierres colorées et non colorées, inspirés des décors architecturaux iraniens.
Textiles : des motifs inspirés de fragments de textiles iraniens du 17e siècle repris sur les objets et bijoux.
Le boteh : ce motif d’origine persane, apparu en Afghanistan dès le 9e siècle, a l’apparence d’une goutte à l’extrémité recourbée. On retrouve cette forme dans de nombreux bijoux Cartier, au début du 20e siècle comme dans une époque plus contemporaine.
Le motif « S » : le « S » est présent dans l’art islamique sous forme de nuages, notamment en Iran. On le retrouve par exemple sur des bordures de tapis. Il sera également repris chez Cartier.