« SOULAGES, UNE AUTRE LUMIÈRE. PEINTURES SUR PAPIER » AU MUSÉE DU LUXEMBOURG (PARIS)
- Igor Robinet-Slansky
- 25 sept.
- 6 min de lecture

Le Musée du Luxembourg consacre sa grande exposition d’automne-hiver à Pierre Soulages. Produite par le GrandPalaisRmn, l’exposition « Soulages, une autre lumière. Peintures sur papier » se tient du 17 septembre 2025 au 11 janvier 2026. Elle réunit 130 œuvres, dont plus de trente inédites, autour d’un pan essentiel mais encore trop méconnu de l’artiste : ses peintures sur papier.
On connaît le maître de l’Outrenoir, célébré dans le monde entier et disparu en 2022 à l’âge de 102 ans. Mais ici, l’approche est différente. Elle révèle le Soulages expérimental, celui qui choisit le papier dès 1946 pour se libérer des contraintes de la toile, et qui y reviendra tout au long de sa carrière, jusqu’au début des années 2000. C’est une autre facette, plus intime, plus immédiate aussi, qui s’offre au regard.
Le parcours, sobre et fluide, se déploie à travers sept sections chronologiques : des premiers essais au fusain et au brou de noix dans les années 1940, à l’explosion de reconnaissance internationale avec l’exposition « Französische Abstrakte Malerei » en 1948, jusqu’aux expérimentations des années 1990-2000. Une exposition à la fois lumineuse et puissante, qui permet de mieux comprendre l’ensemble de l’œuvre du peintre.
PIERRE SOULAGES : UN PARCOURS HORS NORME
Né à Rodez en 1919, Pierre Soulages grandit dans un milieu d’artisans. Admis à l’École des Beaux-Arts de Paris en 1939, il refuse finalement d’y entrer, trouvant l’enseignement trop académique. C’est à Montpellier qu’il rencontre Colette Llaurens, qui deviendra sa compagne de toujours. Après la guerre, installé à Courbevoie puis à Paris, il choisit résolument l’abstraction.
Dès ses débuts, son travail se distingue par une approche radicale : larges traces noires au fusain, puis brous de noix - cette teinture utilisée par les ébénistes -, qui lui permettent de jouer avec la transparence et la lumière. Très tôt, ses œuvres attirent l’attention : Francis Picabia, Hans Hartung, ou encore les critiques Michel Ragon et Roger Vailland reconnaissent en lui une force nouvelle.
À partir des années 1950, Soulages expose à New York, où ses toiles séduisent les collectionneurs américains. Dans les années 1960, il devient une figure majeure de l’abstraction internationale. Sa carrière est jalonnée de grandes étapes : les vitraux de l’abbatiale de Conques (1994), l’ouverture du musée Soulages à Rodez (2014), ou encore l’exposition hommage au Louvre pour son centenaire (2019).
Son œuvre, immense, compte plus de 1700 toiles, près de 800 peintures sur papier, des estampes, des bronzes, des vitraux, des tapisseries. Mais toujours, un fil rouge : la lumière. Même dans l’Outrenoir, ce noir extrême qui transmute la lumière, Soulages ne peint pas l’obscurité : il peint la clarté qui en jaillit.
L’EXPOSITION : SOULAGES ET LE PAPIER
Pourquoi consacrer une exposition entière aux peintures sur papier ? Parce qu’elles sont essentielles à la compréhension de Soulages. Plus fragiles que les toiles, elles ont longtemps été moins diffusées, souvent conservées par l’artiste lui-même. Pourtant, ce sont elles qui marquent ses débuts en 1946, et qui jalonnent toute sa carrière.
Le papier, support modeste et accessible, permet à Soulages d’aller vite, d’expérimenter, de tenter sans craindre de « gâcher ». C’est un laboratoire, mais pas un lieu d’esquisse : il ne s’agit pas de dessins préparatoires, mais bien de peintures à part entière. Brou de noix, encre, gouache, mine de plomb parfois : les techniques varient, mais l’essence demeure la même - travailler la lumière par le noir.
Cette rétrospective, la première du genre à Paris, bénéficie de prêts exceptionnels du musée Soulages de Rodez. Elle offre au public une plongée rare dans cette part intime de l’œuvre. On y perçoit une immédiateté, une fraîcheur, parfois même une spontanéité que les grandes toiles monumentales, plus construites, ne laissent pas deviner.
LE PARCOURS DE VISITE
La scénographie du Musée du Luxembourg, sobre et éco-responsable, met parfaitement en valeur les œuvres. Sur les murs blancs, les papiers se succèdent comme une partition : silences, rythmes, échos. Des vidéos et portraits de Soulages ponctuent le parcours, donnant la parole à l’artiste lui-même. La visite suit un cheminement chronologique, révélant l’évolution de son geste.
1. LES ANNÉES 1940 : LES DÉBUTS AU BROU DE NOIX
On entre d’emblée dans l’univers de Soulages. Fusains vigoureux, puis brous de noix appliqués à la brosse ou au pinceau de peintre en bâtiment : ces premières œuvres surprennent par leur radicalité. Lignes noires, signes hiératiques, transparences et opacités se confrontent au blanc du papier. Déjà, tout est là : le refus de la figuration, le goût pour le rythme, la recherche d’une lumière intérieure.
2. FRANZÖSISCHE ABSTRAKTE MALEREI, 1948-1949
Moment décisif : Soulages participe à cette exposition itinérante en Allemagne, qui rassemble des peintres abstraits français de toutes générations. Son nom est encore inconnu, mais l’un de ses brous de noix est choisi pour l’affiche. Cette reconnaissance internationale précoce lance véritablement sa carrière. La section montre à la fois les œuvres présentées et les archives de l’époque, replaçant Soulages dans le contexte d’après-guerre.
3. LES EXPOSITIONS ET AFFICHES
Un espace documentaire rappelle combien les peintures sur papier ont été présentes dans les rétrospectives de Soulages, souvent utilisées pour des affiches d’exposition. Elles témoignent de l’importance de ce médium dans la perception publique de l’artiste, même si elles restaient dans l’ombre des toiles monumentales.
4. LES ANNÉES 1950 : OUVERTURE AU MONDE
À partir de cette décennie, Soulages s’impose sur la scène internationale. La galerie Kootz à New York expose ses gouaches et brous de noix, qui séduisent les collectionneurs américains. Dans cette salle, on découvre des œuvres plus variées, où les techniques se diversifient : encre, lavis, superpositions. Le rythme reste primordial, les formes s’entrechoquent, parfois à la limite de la monumentalité malgré le format réduit.
5. LES ANNÉES 1960 : CONTRASTES ET EXPANSIONS
C’est l’époque des grandes rétrospectives, en Allemagne, aux États-Unis, puis à Paris. Les peintures sur papier y sont largement présentes. Ici, Soulages joue sur les contrastes : nappes d’encre noire en lavis, blancs éclatants du papier, formats qui s’agrandissent. On retrouve dans ces œuvres la même énergie que dans ses toiles, mais avec une immédiateté propre au papier. Certaines pièces exposées à la Documenta III de Kassel en 1964 rappellent la puissance monumentale de son travail.
6. LES ANNÉES 1970 : LA DIVERSITÉ ET LA MONUMENTALITÉ
Une salle spectaculaire présente les gouaches vinyliques réalisées en 1977. Cent œuvres en une seule année : une explosion créative. Certaines traversent le papier de larges traits noirs, d’autres s’ouvrent à des nuances de gris subtils, ou encore au bleu, qui apparaît dans les toiles de la même époque. Soulages fabrique ses propres outils, inventant des gestes nouveaux. C’est un moment de grande liberté, où le papier devient aussi monumental que la toile.
7. LES ANNÉES 1990-2000 : ULTIMES EXPÉRIMENTATIONS
Alors que l’Outrenoir s’impose sur toile à partir de 1979, Soulages continue par moments à revenir au papier, jusqu’en 2004. Dans ces dernières œuvres, on découvre des expériences inédites: mine de plomb sur fonds noirs, encre appliquée par arrachages, bandes horizontales de brou de noix. Ces papiers tardifs, vibrants et puissants, montrent un artiste toujours en quête d’«aventures picturales», même à plus de quatre-vingts ans.
Avant de partir, ne manquez pas l’expérience immersive en réalité virtuelle qui vous plonge dans le travail de Soulages, dans son atelier et son esprit, où vous pourrez expérimentez l’Outrenoir, au son de la voix délicate d’Isabelle Huppert.
MON AVIS
On croit connaître Soulages, son noir, ses Outrenoirs. Mais cette rétrospective, Soulages, une autre lumière, dévoile une autre dimension: un artiste plus intime, plus direct, qui expérimente avec un support simple et qui en fait surgir des œuvres d’une intensité rare. L’exposition révèle un Soulages multiple, toujours fidèle à lui-même mais sans cesse en mouvement.
Je la recommande vivement : que l’on soit familier de son œuvre ou que l’on le découvre, on ressort avec une compréhension renouvelée de ce peintre qui a consacré sa vie à la lumière.
INFORMATIONS PRATIQUES
Quoi ? Soulages, une autre lumière. Peintures sur papier
130 œuvres de Pierre Soulages, dont plus de 30 inédites
Où ? Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard, 75006 Paris
(Métro Saint-Sulpice ou Mabillon, RER B Luxembourg, bus 58, 84, 89)
Quand ? Du 17 septembre 2025 au 11 janvier 2026
Tous les jours de 10h30 à 19h
Nocturne le lundi jusqu’à 22h
Fermé le 25 décembre ; fermeture à 18h les 24 et 31 décembre.
Combien ?
Plein tarif : 14 € / Tarif réduit : 10 €
Spécial jeunes 16-25 ans : 10 € pour 2 personnes du lundi au vendredi après 16h
Gratuit : moins de 16 ans, bénéficiaires des minima sociaux
Accès gratuit pour les moins de 26 ans sur réservation (dans la limite des places disponibles).
Plus d’informations et réservations sur le site du musée du Luxembourg.


























































































