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Photo du rédacteurIgor Robinet-Slansky

ANECDOTE: LES ROIS SE LAVAIENT-ILS?

L’été se prolonge, il fait chaud, on transpire, et dans ce cas, quoi de mieux qu’une douche ou un bain rafraîchissants? Mais qu’en était-il sous l’Ancien Régime? Les rois et les nobles étaient-ils réticents à l’idée de se laver, comme on l’entend souvent? Et au final, le roi et sa famille se lavaient-ils?


On le sait, les bains étaient communs dans l’Antiquité gréco-romaine. Mais la chute de l’Empire Romain d’Occident au 5e siècle et la puissance grandissante de l’Église vont bouleverser les habitudes. La religion chrétienne voit en effet les bains, souvent pris en commun, comme des lieux de débauche où l’on se montre nu à la vue de tous les regards. Or la nudité est alors assimilée au péché originel.


Pour autant, le Moyen-Âge, qui a souvent mauvaise réputation, reste une période où l’on se lave régulièrement. Ainsi, il n’est pas rare que la population se baigne au ruisseau ou, de façon plus sporadique, dans une bassine d’eau froide, et parfois même chaude et parfumée: un demi-tonneau à demi-rempli (l’eau est précieuse) pour les plus pauvres, un baquet capitonné pour les plus riches. Par ailleurs, on se passe quotidiennement de l’eau sur le visage au réveil, tout comme on se lave les mains avant chaque repas -il faut dire aussi qu’on mange sans couverts la plupart du temps.


Dans les châteaux ou chez les nobles, on possède même parfois des «salons d’eau» ou des pièces dédiées au bain où l’on peut recevoir. L’eau courante peut y être obtenue par gravité depuis des cuves ou des citernes de récupération des eaux de pluie. A la fin du 13e siècle, des bains publics -ou étuves publiques- ouvrent également pour ceux qui n’ont pas de baignoire chez eux; et même si l’entrée reste onéreuse et qu’on préfère parfois la rivière, la population aime se rendre aux bains. On s’y baigne nu, dans des cuves habillées d’une toile de lin changée entre chaque client, et on peut aussi s’y faire masser, coiffer, raser ou épiler, tandis que des repas y sont également souvent proposés.


Mais dès le début de la Renaissance, au 15e siècle, ces bains vont souffrir d’une mauvaise réputation: la prostitution y est fréquente, et l’eau va être accusée -à raison parfois- de véhiculer les épidémies de peste ou de syphilis. La morale chrétienne, également, va condamner ces lieux de nudité collective considérés comme diaboliques. Même si l’on sait que François 1er prenait des bains -notamment à Fontainebleau où est construite une galerie des Bains avec eau chaude et eau froide sous sa célèbre galerie éponyme- on sait aussi que plus tard, la population comme les nobles vont perdre l’habitude de se laver à l’eau. A la fin du 16e siècle, la reine Margot, fille de Catherine de Médicis, comme le roi Henri IV, par exemple, ne se laveront que très rarement et seront même fiers de leurs odeurs corporelles.

Il faut dire que l’eau est suspectée de faciliter la transmission des épidémies, ce qui n’est pas faux puisqu’elle est souvent sale et impropre à la consommation. On pense aussi à cette époque qu’en se lavant à grandes eaux, les pores vont se dilater et que la peau va devenir plus perméable aux impuretés et donc laisser s’infiltrer les maladies. Une partie de la population croit même que la pellicule de crasse les protège. Et puis, encore une fois, le bain est synonyme de corps nu et de sensualité, bannie par l’Église!


C’est pourquoi les médecins vont prescrire la toilette sèche où l’on va se frictionner avec des linges humides et où l’on nettoie les parties apparentes de son corps à l’alcool. D’ailleurs, à cette époque, et en particulier chez les nobles et dans la famille royale, ce n’est pas la propreté qui compte, mais la netteté. L’apparence compte plus que tout: les tenues doivent être richement décorées, d’allure luxueuse et toujours propres; les chemises, les manches et les cols doivent rester blancs -on peut ainsi en changer plusieurs fois par jour si nécessaire-, et on se farde de crème, de poudre et de maquillage pour masquer ses défauts, comme on se parfume à outrance pour cacher ses odeurs.


C’est dans ce contexte que naît Louis XIV le 1er septembre 1638. Cependant, quoi qu’on en dise, la légende selon laquelle le Roi Soleil n’aurait pris qu’un seul bain dans sa vie est fausse. Même s’il n’était pas le roi de la baignade et qu’il n’aimait pas beaucoup les bains en intérieur comme cela recommençait à se faire alors, Louis XIV aimait se baigner dans les rivières et a sûrement dû prendre plusieurs bains. À la fin du 17e siècle, il fait d’ailleurs bâtir un appartement des Bains au rez-de-chaussée de l’aile nord du corps central du château de Versailles pour s’y délasser avec sa favorite Madame de Montespan. On y trouvait notamment un cabinet des Bains avec trois baignoires, dont l’une pouvait accueillir plusieurs personnes. Disparu, il se trouvait en lieu et place des actuels appartements de Mesdames Victoire et Adélaïde, les filles de Louis XV. Il ne reste aujourd’hui qu’une baignoire conservée dans l’Orangerie du château.

Par ailleurs, la famille royale est réputée pour être la famille la plus propre du royaume, même si leurs standards ne sont pas les nôtres. Ainsi, dès le réveil, le corps du roi est frotté avec un linge imbibé d’eau tiède ou d’esprit-de-vin, c’est à dire d’alcool. Cette toilette quotidienne est aussi répétée après la chasse ou toute activité physique. Il se lave également les mains avant et après chaque repas, et change de chemise blanche à chaque fois qu’il a transpiré ou qu’il s’est sali pour garantir la netteté de son apparence. Pour le reste des membres de la famille royale, le rituel est similaire, même s’il peut aussi leur arriver de faire installer ponctuellement dans leur chambre ou leur garde-robe une baignoire mobile afin de profiter d’un bain.

Quoi qu’il en soit, vous l’aurez compris, si Louis XIV n’est pas aussi sale qu’on le prétend, l’utilisation de l’eau et du bain dans le quotidien n’est pas son fort ni celui des nobles de l’époque. Il faut attendre le 18e siècle et le règne de Louis XV pour que les choses commencent à évoluer.


C’est en effet sous son règne, entre 1715 et 1774, que l’on va créer des salles dédiées au bain, d’abord dans les appartements, royaux et princiers. Ces salles de bains présentent une baignoire fixe avec l’arrivée d’eau froide et d’eau chaude, distribuée grâce à un système d’eau courante issue de cuves chauffées, ou non, situées au-dessus. Attenantes à la salle des Bains, on trouve également presque toujours une ou deux pièces de repos aménagées d’un lit, car à l’époque, on pense que se baigner fatigue le corps et qu’il est nécessaire de se reposer ensuite.

Louis XV aura jusqu’à six salles de Bain à Versailles. Louis XVI et Marie-Antoinette s’en feront construire également plusieurs dans leurs différentes résidences, et sous leur règne (1774-92), la pratique du bain va se répandre.

Cependant, à l’exception des favorites royales -Mesdames de Pompadour et du Barry notamment-, les nobles et courtisans de Versailles avaient rarement des baignoires ou des salles dédiées dans leurs appartements. Tout au plus possédaient-ils dans leur garde-robe un nécessaire de toilette (poudre, parfum, peignes…) et des bassins pour se laver les mains, le visage, se raser etc… L’eau était alors acheminée par des porteurs d’eau.


Ces courtisans pouvaient cependant bénéficier de bains publics comme ceux qui commencent à se construire dès la fin du 17e siècle dans la ville de Versailles. Et on sait désormais qu’à la fin du 18e siècle, la prise de bain était devenue régulière, tout comme le nettoyage du visage et des mains. C’est à cette époque que les sciences se développent et que naissent les thèses hygiénistes qui insistent sur la nécessité de se laver pour rester en bonne santé. Elles vont cependant peiner à s’imposer, et il va falloir attendre le milieu du 19e siècle pour que l’hygiène devienne une préoccupation d’ordre public.


Comme les rumeurs ont la vie dure, et même si, je le rappelle, les standards d’alors ne sont pas les nôtres, on continue à croire, souvent à tort, que le Moyen-Âge est une période d’extrême saleté, et qu’à Versailles, les rois ne se lavaient jamais et ne prenaient pas soins d’eux!


J’espère que cette anecdote vous a plu et que vous penserez à cette évolution de l’hygiène au cours des siècles lorsque vous ferez votre prochaine toilette. Pour en savoir plus sur le château de Versailles et les habitudes de la famille royale et des courtisans, n’hésitez pas à lire le livre de Mathieu da Vinha: «Vivre à la cour de Versailles en 100 questions» aux éditions Tallandier. Il est riche de nombreuses informations et anecdotes qui plairont aux passionnés d’histoire que vous êtes.

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