Si je vous dis Dame Blanche et Chantilly, vous pensez certainement à une délicieuse coupe de glace? Et bien méfiez-vous, car en cette saison d’Halloween propice aux frissons, la Dame Blanche de Chantilly fait aussi référence au spectre de Louise de Budos (1575-1598), seconde épouse d'Henri Ier de Montmorency (1534-1614), Connétable de France - et propriétaire du domaine de Chantilly. Une jeune femme décédée à l’âge de 23 ans dans d’étranges circonstances au château et qui, dit-on, hanterait encore les lieux.
Là, certaines nuits, on l’apercevrait vêtue de blanc ou de ses anciens vêtements, se tenant à la fenêtre du cabinet des Armes (C'est, a priori, aujourd'hui ce qu'on appelle le cabinet des Gemmes) où elle a été retrouvée morte le 26 septembre 1598. On dit qu’elle surveillerait les habitants et les visiteurs du château pour les avertir d‘événements tragiques à venir.
L’ÉTRANGE DESTIN DE LOUISE DE BUDOS, LA DAME BLANCHE DE CHANTILLY
Louise de Budos, née le 13 juillet 1575, est la fille de Jacques de Budos, vicomte de Portes, et de Catherine de Clermont-Montoison. À 16 ans, elle épouse Jean de Gramont, seigneur de Vachères, qui décède l’année suivante. Veuve à seulement 18 ans, elle se remarie en 1593 avec Henri Ier, duc de Montmorency, seigneur de Chantilly et d'Écouen, de 41 ans son aîné.
Ce mariage soudain surprend beaucoup les contemporains. Bien sûr, Henri 1er de Montmorency a pu tomber amoureux de cette charmante jeune fille qui vit avec sa mère dans le château de Pézenas où le duc, ancien gouverneur du Languedoc, habite encore – les deux femmes étaient au service de sa défunte épouse Antoinette de La Marck. Mais la rapidité avec laquelle il se marie avec Louise est troublante, et on raconte alors que leur mariage est scellé par un sort, en lien avec l’étrange histoire d’une bague enchantée.
LA BAGUE ENSORCELÉE
Selon la légende rapportée par le duc de Saint-Simon (1675-1755), célèbre mémorialiste de la fin du règne de Louis XIV et de la Régence, un jour qu’elle se balade avec sa mère aux abords du château de Pézenas, Louise aurait été interpelée par une pauvre femme accompagnée d’un enfant. Cette dernière faisait l’aumône pour nourrir son petit. Si sa mère refuse de lui donner quoi que ce soit, Louise, sensible au sort de la malheureuse, lui donne volontiers une pièce. En remerciement de sa bonté, la mystérieuse femme lui offre une petite bague en lui demandant de la passer au doigt du connétable, précisant qu’ainsi, elle trouvera le bonheur.
Étonnée, mais aussi intriguée, Louise de Budos réussit à glisser l’anneau au doigt du duc de Montmorency qui se serait alors immédiatement épris de la jeune femme. Porté par une passion aussi soudaine qu’inexplicable, Henri 1er épouse ainsi Louise le 15 mars 1593.
Malgré le caractère quelque peu fantastique de leur mariage, cette union est très heureuse. Louise a deux enfants : une fille, Charlotte Marguerite (1594-1650), qui sera un temps l’amante d’Henri IV (comme sa mère d’ailleurs) avant d’épouser Henri II de Bourbon-Condé, Prince de Condé ; et un fils, Henri II de Montmorency (1595-1632).
LA MALÉDICTION DE L’ANNEAU DE LA CONNÉTABLE
Le bonheur de Louise et Henri 1er de Montmorency ne va malheureusement pas durer. Cinq ans après leur mariage, Louise meurt brutalement dans des circonstances troublantes, le 26 septembre 1598 au château de Chantilly où elle réside alors avec son mari.
Que s’est-il passé ? Plusieurs événements étranges semblent s’être enchaînés avant cette mort soudaine. Ainsi, la veille, alors qu’ils se promènent dans les jardins de Chantilly, sa tante, Laurence de Clermont-Montoison (1571-1564), accompagnée du comte de Cramail, disent avoir aperçu Louise en pleine discussion avec un homme à la silhouette énigmatique, vêtu de noir.
Intrigués, ils ne posent cependant pas de question ce soir-là, ni le lendemain quand le même homme se présente au château pour s’entretenir de nouveau avec la jeune femme. Cette dernière leur demande d’ailleurs expressément de les laisser seuls dans le cabinet des armes où ils auraient des affaires à régler.
La soirée se passe ainsi sans qu’on ne voie revenir Louise. Au bout de quelques heures, inquiets, le comte de Cramail et Laurence de Clermont-Montoison décident de monter jusqu’à la porte du cabinet, d’où ils n’entendent plus aucun bruit. Écoutant leur instinct, et contre l’avis de Louise, ils décident de pénétrer dans la pièce. À peine entrés, ils sont envahis par une odeur étrange de soufre et, horrifiés, ils découvrent le corps inerte de Louise, étendue au sol, le cou tordu et le visage entièrement tourné vers le dos.
C’est alors que, comme poussée par une force surnaturelle, Laurence de Clermont-Montoison se jette sur le corps de sa nièce pour récupérer la bague que le connétable lui avait rendu, avant de la glisser à son propre doigt. Pourquoi ce geste ? Laurence ne le sait pas bien, mais il s’avère qu’Henri 1er de Montmorency, qui est alors dévasté par la mort de sa femme, va étrangement se rapprocher de la tante de cette dernière qu’il n’avait pourtant jamais réellement porté dans son cœur. Un rapprochement tel que trois ans plus tard, en 1601, il la demande en mariage.
L’union du duc de Montmorency, 67 ans, et de Laurence de Clermont-Moison (1571-1654), âgée de 30 ans, surprend toutes celles et ceux qui les connaissent, et au-delà. La jeune épouse est elle-même surprise par l’intérêt soudain du connétable pour sa personne, et après réflexion, elle soupçonne la bague récupérée des mains de sa nièce d’en être la raison. Rongée par le remords, elle décide d’en parler à son mari. Mais ce-dernier la prend pour une illuminée et, se moquant d’elle, lui propose, en riant, de se débarrasser de la bague pour voir ce qu’il se passera.
À cette époque, le couple habite son château d’Écouen. C’est donc ici, dans les jardins de cette résidence où elle se promène, que Laurence, de plus en plus tourmentée par la situation, finit par jeter la bague ensorcelée. On raconte qu’à cet instant, le connétable aurait retrouvé comme par magie ses esprits, et répudié sa nouvelle épouse. Il aurait aussi immédiatement fait d’Écouen son lieu de résidence favori. Qu’on y croit ou non, on sait historiquement que ce mariage n’était pas heureux, et qu’après avoir échoué à l’annuler, le duc a très vite envoyé son épouse vivre loin de lui.
Quoi qu’il en soit, entre le mariage rapide de Louise avec le connétable juste après avoir reçu l’étrange bague, sa disparition mystérieuse après l’avoir récupérée, et l’union inattendue puis la séparation tout aussi rapide de sa tante, la légende de l’anneau magique qui fait et défait les histoires d’amour s’est peu à peu répandue. On commence alors à raconter que la bague de Louise de Budos est maudite et qu’elle n’apporte que mort et folie.
L’APPARITION DE LA DAME BLANCHE DE CHANTILLY
À la légende de la bague ensorcelée s’ajoute bientôt celle du fantôme de Louise de Budos, aussi nommé le fantôme de la Connétable ou de la Dame Blanche. Certains l’auraient en effet aperçue à la fenêtre du cabinet d’armes du château de Chantilly, vêtue des habits qu’elle portait le jour de sa mort. On dit même que chacune de ses apparitions annoncerait le décès d’un seigneur de Chantilly.
À ce propos, il faut savoir qu’au 17e siècle, après les ducs de Montmorency, ce sont les princes de Condé qui vont devenir les nouveaux seigneurs de Chantilly. En effet, le château et son domaine seront réquisitionnés par Louis XIII en 1632, lorsqu’Henri II de Montmorency, fils d’Henri 1er et de Louise, se révolte contre le pouvoir du roi. Henri II sera ainsi décapité à Toulouse, et avec lui s’éteint la dynastie des Montmorency.
Mais en 1643, le neveu et héritier d’Henri II de Montmorency, Louis II de Bourbon-Condé, 4e prince de Condé et cousin de Louis XIV, mène la France à la victoire lors de la bataille de Rocroy. En remerciement, Anne d’Autriche, alors régente du Royaume de France, rend Chantilly aux héritiers des Montmorency, et donc à Louis II qu’on appelle désormais le Grand Condé.
Si elle ne semble pas s’être manifestée pour annoncer la mort d’Henri II de Montmorency, la Connétable apparaîtra cependant peu avant la disparition du nouveau seigneur des lieux, Louis II de Bourbon-Condé. L’affaire, relatée par la célèbre Madame de Sévigné, dit que trois semaines avant la mort du Grand Condé à Fontainebleau, le 11 décembre 1686, son écuyer, un certain Vernillon, aurait aperçu la Connétable à la fenêtre du cabinet des armes. Intrigué, il y serait alors monté avec son valet pour vérifier la présence ou non de la Dame Blanche. Mais une fois arrivé, il n’aurait pu que constater que la pièce était vide et que toutes les fenêtres étaient fermées.
Rien n’indique que le fantôme de Louise n’ait prédit d’autres morts, mais, les siècles passant, la légende de la Dame Blanche a persisté. Certains affirment encore sentir une odeur de soufre dans les coins sombres du château, en particulier dans le cabinet des armes, tandis que d’autres racontent avoir aperçu une silhouette blanche surplombant les jardins à la tombée de la nuit.
Est-ce l’esprit de Louise de Budos qui erre, ou une simple histoire née pour effrayer les curieux ? Le secret reste entier. Un secret que seuls les murs du château de Chantilly pourraient révéler. En attendant, pensez-y lors de votre prochaine visite, notamment quand vous entrerez dans le cabinet des armes !
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