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Après l’instabilité de la période révolutionnaire, et après la période de Terreur (1793-1794), la France entre sous le régime politique du Directoire le 26 octobre 1795 (et jusqu’au 9 novembre 1799), mettant fin à la gouvernance de la Convention Nationale. Désormais, cinq Directeurs se répartissent le pouvoir exécutif, l’idée état d’éviter toute dérive tyrannique ou autoritaire.
Dans ce contexte, apparaît alors un groupe d’individus, d’élégants et d’élégantes, qui, en réponse à la rudesse des troubles passés, dans leur apparence comme dans leur attitude, vont surjouer l’extravagance et instaurer comme principes de vie la frivolité et le divertissement. Ces individus, souvent jeunes, on les appellera les Incroyables et les Merveilleuses, ou les Merveilleux. Mais qui sont-ils exactement, quelle est leur origine et pourquoi ces surnoms étonnants ?
LES INCROYABLES ET LES MERVEILLEUSES : UNE EXTRAVAGANCE PAS SI LÉGÈRE QUE ÇA
Dans cette période postrévolutionnaire de calme retrouvé, les Français, qu’ils soient sortis de prison, de retour d’exil ou simplement soulagés d’un retour à la liberté, ont l’envie frénétique de profiter de la vie. Mais au-delà du peuple qui souhaite surtout oublier les troubles et les instabilités traversés, une frange de la population -souvent des anciens aristocrates ou riches bourgeois- va éprouver une certaine nostalgie du luxe d’ancien régime, et désirer recréer une société plus élitiste.
Car dans cette France du renouveau, si les idées égalitaires portées par la Révolution restent fortes, elles vont aussi être, sinon remises en cause, au moins attaquées par l’émergence de courants réactionnaires qui n’hésitent pas à railler le jusqu’au-boutisme égalitaire de la Révolution, ou encore les principes même de la République.
On assiste ainsi peu à peu au retour d’une société de classes, avec des maîtres et des domestiques, et à la reconstitution d’une élite dont les salons ressemblent de plus en plus aux cercles aristocratiques d’ancien régime.
Et c’est donc au sein de cette nouvelle société mondaine que des groupes d’hommes et de femmes vont pousser l’extravagance à son maximum, en privilégiant les amusements et les plaisirs à toute autre forme d’activité, comme pour signifier leur supérieure indifférence face aux changements politiques, sociétaux et culturels qu’a connu la France pendant cette dernière décennie.
Dans ces hautes sphères de la société, les fêtes sont alors nombreuses, et tout n’y est que légèreté. On rit de tout, même de la Terreur. Ainsi, par exemple, sont organisés ce qu’on appelle les bals des victimes, en principe réservés à celles et ceux qui affirment avoir perdu un proche sur l’échafaud – mais personne n’est là pour vérifier. On y vient et danse vêtu en habits de deuil, puis on se salue en secouant la tête de telle manière à donner l’impression qu’elle vient d’être percutée par le couperet de la guillotine. Une façon assez cynique de s’amuser qui est peut-être, aussi, un moyen d’exorciser la peur et les angoisses du passé.
COMMENT RECONNAÎTRE LES INCROYABLES ET LES MERVEILLEUSES ?
La jeunesse dorée qui évolue dans cette nouvelle société va s’inventer de nouveaux codes pour marquer sa différence et son désir frénétique de plaisir.
Les hommes, d’abord, se définissent avant tout par leur costume et leur excès d’élégance, mais aussi leur sens de l’ironie : redingotes très courtes et bombées sur le dos comme s’ils étaient bossus ; col, cravate et chapeau haut de forme surdimensionnés ; culottes de velours mal ajustée et bas retombant pour laisser apparaître les genoux cagneux et faire disparaître les mollets ; souliers pointus inspirés du Moyen-Âge ; lunettes immenses portées sur le bout du nez pour imiter une profonde myopie ; ou encore cheveux tressés ou relevés à l’arrière comme s’ils avaient été préparés pour la guillotine... Ici, tout est étudié pour faire au maximum dans la caricature de l’élégant maigre et contrefait, victime des affres de la Révolution.
Mais au-delà de l’apparence, c’est aussi le langage qui est également réinventé. Tout d’abord, surjouant l’étonnement à chacune des répliques de leurs interlocuteurs, ces jeunes gens vont s’écrier, avec excès, des « Incroyable ! », ou « Merveilleux ! » qui leur donneront leurs surnoms. Sachez qu’on les appelle aussi des muscadins, en référence aux effluves de leurs parfums à haute teneur en musc.
Mais ce n’est pas tout ! Ils vont aussi décider de ne plus prononcer les « R » qui, souvent roulés, sont ici jugés trop « provinciaux », tout comme les « L » et les « G » qui vont être adoucis. A la manière des Anglais, on dira alors « Inc’oyab’e ! » ou « Me’veilleux », sans craindre, a priori, le ridicule.
D’ailleurs, comme nous l’évoquions, derrière ces airs légers et superficiels, se cachent en réalité un vrai message politique. Les Merveilleux mèneront, pour certain, ce qu’on appellera une « Terreur blanche ». Par opposition à la Terreur révolutionnaire qui persécutera surtout la noblesse, celle-ci doit terroriser les anciens Jacobins qui sont alors roués de coups à la moindre occasion.
Pour rappel, le Club des Jacobins, fondé en 1789, prônait l'égalité sociale et la souveraineté populaire. Porté par Robespierre, Marat et Danton, il s’est peu à peu radicalisé. Les Jacobins sont ainsi à l’initiative du Comité de Salut Public qui dirige la Révolution entre 1793 et 1794, et impose des politiques drastiques pour éliminer les ennemis de la Révolution. Cette Terreur, qui disparaîtra après la mort de Robespierre le 27 juillet 1794, va peu à peu laisser place à une nouvelle ère plus réactionnaire qu’on appellera « la réaction thermidorienne » (en référence à Thermidor, mois d’été du calendrier révolutionnaire). C’est au cœur de cette période que vont naître les Incroyables et les Merveilleux, qui sont donc bien moins naïfs qu’ils en ont l’air.
Quoi qu’il en soit, cette jeunesse réactionnaire se réunit dans les nouveaux salons parisiens, comme celui, très prisé, de Paul Barras (noble devenu député, puis général de la Révolution, il est l’un des cinq Directeurs, et sera bientôt général d’Empire) ; ou celui de Madame Tallien, de son vrai nom Thérèsa Cabarrus, une amie des Lumières néanmoins contrainte à l’exil pendant la Révolution qui sera au cœur des cercles de Merveilleux et Merveilleuses.
Pour ce qui est des femmes, justement, les Merveilleuses et les Incroyables vont également imposer un style, et lancer une nouvelle mode qui donnera bientôt naissance à la mode à l’Empire. Inspirées de l’Antiquité et de la mythologie, les Merveilleuses portent des robes fluides, légères et près du corps, ainsi que des manteaux et tuniques à la grecque.
Elles entendent ainsi s’habiller à la grecque ou à la romaine, ou même, disent-elles, se déshabiller à l’Antique, tant leurs tenues sont légères en comparaison à tout ce que la décence imposait de porter jusqu’alors. Les pieds sont chaussés de sandales nouées par des rubans, et pour les plus extravagantes, comme Madame Tallien, des bagues peuvent agrémenter les orteils, et des bracelets d’or les chevilles. Pour parfaire la silhouette, d’immenses chapeaux coiffent les perruques blondes ou les cheveux naturels coupés courts et frisés.
Parmi les Incroyables et les Merveilleuses les plus célèbres, on compte Madame Tallien, surnommée « Notre-Dame de Thermidor », ou encore Juliette Récamier (dont on peut voir le riche mobilier au Louvre), la romancière et épistolière Madame de Staël, ou encore et bien sûr, Joséphine de Beauharnais, que tout le monde appelle encore Rose.
Jubilatoire ! Me'veilleux ! Quelle découverte ! Ce mouvement, à priori vain et léger, était habillé d' un vrai message politique : je l'ignorais. Chaque mot est passionnant dans votre article : du contexte historique aux détails vestimentaires. Je salue aussi votre style agile extrêmement agréable à parcourir. Vous aimez les mots, vous aimez l'histoire : votre talent mérite la gloire ! Merci infiniment pour tout ce que je viens d'apprendre. Je vais partager ce lien. Bonne journée.