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EXPOSITION «MAN RAY. LE BEAU TEMPS» AU MUSÉE ‘LA BANQUE’ À HYÈRES


Le week-end dernier, j’ai profité du 38e Festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires à Hyères pour visiter La Banque, musée des Cultures et du Paysage, un lieu d’exposition inauguré au cœur de la ville varoise en 2021 (plus de détails dans la partie dédiée ci-après).

Plus particulièrement, j’ai eu la chance de découvrir en privé l’exposition temporaire "Man Ray. Le Beau Temps" qui y est proposée jusqu’au 19 novembre 2023. L’occasion de (re)plonger dans l’univers passionnant et fascinant du célèbre artiste-photographe américain, Emmanuel Radnitsky (1890-1976) dit Man Ray, figure clé du mouvement dada et du surréalisme nés dans l’entre-deux-guerres.

Man Ray, autoportrait

Pourquoi une exposition autour de Man Ray à Hyères? Les liens entre le photographe et la région vont naître à la fin des années 1920. Tout part de sa rencontre, en 1927, avec Marie-Laure et Charles de Noailles, un couple de riches mécènes et collectionneurs d’art, proches de nombreux artiste connus et émergents de l’époque.


Célèbres à Paris pour leurs goûts artistiques avant-gardistes et leur sens de la réception et du divertissement, ils vont faire de leur nouvelle villa hyéroise du Clos Saint-Bernard, au style cubiste imaginé par l’architecte d’avant-garde Robert Mallet Stevens en 1925, un centre d’art et de fête pour leurs amis artistes d’alors: Cocteau, Buñuel, Giacometti, Dali, Picasso… et Man Ray qui y sera convié en 1929 afin de réaliser, à la demande du couple, un film documentaire qui doit valoriser leur nouvelle villa, cette bâtisse innovante aux lignes épurées qui, telle une forteresse fantastique moderne, surplombe le paysage teinté de soleil de la baie de Hyères.

Man Ray n’est pas très enthousiaste à l’idée de ce projet qu’il accepte cependant pour des raisons financières (il sera payé 60 000 francs de l’époque, soit près de 40 000 euros). Il réalise ainsi un film muet en noir et blanc intitulé «Les Mystères du Château du Dé» qui, loin du documentaire initial prévu, déçoit ses commanditaires, mais qui est aujourd’hui considéré l’une des premières œuvres majeures du cinéma surréaliste. Pour reprendre les textes de l’exposition, voici comment on pourrait résumer ce film étonnant, diffusé dans le musée, qui commence comme un ‘road trip’ de Paris vers un château mystérieux du sud de la France: «Le scénario fait du vicomte [Charles de Noailles] un voleur de bijoux au visage voilé, avec pour partenaire un détective boiteux, un contorsionniste en veste en velours, une actrice aux cheveux crantés et quelques joueurs de bridge. Les amis [invités par les Noailles] deviennent des acteurs au visage estompé par le bas qu’ils portent sur la tête. Le titre est inspiré d’un poème de Stéphane Mallarmé ‘Un coup de dé jamais n’abolira le hasard’». Man Ray utilise alors tous les décors de ce château cubiste qu’est la villa, de la piscine aux terrasses, en passant par les jardins suspendus et la géométrie de son architecture.

Au gré du tournage, des bals drôles et flamboyants qui se déroulent au Clos Saint-Bernard, et des rencontres qu’il y fait, l’artiste va peu à peu apprécier le sud varois et plus généralement cette Côte d’Azur où il reviendra passer plusieurs étés dans les années 1930.


L’exposition retrace ainsi ces séjours heureux où, en 1929, 1936, 1937 et 1938, de la villa des Noailles à Mougins, Antibes ou Juan-les-Pins, Man Ray profitera de la douceur de vivre avec ses amis artistes, de Pablo Picasso à Paul Eluard, en passant par Dora Maar, Roland Penrose ou Ady Figelin. Une époque insouciante et créative dont il capturera les images, les lumières et même les couleurs (il expérimente la photo et le film en couleurs en partenariat avec Kodak), et que l’exposition traduit ici par ce simple titre: «Le Beau Temps», un temps d’avant les horreurs de la deuxième guerre mondiale qui mettra fin à cette effervescence artistique.

Très complète, l’exposition «Man Ray. Le Beau Temps» s’articule en quatre grandes parties qui vont des travaux photographiques réalisés lors de ses séjours sudistes, notamment dans la Villa Noailles, à ses œuvres les plus emblématiques, en passant par un rappel des principes et des grands artistes des mouvements dadaïstes et surréalistes auxquels Man Ray a largement contribué.


LES INCONTOURNABLES

Le parcours rappelle d’abord qui était Emmanuel Radnitsky (1890-1976) dit Man Ray, ses convictions et son travail artistiques à travers des archives et surtout une sélection de photographies incontournables de son œuvre.


Parmi les pièces maîtresses, on trouve "Le Violon d'Ingres" (1924), "Noire et Blanche" (1926), "Primat de la Matière sur la Pensée" (1929), ainsi que des créations emblématiques telles que "Larmes" (1930), "La Prière" (1930) et "Anatomie" (1930).

Au-delà de son œil de photographe, c’est aussi le talent du technicien que l’on découvre, à travers notamment les «rayogrammes» et la solarisation.

  • La rayographie est une innovation majeure de Man Ray. Pour lui, il s'agit de "dessiner avec la lumière" comme le peintre crée avec le pinceau. Découvert par accident en 1921, alors qu’il avait placé des objets sur du papier photosensible exposé à la lumière, ce procédé a donné naissance à des images uniques et des compositions visuelles saisissantes, des rayogrammes qui semblent refléter l'inconscient et l'émotion des sujets photographiés.

  • La technique de la solarisation, popularisée par Man Ray, est une inversion des densités photographiques obtenue par une exposition à la lumière blanche pendant le développement. Cette technique, perfectionnée par l'artiste, a donné un nouveau souffle à la photographie en créant des effets visuels intrigants. Pour Man Ray, la solarisation était un moyen de défier les conventions artistiques et de repousser les limites de la créativité.

À propos de Man Ray

L’artiste américain multidisciplinaire Man Ray, de son vrai nom Emmanuel Radnitzky (1890-1976), est aujourd’hui célèbre pour sa contribution majeure au mouvement surréaliste et pour sa révolution de la photographie.


Né le 27 août 1890 à Philadelphie, en Pennsylvanie, il étudie l'architecture avant de se tourner vers l’art. C’est à New York, où il emménage au début du 20e siècle, qu’il se frotte à l'avant-garde artistique de l'époque, et ses premières œuvres vont ainsi traverser différents courants et disciplines artistiques, de la peinture (fauvisme et cubisme) à la photographie.


Accueilli à Paris en 1921 par Marcel Duchamp qu’il a connu aux États-Unis pendant la première guerre mondiale, Man Ray participe au mouvement Dada, ce courant caractérisé par le rejet des conventions artistiques traditionnelles et par une attitude de provocation et d'absurdité. Les artistes Dadaïstes utilisent alors l'humour, l'irrationnel et la subversion pour remettre en question la logique établie, mettant ainsi l'accent sur le chaos et le non-sens dans l'art.


Mais sa contribution la plus marquante à l'art réside dans la photographie surréaliste. À Paris, pour gagner sa vie, Man Ray devient photographe. Son génie et ses talents de technicien vont faire de lui un pionnier de l'expérimentation photographique, notamment en développant le rayogramme, une technique où des objets sont placés directement sur du papier photosensible; ainsi que la solarisation, qui inverse une partie de l'image en négatif. Ses photographies se caractérisent par leur esthétique surréaliste, leur jeu créatif de la lumière et de l'ombre, et leur exploration des thèmes du rêve et de l'inconscient.


Qu’est-ce que le Surréalisme? Ce mouvement artistique initié à Paris au début des années 1920 par André Breton vise à explorer l'inconscient et l'irrationnel en repoussant les limites de l'expression créative. À travers des œuvres défiant la logique conventionnelle, composées d’images étranges, de juxtapositions inattendues et d’éléments oniriques, les artistes surréalistes -parmi lesquels Salvador Dali, René Magritte, Max Ernst, Joan Miro, Louis Aragon, Marcel Duchamp- cherchent à exprimer la réalité intérieure de l'esprit humain.


En plus de la photographie, Man Ray explore la peinture, la sculpture et le cinéma. Ses œuvres comprennent des tableaux abstraits, des sculptures aux formes organiques et des films expérimentaux, tels que «Emak-Bakia» (1926), «L'Étoile de mer» (1928) ou «Les Mystères du Château de Dé» (1929).


Pendant la Seconde Guerre mondiale, Man Ray retourne aux États-Unis, avant de revenir à Paris où il décède le 18 novembre 1976.


LA GALERIE DES SURREALISTES

Man Ray était au cœur du mouvement surréaliste et a photographié de nombreuses personnalités de l'art et de la littérature de son époque. L'exposition présente une série de portraits d'artistes surréalistes, dont André Breton, Paul Éluard, Max Ernst, Joan Miró, et bien d'autres. Ces photographies dévoilent l'essence même de ces créateurs visionnaires et de l'effervescence culturelle de l'époque.

En marge de cette partie dédiée aux surréalistes et aux dadaïstes, l’exposition consacre un espace au recueil co-réalisé par Man Ray et Paul Éluard, «Les Mains Libres», publié en 1937. On y découvre des dessins illustrés de poèmes. Un travail où les mots illustrent les images, et non l’inverse, dans une totale liberté créatrice qui bouleverse les conventions de l’époque.


MAN RAY ET LES NOAILLES

Man Ray fait partie de l’entourage du vicomte Charles de Noailles et de son épouse la vicomtesse Marie-Laure de Noailles à partir de 1927. Invité en 1929 dans leur villa du sud de la France, à Hyères, pour y réaliser un film, « Les Mystères du Château du Dé », l’artiste va également profiter de sa présence pour photographier les lieux et ses habitants -le couple Noailles et leurs amis.

Cette partie de l'exposition met ainsi en lumière la relation de Man Ray avec ses hôtes et l’œuvre architecturale avant-gardiste qu’est leur villa du Clos Saint-Bernard (aujourd’hui Villa Noailles). On y découvre des portraits du couple Noailles, des photographies des bals et réceptions de l'époque, ainsi que des images de la Villa Noailles, témoignant de cette période féconde d’amitié et de collaboration artistique.


La Villa Noailles, naissance d’un mythe culturel

En 1923, Marie-Laure Henriette Anne Bischoffsheim (1902-1970) épouse le vicomte Charles de Noailles (1891-1981). Pour leur mariage, le couple reçoit un terrain dans les hauteurs de la Ville de Hyères, pionnière des stations balnéaires de la Côte d’Azur et destination prisée de la haute société depuis le 19e siècle. Riches mécènes et amateurs d’art, les Noailles ont alors l’idée de bâtir une villa moderne «intéressante à habiter» et «infiniment pratique et simple» où ils pourront accueillir leurs amis artistes comme ils le font déjà dans leur hôtel particulier à Paris, notamment à l’occasion de grands bals extravagants.

La construction (1924-1933) est confiée à l’architecte français Robert Mallet-Stevens (1886-1945). Lié aux mouvements Moderne et Art Déco, il propose une villa fonctionnelle de style Avant-garde, aux lignes épurées, aux volumes géométriques et cubiques, avec de grandes ouvertures pour laisser entrer la lumière.


Cette villa, alors appelée Clos Saint-Bernard, devient un lieu phare de la vie culturelle et intellectuelle de l’entre-deux-guerres. Le Vicomte et la Vicomtesse de Noailles accueillent de nombreux artistes: Cocteau, Buñuel, Giacometti, Dali, Picasso, Man Ray…


La guerre met fin à cette effervescence. Après la mort de Marie-Laure, le 29 janvier 1970, son époux décide de revendre «la villa de Marie-Laure» comme il la nomme, à la ville de Hyères qui signe l’acte d’achat le 30 mars 1973. Rénovée dans les années 1990, la Villa Noailles, comme on l’appelle désormais, devient un centre voué à l’art contemporain –l’inauguration se tiendra le 30 mars 2003.

Dirigée par Jean-Pierre Blanc et Pascale Mussard, la Villa Noailles accueille aujourd’hui une exposition permanente (architecture, histoire de la villa, meubles et objets), des expositions temporaires et des événements culturels: le Festival International de Mode et de Photographie qui promeut la création de mode et d’accessoires, et les futurs photographes de talents; Design Parade autour de la création design contemporaine.

Tout le programme de la Villa Noailles sur le site villanoailles.com


LE SUD DE LA FRANCE

La dernière partie de l'exposition nous emmène en vacances dans le sud de la France avec Man Ray, à Mougins, Antibes et Juan-les-Pins, où il passera du temps avec ses amis et des artistes comme Pablo Picasso, Paul et Nusch Éluard, Dora Maar, Roland Penrose et Ady Fidelin.

On y découvre les photographies de la douceur joyeuse des étés 1936 à 1938, mais aussi le film Garoupe, qui montre la vie du groupe d’amis à l’été 1936 autour d’un Picasso enthousiaste et productif. Un film tourné en couleur, tout comme certaines des photos exposées ici et qui résultent de l’expérimentation des pellicules couleur menée alors par Man Ray.


AUX ORIGINES DE LA BANQUE, MUSÉE DES CULTURES ET DU PAYSAGE DE HYÈRES


La Banque, musée des Cultures et du Paysage de Hyères est situé dans l'ancienne annexe de la Banque de France. Une villa, la Villa Victoria, construite en 1869 dans un style néo-classique, et réaménagée en 1924 en succursale de l’institution financière par les architectes Alphonse Defasse et Léon David. Restauré à partir de 2016 par l’architecte Alain-Charles Perrot qui doit le transformer en lieu culturel, le bâtiment rouvre au public le 27 novembre 2021.

Ce nouveau musée a pour objectif de partager et valoriser le patrimoine culturel et historique de la ville et de la région à travers plus de 200 œuvres exposées (sur les 8000 conservées) couvrant une grande diversité de disciplines: Beaux-Arts, sciences naturelles, ethnographie, archéologie. Les collections éclectiques du musée sont réparties entre l'ancien appartement du directeur de la Banque (au premier étage) et la salle des coffres (en sous-sol), un cadre unique pour explorer l'évolution de la jolie ville de Hyères, de son paysage et de son littoral à travers les siècles. Les expositions temporaires sont présentées au rez-de-chaussée de l’édifice. Enfin, ne manquez pas de faire un tour dans le jardin qui permet de voyager entre l’art et la nature.


MON AVIS SUR L’EXPOSITION


J’ai été agréablement surpris par l’exposition «Man Ray. Le Beau Temps». Elle est bien plus riche que ce que j’imaginais et elle permet d’explorer l’héritage artistique et l’univers créatif de Man Ray, depuis ses œuvres incontournables que l’on connaît toutes et tous, jusqu’à des photographies et peintures moins connues mais tout aussi fascinantes.


Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de m’aventurer dans le reste du musée de La Banque et je vous invite à le faire si vous en avez l’occasion. La scénographie est claire et pédagogique, les œuvres présentées sont vraiment dignes d’un intérêt à la fois historique et artistique, et on apprend beaucoup sur l’histoire et les paysages de cette magnifique région hyéroise.


INFORMATIONS PRATIQUES


La Banque, musée des Cultures et du Paysage

14, avenue Joseph Clotis – 83400 Hyères


De septembre à juin, le musée est ouvert tous les jours de 14h à 18h, sauf le mercredi et le samedi de 10h à 13h puis de 14h à 18h.


En juillet et an août, le musée est ouvert tous les jours de 10h à 13h puis de 15h à 19h, sauf le samedi de 15h à 18h et le dimanche de 10h à 13h.


La Banque est fermée le lundi.


L’exposition « Man Ray. Le Beau Temps » est proposée jusqu’au 19 novembre 2023.


Tous les détails dans la rubrique dédiée au musée sur le site de la ville de Hyères.



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