LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE : TRÉSOR DU SAVOIR AU CŒUR DE L’INSTITUT DE FRANCE
- Igor Robinet-Slansky
- 3 sept.
- 8 min de lecture

Nichée au sein du prestigieux Institut de France, à deux pas de la Seine, en face du Louvre et du Pont des Arts, la Bibliothèque Mazarine, surnommée La Mazarine, est à la fois la plus ancienne bibliothèque publique de France et l’un des joyaux les plus méconnus du patrimoine intellectuel parisien.
En franchissant ses portes, on découvre bien plus qu’un lieu de consultation : un véritable sanctuaire du livre, à la croisée de l’histoire, de l’architecture savante et de la mémoire académique française. De ses origines sous l’impulsion du cardinal Mazarin au 17e siècle à son rôle contemporain, en passant par l’exploration de ses salles somptueuses, je vous emmène à la découverte d’un lieu fascinant que l’on peut aujourd’hui admirer dans le cadre de visites guidées.
UNE BIBLIOTHÈQUE CRÉÉE PAR LE CARDINAL MAZARIN
La Bibliothèque Mazarine doit son nom et sa création au cardinal Jules Mazarin (1602–1661).
LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE : AMBITION D’UN MINISTRE BIBLIOPHILE
Les origines de la Bibliothèque Mazarine remontent à la première moitié du 17e siècle, à une époque où les bibliothèques restaient majoritairement privées, jalousement gardées par les érudits, les aristocrates ou les institutions religieuses.
À contre-courant, le cardinal Jules Mazarin, successeur de Richelieu et principal ministre durant la minorité de Louis XIV (règne 1643-1715), décide d’ouvrir au public sa bibliothèque personnelle dès 1643. Installée dans son hôtel particulier - futur site de la Bibliothèque nationale de France - elle devient la première bibliothèque publique de France, accessible aux savants et chercheurs.
Mazarin confie alors son projet à un homme de confiance et de science : Gabriel Naudé (1600-1653), médecin, érudit et auteur du premier traité moderne de bibliothéconomie (Advis pour dresser une bibliothèque, 1627). Grâce aux moyens considérables mis à sa disposition, Naudé constitue en quelques années la bibliothèque privée la plus riche d’Europe : de 5 000 ouvrages au départ, elle atteint rapidement 40 000 volumes à une époque où la Bibliothèque royale n’en comptait que 20 000. Il achète des fonds complets, négocie avec des libraires, part en quête d’ouvrages à l’étranger, et mobilise des diplomates, des savants, voire des officiers.
Mais en entre 1648 et 1652, pendant la Fronde - période de troubles et de révolte d’une partie de la noblesse contre le pouvoir royal - Mazarin est contraint de fuir Paris. Une partie de ses biens sont saisis, et sa bibliothèque est dispersée lors de ventes publiques. Déterminé à la faire renaître, le cardinal reconstitue une grande partie du fonds dès son retour au pouvoir, avec l’aide du successeur de Naudé, François de La Poterie.
Pour garantir sa pérennité, Mazarin décide peu avant sa mort de rattacher sa bibliothèque à l’institution d’enseignement qu’il vient de fonder : le Collège des Quatre-Nations, destiné à accueillir soixante élèves issus de quatre territoires récemment annexés au royaume (l’Alsace, le Roussillon, les Flandres et Pignerol, en Piémont).
LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE APRÈS MAZARIN
En 1668, la bibliothèque cède ses manuscrits les plus précieux à la Bibliothèque du Roi. En 1689, elle ouvre ses portes dans le bâtiment conçu par Louis Le Vau pour le Collège des Quatre-Nations, au bord de la Seine (actuel quai de Conti), et devient la première bibliothèque publique de France.
Pendant la Révolution, le collège est supprimé, mais la bibliothèque est maintenue en activité grâce à son caractère public. Elle est même enrichie de manière spectaculaire par les confiscations révolutionnaires : plusieurs milliers d’ouvrages provenant d’abbayes, de chapitres religieux et de bibliothèques aristocratiques viennent compléter ses collections.
Le bibliothécaire de l’époque, l’abbé Gaspard Michel (dit Leblond), joue un rôle crucial dans cette sauvegarde et cette expansion. Manuscrits médiévaux, incunables (livres publiés avant l'invention de l'imprimerie), ouvrages rares issus de Saint-Germain-des-Prés, Saint-Victor ou encore des Jacobins de Saint-Honoré intègrent ses rayons.
Depuis, la Bibliothèque Mazarine n’a cessé de se développer, poursuivant une politique documentaire tournée principalement vers les sciences historiques. Elle bénéficie du dépôt légal, de dons prestigieux, et reste fidèle à sa double vocation : un lieu de conservation patrimoniale et une bibliothèque d’étude.
En 1945, elle est officiellement rattachée à l’Institut de France, qui occupe les bâtiments de l'ancien Collège des Quatre-Nations depuis le début du 19e siècle.
Restaurée entre 1968 et 1974, sa grande salle de lecture a conservé l’atmosphère solennelle des bibliothèques du Grand Siècle, avec ses boiseries anciennes, ses colonnes classiques et ses rangées infinies d’ouvrages. Aujourd’hui encore, elle est ouverte à tous : chercheurs, étudiants, passionnés de livres ou simples curieux, dans le respect du calme nécessaire au travail. Trois siècles et demi après sa fondation, la Bibliothèque Mazarine conserve environ 600 000 documents, et demeure un lieu de recherche vivant, tout en s’ouvrant de plus en plus au grand public.
Parmi les œuvres remarquables :
Une Charte du IXe siècle : le plus ancien document conservé dans les collections de la Mazarine, témoin de l’histoire administrative et juridique carolingienne.
Des Livres d’heures enluminés, manuscrits liturgiques et scientifiques datant du Moyen Âge.
Un exemplaire de la Bible de Gutenberg (vers 1455), premier livre imprimé en Europe à l’aide de caractères mobiles - pièce emblématique de l’histoire de l’imprimerie.
Incunables (livres imprimés avant 1501) : la bibliothèque en conserve plusieurs centaines, couvrant divers champs du savoir humaniste.
Éditions rares du 16e au 17e siècle en philosophie, sciences, théologie, droit, littérature, etc.
Ouvrages orientaux, classiques et humanistes, témoins des acquisitions internationales opérées dès le 17e siècle.
Le globe de Coronelli : grand globe terrestre de Vincenzo Coronelli, géographe vénitien du 17e siècle.
Un document autographe de Léonard de Vinci : un feuillet manuscrit écrit de sa célèbre écriture spéculaire, de droite à gauche.
L’INSTITUT DE FRANCE : UN CADRE ACADEMIQUE PRESTIGIEUX
La bibliothèque Mazarine est intégrée à l’Institut de France, l’une des plus anciennes institutions savantes du pays, fondée pendant la Révolution en 1795 par la Convention nationale dans le but de rassembler les différentes académies de l’Ancien Régime au sein d’un même organisme.
LES MISSIONS DE L’INSTITUT DE FRANCE
L’Institut de France regroupe aujourd’hui cinq académies prestigieuses : l’Académie française (fondée en 1635 par Richelieu), l’Académie des inscriptions et belles-lettres (1663), l’Académie des sciences (1666), l’Académie des beaux-arts (1816, issue de la fusion de plusieurs académies d’art plus anciennes) et l’Académie des sciences morales et politiques (créée à la Révolution, supprimée sous l’Empire, rétablie en 1832 par Guizot, ministre de Louis-Philippe). Ensemble, elles forment un creuset de savoirs couvrant la langue, l’histoire, les sciences exactes et humaines, les arts et les débats de société.
L’Institut est chargé de soutenir la recherche, d’attribuer des prix scientifiques et littéraires, d’administrer des fondations et de conseiller les pouvoirs publics. Il joue aussi un rôle patrimonial important, en veillant sur une dizaine de bibliothèques et plusieurs musées.
DU COLLÈGE DE FRANCE À L’INSTITUT DE FRANCE
Depuis 1805, l’Institut de France est installé dans l’ancien collège des Quatre-Nations, un majestueux bâtiment du 17e siècle édifié entre 1662 et 1688 par l’architecte Louis Le Vau à la demande du cardinal Mazarin, principal ministre et parrain du jeune roi Louis XIV. Dans son testament, ce dernier, mort le 9 mars 1661, avait ordonné la création d’un collège destiné à accueillir soixante jeunes nobles issus de quatre provinces récemment rattachées à la couronne de France, l’Alsace, le Roussillon, les Flandres et Pignerol (en Piémont), parfois appelées les « quatre nations étrangères » du royaume.
Conçu comme un geste politique autant qu’un acte philanthropique, ce collège témoigne de la volonté d’unifier le royaume par l’éducation. Son plan en hémicycle s’organise autour d’une majestueuse coupole - aujourd’hui emblématique de l’Institut – qui servait alors de chapelle et qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est pas ronde mais ovale. C’est aujourd’hui la salle des séances des Académies.
À la Révolution, les collèges sont supprimés et les bâtiments confisqués. L’Institut de France investit les lieux à partir de 1805, y établissant ses services, ses académies et ses bibliothèques. L’ex-collège des Quatre-Nations devient ainsi un haut lieu de la vie intellectuelle française, perpétuant l’idéal de diffusion des savoirs cher à Mazarin qui est, quant à lui, inhumé à proximité de la coupole.
UNE SECONDE BIBLIOTHÈQUE : LA BIBLIOTHÈQUE DES ACADÉMIES
Moins connue que la Bibliothèque Mazarine dont elle est voisine, la bibliothèque de l’Institut de France joue pourtant un rôle essentiel. Créée en 1795 en même temps que l’Institut, dans le sillage de la Révolution française, elle est conçue dès l’origine comme la bibliothèque commune aux cinq académies réunies sous la Coupole.
Installée depuis 1806 dans une galerie qui servait autrefois d’entrée aux étudiants du Collège des Quatre-Nations, elle accueille des collections d’une richesse exceptionnelle : environ 600 000 imprimés, manuscrits, cartes, estampes, dessins, photographies, objets et médailles. Parmi ses trésors, elle conserve une partie des ouvrages et documents issus de la bibliothèque de Milan, confisqués par Napoléon et offerts à l’Institut.
Elle remplit une double mission : être à la fois outil de travail pour les académiciens et lieu de mémoire de l’institution. Elle conserve les publications des membres, les travaux des académies, les écrits critiques ou biographiques qui leur sont consacrés, et enrichit régulièrement ses fonds par acquisitions, dons ou legs.
Véritable bibliothèque patrimoniale de recherche, elle témoigne de l’histoire intellectuelle de la France moderne et contemporaine tout en continuant d’accompagner la production savante actuelle.
UNE ARCHITECTURE SAVANTE, PENSÉE POUR LE LIVRE
Au-delà de leur histoire, il est intéressant de s’attarder sur la beauté de l’architecture et des décors des bibliothèques de l’Institut de France.
L’ARCHITECTURE DE LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE : GRANDEUR CLASSIQUE ET USAGE SAVANT
La Bibliothèque Mazarine occupe depuis 1689 l’aile ouest du Collège des Quatre-Nations, édifié par Louis Le Vau entre 1662 et 1688 sur ordre du cardinal Mazarin. Dès sa conception, le bâtiment intègre une salle destinée à accueillir la bibliothèque, au-dessus des écuries : une grande galerie rectangulaire, aux dimensions imposantes, pensée pour permettre un accès direct aux ouvrages et favoriser la consultation. Elle rompt ainsi avec l’usage des cabinets fermés et étroits de l’époque où les livres étaient confinés.
À l’origine voûtée, cette salle est modifiée au 18e siècle : le plafond est abaissé et un balcon est ajouté pour répondre à l’accroissement des collections. Le décor intérieur, sobre mais solennel, met en valeur les colonnes d’ordre composite, les emblèmes du cardinal (le faisceau des licteurs, protecteurs des magistrats de la Rome antique), et la régularité des boiseries. Cette architecture exprime une volonté inédite à l’époque : faire du livre un bien commun, accessible, mis en scène dans un espace à la fois monumental et fonctionnel.
En 1824, l’architecte Léon Biet crée l’escalier d’honneur néo-classique que l’on emprunte pour accéder à la bibliothèque.
LA BIBLIOTHÈQUE DE L’INSTITUT : UNE GALERIE SAVAMMENT TRANSFORMÉE
La bibliothèque de l’Institut de France occupe une galerie longeant la façade est du Palais, qui servait autrefois de couloir d’accès aux salles de cours du Collège des Quatre-Nations. Cet espace a été transformé en une vaste salle de lecture et de travail.
Le décor mêle le néoclassicisme à des innovations techniques discrètes : les colonnes en fonte, creuses, servent de chauffage central, et sont complétées par des chaufferettes dissimulées sous les tables ; les pieds de table en bois imitant le bronze représentent des griffons qui évoquent la noblesse des arts et des lettres. Ce subtil mélange d’apparat et de fonctionnalité illustre la mission de la bibliothèque : servir le savoir tout en affirmant le prestige de l’Institut.
VISITER LA BIBLIOTHÈQUE MAZARINE : UN LIEU VIVANT AU SERVICE DE LA MÉMOIRE ET DU SAVOIR
Plus qu’un musée du Livre, la Bibliothèque Mazarine est un lieu vivant, où lecteurs et chercheurs viennent encore quotidiennement puiser dans un fonds exceptionnel. Sa mission reste fidèle à celle de Mazarin et de Gabriel Naudé : rassembler, préserver et diffuser le savoir. Aujourd’hui, elle conjugue tradition et modernité, en numérisant ses collections, en ouvrant ses portes à de nouveaux publics, et en perpétuant l’idéal humaniste de ses fondateurs.
VISITE LIBRE DANS LA GRANDE GALERIE
La Bibliothèque Mazarine se visite librement, du lundi au samedi de 10h à 18h. L’accès se fait par un escalier de 44 marches, au sein de l’Institut de France. Chaque visiteur reçoit un badge, et il est demandé de respecter le calme nécessaire aux lecteurs. Des livrets de visite sont disponibles à l’accueil, notamment pour les jeunes publics.
Plus d’informations sur le site de la Bibliothèque Mazarine.
VISITES GUIDÉES : À LA DÉCOUVERTE DES SECRETS DU LIEU
Pour aller plus loin, la bibliothèque propose des visites guidées gratuites, d’environ 1h30, conduites par un conservateur. Elles sont l’occasion d’explorer l’histoire du lieu, de découvrir son fonctionnement, son décor et ses pièces rares, et d’accéder à des espaces parfois fermés au public. Ces visites sont annoncées sur le site officiel et se déroulent en fin de journée.
Réservations sur le site de la Bibliothèque Mazarine.
SOURCES




























































































































