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LA VILLA CAVROIS: CHÂTEAU MODERNE & TRÉSOR D’ARCHITECTURE

Quand on pense à la région lilloise, on pense maisons à colombages, bâtiments de briques rouges… mais on ne pense pas forcément à l’architecture moderniste du début du 20e siècle. Or, à quelques kilomètres du centre de Lille, dans la commune de Croix, accessible en tramway et métro, se cache un trésor d’architecture de l’entre-deux-guerres, innovant pour l’époque, un château moderne et cubiste, inspiré du mouvement Art Déco, et imaginé par l’architecte Robert Mallet-Stevens (1886-1945): la villa Cavrois.


Cette demeure atypique est commandée au milieu des années 1920 par Paul Cavrois (1890-1965), un riche industriel textile de la région, qui donnera ainsi son nom à la villa que l’on peut aujourd’hui visiter.


Point biographie : qui est Paul Cavrois?

Né le 29 août 1890, Paul Cavrois est issu d’une famille d’industriels du nord de la France qui a fait fortune dans le secteur textile. Au milieu du 19e siècle, à Roubaix, son père Jean-Baptiste Cavrois a en effet fondé l’entreprise Cavrois-Mahieu qui gèrent des usines de filature, de tissage et de teinture de coton et de laine. Å la mort de leur père, Paul et son frère Jean reprennent ainsi l’entreprise familiale.

Paul Cavrois

De son côté, Jean épouse Lucie Vanoutryve en 1912, avec laquelle il a trois enfants: Jean-Baptiste (1911), Geneviève (1912) et Michel (1914). Malheureusement, il meurt le 9 novembre 1915, sur le front serbe durant la Première Guerre Mondiale. Lucie, désormais veuve, et ses enfants sont pris en charge par Paul, comme cela se faisait alors, et finalement, le 16 septembre 1919, Paul et Lucie se marient. De cette union naîtront quatre enfants: Paul junior (1920), François (1921) et les jumelles Annette et Brigitte (1923).

Paul Cavrois continuera à faire de la maison Cavrois-Mahieu une entreprise prospère, jusqu’à sa mort le 10 octobre 1965.


Qu’en est-il de la villa Cavrois? Nous sommes après la guerre, au début des années 1920. Paul Cavrois, dont l’activité industrielle a repris de plus belle, souhaite bâtir une maison familiale moderne qui puisse assoir son statut social mais aussi accueillir son épouse Lucie et leur famille recomposée, ainsi que tout le personnel nécessaire à l’époque pour des personnes de leur rang.


En 1923, Paul Cavrois fait l’acquisition d’un terrain sur la colline de Beaumont, non loin de Roubaix où se trouve l’entreprise et les usines familiales, et plus exactement sur la commune de Croix, où les industriels lillois avides d’air pur et de campagne commencent à s’installer. Mais à l’inverse de ce qui se faisait alors, Paul Cavrois ne va pas choisir de construire une maison bourgeoise de style anglo-normand ou néo-régionaliste, inspiré des habitations locales traditionnelles. Il souhaite en effet offrir à sa famille une résidence des plus modernes, avec le confort dernier-cri, et une surface assez vaste pour que lui et son épouse, comme chacun de ses enfants, bénéficient de larges espaces personnels.


Tout va se jouer en 1925, à Paris, lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes. C’est à cette occasion que Paul Cavrois rencontre Robert Mallet-Stevens et qu’il découvre son travail. Ce dernier vient d’achever la Villa du Clos Saint-Bernard, à Hyères, dans le Var, connue aujourd’hui comme la Villa Noailles; une bâtisse moderne créée pour le compte de Charles et Marie-Laure de Noailles, un couple de riches mécènes et collectionneurs Parisiens. Mallet-Stevens travaille en outre sur le projet d’une maison pour le célèbre couturier de l’époque, Paul Poiret. Paul Cavrois voit alors en cet architecte parisien qui a le vent en poupe un moyen de se distinguer de ses compatriotes lillois. Le goût de Robert Mallet-Stevens pour les techniques les plus en pointe, et les bâtiments modernes, lumineux et spacieux, va convaincre Cavrois de faire appel à ses services. Il propose ainsi de donner carte blanche à Robert Mallet-Stevens qui accepte, ravi de pouvoir travailler en toute liberté créative.


R. Mallet-Stevens

Point biographie: Qui est Robert Mallet-Stevens?

Robert Mallet-Stevens (1886-1945) est un pionnier de l’architecture moderne et du style Art Déco dans la première moitié du 20e siècle. Né le 24 mars 1886 à Paris, dans une famille où l’art tient une place majeure -son père est galeriste et peintre-paysagiste; sa mère est créatrice de chapeaux et issue d’une famille d’artistes et de collectionneurs belges-,il développe très tôt un goût pour la création, et en particulier l’architecture.


En 1903, il choisit ainsi d’étudier à l'École Spéciale d'Architecture à Paris, où il est exposé aux principes de l'architecture classique. Cependant, il s'éloigne rapidement des conventions architecturales traditionnelles pour embrasser des idées plus avant-gardistes, influencé par Auguste Perret (1874-1954), l'un des pionniers de l'architecture en béton armé. Diplômé en 1906, il s’intéresse aux nouveaux courants architecturaux qui émergent, en Autriche avec Josef Hoffmann ou Adolf Loos, aux États-Unis avec Frank Lloyd Wright, en Allemagne avec Ludwig Mies van der Rohe (plus tard naturalisé américain), ou encore en France avec Le Corbusier.


Ces figures clés du Mouvement Moderne, dit aussi Architecture Moderne, prônent la fonctionnalité, la simplicité, la géométrie, la suppression des éléments décoratifs superflus et l'utilisation de matériaux industriels. Robert Mallet-Stevens va faire de ces principes ses propres valeurs. Il est particulièrement influencé par le palais Soclet, chef d’œuvre moderniste bâti à Bruxelles entre 1905 et 1911 par Josef Hoffmann pour son oncle, Adolphe Soclet, et dont il visitera régulièrement le chantier.


S’il écrit beaucoup sur l’architecture et le Mouvement Moderne, Mallet-Stevens n’a, avant-guerre, encore réalisé aucun projet concret. Ce n’est qu’en 1920, après la Première Guerre Mondiale, qu’il expose ses premiers projets d’architecture moderne imaginés pour des boutiques, et qu’il réalise des décors de films avec des jeux de volumes, de matières et de lumière qui marqueront son futur style.


Il trouve également de nouvelles influences dans les mouvements avant-gardistes du Bauhaus en Allemagne, et De Stijl aux Pays-Bas. Le premier, le Bauhaus, né en 1919 dans l’Allemagne d’après-guerre, et créé par Walter Gropius (1882-1969), fonde ses principes sur l’unification de l’art et de l’architecture: les arts (sculpture, peinture, art appliqué) et l’artisanat deviennent parties intégrantes d’un nouveau type d’architecture qui se veut plus démocratique. Le deuxième, le mouvement De Stijl, né en 1917 aux Pays-Bas, touche aussi bien les arts que l’architecture. Il se caractérise par une recherche d’abstraction rigoureuse qui passe par l'utilisation de lignes droites, de formes géométriques et de couleurs primaires.


Robert Mallet-Stevens va ensuite et surtout s’intéresser au style Art Déco qui apparaît avant la Première Guerre Mondiale mais se développe réellement dans les années 1920 et 1930. Ce style, qui doit son nom à l’Exposition Internationale des Arts décoratifs et industriels organisée à Paris en 1925, s’inscrit en rupture avec l’Art Nouveau qui, au début du 20e siècle, faisait la part belle aux courbes et volutes, aux motifs floraux et végétaux, et à la surabondance des ornementations. Le mouvement Art Déco touche alors aussi bien l’architecture que le mobilier et les arts décoratifs. Célébration de la modernité, et en cela proche du Mouvement Moderne, il rejette l'ornement excessif au profit de lignes épurées, de formes géométriques et de motifs abstraits. Les artistes et designers de l'Art Déco cherchent, en outre, à marier l'artisanat traditionnel avec des matériaux et des techniques de fabrication modernes pour créer un style incarnant le luxe et l'élégance, tout en étant ancré dans la fonctionnalité.


Un concept qui correspond à l’approche avant-gardiste et moderniste de Robert Mallet-Stevens qui contribuera ainsi personnellement au développement du mouvement Art Déco. Son architecture se caractérise ainsi par sa simplicité élégante et son utilisation novatrice de matériaux modernes. Il conçoit alors, dans les années 1920 et 1930, des bâtiments résidentiels, des villas, des hôtels particuliers, des maisons de vacances, des cinémas et même du mobilier.


Soucieux de proposer une approche globale, Mallet-Stevens réalise des constructions qui combinent parfaitement l’art, l'architecture et le design d'intérieur dans un style moderne unique qui, de la structure du bâtiment au mobilier, en passant par la composition des jardins, créent des environnements cohérents, harmonieux et fonctionnels.


Ainsi, comme d'autres architectes modernistes de son époque, Mallet-Stevens est un défenseur du fonctionnalisme. Pour lui, la forme des bâtiments doit être guidée par leur fonction, grâce à des plans rationnels, et un design intérieur qui, dans un pur style Art Déco, doit se faire simple et élégant, épuré et géométrique, et sans fioriture. Il favorise également l'utilisation de la couleur et du jeu de lumière pour créer des espaces intérieurs dynamiques et accueillants.


Par ailleurs, Mallet-Stevens décide d’utiliser des matériaux modernes tels que le béton armé, le verre, l'acier et l'aluminium, ce qui est révolutionnaire à l'époque. Il s’agit de créer des structures légères et aérées, auxquelles il peut intégrer des matériaux plus traditionnels, comme la pierre et le bois, pour créer un contraste harmonieux.


En 1929, Robert Mallet-Stevens fonde l’Union des Artistes Modernes qui réunit artistes, artisans et architectes avec pour objectif la création de meubles et objets alliant art et industrie. Mais les années 1930, marquées par la crise économique, vont ralentir les commandes et il ne travaillera pas réellement sur de grands projets publics qui auraient pu le rendre plus célèbre. En 1935 il devient directeur de l’école des Beaux-Arts de Lille puis, lorsque la seconde Guerre Mondiale éclate, il quitte le nord pour sa résidence du Lot où il décède des suites d’une maladie le 8 décembre 1945.


Par son talent avant-gardiste, Robert Mallet-Stevens a contribué de manière significative à l'évolution de l'architecture moderne et du mouvement Art Déco en France et à l'international. Ses conceptions visionnaires ont contribué à façonner l'esthétique architecturale du 20e siècle, et son influence perdure dans de nombreuses réalisations contemporaines. Parmi ses œuvres les plus célèbres, on notera la Villa Cavrois, donc, à Croix, la Villa Noailles, à Hyères et la Villa Paul Poiret à Mézy-sur-Seine.


Revenons à la villa Cavrois. Robert Mallet-Stevens étant engagé sur plusieurs commandes d’hôtels particuliers à Paris, il ne commence à étudier le projet qu’à partir de 1929. Après diverses propositions et échanges, les plans finaux sont prêts, et les premiers travaux peuvent commencer en juin 1930. Parmi les derniers points à finaliser, il reste le choix du revêtement de la maison. Inspiré par les volumes modernes du palais Soclet réalisé entre 1905 et 1911 à Bruxelles par Josef Hoffmann pour son oncle, Robert Mallet-Stevens propose à Paul Cavrois d’en reprendre l’idée d’un revêtement en briques jaunes pour sa nouvelle villa. Les Cavrois acceptent. Ce sera la seule construction de Robert Mallet-Stevens recouverte de telles briques de parements jaunes. Finalement, le chantier de la villa Cavrois est terminé en juin 1932: 56 mètres de long, 15 mètres de large et 21 de haut, avec une surface habitable de 1 800 mètres carrés, la villa Cavrois s’impose dans le paysage environnant et surprend autant qu’elle choque.


Le bâtiment conçu par Robert Mallet-Stevens se veut l’exemple parfait de la modernité: confortable, aéré, lumineux et avant tout fonctionnel. Ainsi, les ouvertures vers l’extérieur sont nombreuses pour laisser entrer la lumière de manière optimale dans chacune des pièces, et pour permettre une vue idéale sur le jardin, lui-même aménagé en conséquence. Les équipements sont parmi les plus modernes de l’époque: chauffage central au fuel, éclairage, ventilation, ascenseur, téléphone, radio diffusée dans chaque pièce…


L’organisation de la demeure ressemble au plan classique d’un château, en U avec, pour chaque pièce, un usage spécifique:

  • Au centre, les espaces de réception et de vie: Vestibule, hall-salon, coin cheminée, salle à manger, fumoir.

  • Dans l’aile Est, les pièces dédiées aux adultes et en particuliers aux parents: au rez-de-chaussée, le bureau de Paul Cavrois et deux chambres dites de «jeune homme», destinées aux deux fils, déjà jeunes adultes, que Lucie Cavrois a eu de son premier mariage; et au premier étage, la chambre, le boudoir et la salle de bain des parents.

  • Dans l’aile Ouest, les pièces accueillant les enfants, mais aussi les domestiques: au rez-de-chaussée, la salle-à-manger des enfants, la cuisine, l’office et les logements du personnel; au premier étage, trois chambre et deux salles de bain pour les enfants et la gouvernante; et au deuxième étage, une grande salle de jeux attenante à deux plus petites salles d’études.

  • Le Belvédère, au sommet de la villa, abrite une petite pièce ronde où seule une table et deux chaises peuvent tenir. Telle la tour ou le donjon d’un château, ce belvédère permettait à Paul Cavrois, grâce à sa fenêtre circulaire, d’avoir un point de vue à 360 degrés sur l’horizon.

  • Au sous-sol, les espaces de services consacrés au fonctionnement de la maison: un garage, une chaufferie, une buanderie avec machine à laver, à repasser et sèche-linge; des caves à vin et garde-manger, un fruitier, un local à bois, une pièce pour les fleurs, une autre pour conserver les malles de voyage, ou encore une dernière pour le matériel sportif.


La villa Cavrois se situe alors à la jonction entre classicisme et modernité. Moderne, le côté Nord, par où l’on arrive sur la propriété et par où l’on entre dans la maison, présente les pièces fonctionnelles, vestibule, cuisine, couloir… Classique, à l’image des châteaux du 18e siècle, le côté Sud, ouvert sur le parc, accueille les salons familiaux et les lieux de vie sociale.


Cependant, si la distribution des pièces suit plutôt un schéma classique, leur aménagement est novateur pour l’époque. Tout est question de volumes, de simplicité et de rationalité. Pas de fioriture, tout doit servir la fonctionnalité de chaque espace. Ainsi, Mallet-Stevens laisse toute leur place aux murs, dont les matériaux qui les composent, rigoureusement choisis pour leurs qualités intrinsèques, se suffisent à eux-mêmes et ne nécessite aucune surcharge d’ornements. Les fenêtres et ouvertures jouent également ici un rôle essentiel pour équilibrer la structure des pièces et leur apporter la luminosité nécessaire; une lumière naturelle, directe ou indirecte, appuyée par un éclairage artificiel judicieusement placé. C’est là l’objectif de l’architecture moderne de Robert Mallet-Stevens: rendre aux bâtiments leur fonction première sans décors et artifices inutiles, et optimiser le confort et l’usage des espaces de vie.


On peut alors penser que ce type d’habitation est froide, impersonnelle et dénuée de charme.Et pourtant, visiter la villa Cavrois, c’est plonger dans un univers certes épuré et allégé du superflu, mais aussi très graphique, géométrique, coloré et rigoureusement décoratifs. Car au-delà du volume et de l’organisation structurelle des espaces, Robert Mallet-Stevens va, pour la première fois de sa carrière, penser et créer l’ensemble des éléments qui composent son projet architectural: mobilier, luminaires, poignées de porte, finitions des peintures, jardins… il imagine et dessine tout, des meubles prévus pour les pièces de vie et de réception à ceux destinés aux pièces de services, jusqu’aux bassins et à la composition du parc.


Finalement, la villa Cavrois est conçue comme «une œuvre d’art totale» (cit. «Itinéraires, la Villa Cavrois» éditions du Patrimoine), où intérieurs et extérieurs sont pensés pour cohabiter en harmonie. À travers cette œuvre architecturale, Mallet-Stevens pose les principes de son architecture moderne composée de formes et de volumes cubiques et rectangulaires de diverses dimensions qui se superposent et se juxtaposent, ponctués par des terrasses, une pergola et des toits-terrasses qui allègent la structure d’ensemble. Pour lui, «l’architecture est un art essentiellement géométrique» où «l’architecte sculpte un bloc énorme, la maison.» (cit. «Itinéraires, la Villa Cavrois» éditions du Patrimoine).


Le parc, sur lequel la plupart des pièces de la villa ont un point de vue unique, a également été entièrement imaginé par Robert Mallet-Stevens. Rigoureuse, la composition des jardins s’articule entre des allées géométriques qui, à chaque point de jonction, offrent un angle de vue différent sur l’élément principal de la propriété: la villa. Tel un Grand Canal moderne, un miroir d’eau central, perpendiculaire à la maison, reflète la silhouette du bâtiment dont on peut, à distance, évaluer les dimensions impressionnantes (56 mètres de longueur) et l’équilibre de ses formes cubistes. Un second point d’eau, long de 27 mètres et parallèle à la villa, sert de bassin de natation. Une piscine familiale agrémentée de deux plongeoirs à l’allure graphique. Enfin, l’architecte paysagiste dote le jardin d’une roseraie et d’un potager.


La famille Cavrois inaugure leur villa le 5 juillet 1932 à l’occasion du mariage de leur fille Geneviève. La demeure surprend, suscite des moqueries aussi, ou encore des jalousies, mais ne laisse personne indifférent. Le souhait de Paul Cavrois d’étonner et de détonner au sein de la bourgeoisie industrielle locale, plutôt traditionnelle, est exaucé!

Les Cavrois habiteront leur château cubiste jusqu’en 1939 où la guerre les obligent à migrer vers leur propriété normande. Occupée de 1940 à 1944 par les troupes allemandes pendant la Seconde Guerre Mondiale, la demeure ressort abîmée du conflit.


En 1947, Paul et Lucie Cavrois lancent des travaux de rénovation et de transformation afin d’accueillir leur famille élargie: leurs fils Paul et François qui travaillent pour l’entreprise familiale, sont désormais mariés. Les aménagements sont confiés à l’architecte Pierre Barbe et, en 1959, la famille se réinstalle dans la villa.


Tout bascule à la mort de Paul Cavrois le 10 octobre 1965: si son épouse reste à demeure, ses fils, touchés par la crise de l’industrie textile, souhaitent déménager. L’entretien de la villa est onéreux. Elle se dégrade petit à petit et à la mort de leur mère le 29 avril 1985, les enfants Cavrois décident de vendre la propriété familiale. Le mobilier, d’abord, ainsi que certains décors, sont cédés à un antiquaire. La villa est vendue en 1987 à un voisin. Ce dernier, à la tête de la société de promotion immobilière Kennedy-Roussel, entend bien détruire le bâtiment qu’il ne trouve pas à son goût afin de lotir le terrain et d’y construire six immeubles.


La villa Cavrois ne doit son salut qu’à une poignée d’amateurs qui se battent et fondent en 1990 l’Association de sauvegarde de la villa Cavrois pour tenter d’empêcher sa destruction. Classée au titre des monuments historiques le 12 décembre 1990, la villa paraît hors de danger. Mais c’était sans compter sur la malhonnêteté de son propriétaire qui, voyant la réalisation de son opération immobilière compromise, décide de démonter et vendre les décors, puis de laisser le bâtiment à l’abandon, et à la merci des squatteurs et autres vandales.


Finalement, un compromis est signé en 2001 entre le propriétaire et l’État. La villa Cavrois est en ruines. Un long chantier de restauration est lancé en 2003 afin de rendre à l’ensemble architectural son aspect initial de 1932. La villa Cavrois telle que l’on peut désormais la visiter est inaugurée en avril 2015.

Emblématique du renouveau et de l’innovation dans l’architecture de l’entre-deux-guerres, la villa Cavrois est à mi-chemin entre deux mondes, deux époques, l’une en voie de disparition, l’autre en voie de développement. D’abord représentative d’une société révolue, où les riches familles d’industriels logeaient et recevaient dans de véritables châteaux avec tout le personnel de service nécessaire, elle est également symbolique d’une époque où la modernisation des habitations est au cœur des préoccupations pour gagner en confort et en qualité de vie: plus que les décors, les techniques de construction, le choix des matériaux et la structure architecturale des logements doivent avant tout leur permettre d’être fonctionnel.

Maintenant que vous en savez plus sur cette demeure moderne atypique, je vous propose d’en explorer certaines des pièces les plus remarquables.

LES PIÈCES REMARQUABLES DE LA VILLA CAVROIS


LE REZ-DE-CHAUSSÉE


Commençons par le rez-de-chaussée qui se compose des pièces de vie et de réception, mais aussi des espaces destinés au service.


LE HALL-SALON

C’est la pièce centrale de la villa. Et la plus impressionnante, sûrement. Un peu comme les salons de réception des châteaux des 17e et 18e siècles, le hall-salon est conçu comme le point autour duquel le reste des espaces s’articule. Ici, ce qui impressionne d’abord, ce sont les dimensions: 6,75 mètres de hauteur sous plafond, pour une surface de 92 mètres carrés. Entièrement éclairé par une baie vitrée qui, du sol au plafond, tient lieu de paroi côté sud, le salon s’ouvre sur une grande terrasse qui, elle-même, offre une perspective sur le jardin, prolongée par le miroir d’eau qui porte le regard jusqu’au fond du parc. Parquet en mosaïque, peinture vert pâle, meubles en noyer recouverts de tissu vert, marbre… le luxe des matériaux et la modernité du mobilier type Art-Déco traduit, dès le début de la visite, le haut statut social des propriétaires.

Le hall-salon, remeublé en partie des meubles d’origines, se compose de trois espaces.

D’abord, particulièrement chaleureux et intime, se tient, à gauche, le coin cheminée, tout en marbre jaune de Sienne (jaune comme le feu). Son côté «cosy» est renforcé par sa configuration en alcôve cylindrique.


Au fond à droite, le coin repos, situé dans un renfoncement avec une hauteur sous plafond plus réduite, offre un espace d’intimité aux résidents. Table, fauteuils et sofa permettent à chacun de trouver sa place au calme.


Enfin, au centre de cette pièce-cube, c’est dans l’espace salon que les Cavrois s’assoient avec leurs invités. Sur le mur de droite, summum de la technologie de l’époque, des haut-parleurs intégrés permettent de diffuser ici, mais aussi dans toute la maison, de la musique ou même des messages des propriétaires.


LA SALLE À MANGER DES PARENTS

Depuis le hall-salon, une double paroi coulissante ouvre sur la magnifique salle à manger de réception dite ‘salle à manger des parents’. Au-delà de la baie vitrée, source de lumière naturelle, l’éclairage réside ici dans le néon surdimensionné en aluminium chromé qui surplombe la table, tout juste restituée, et un ensemble de chaises en cuir et poirier noirci. A la pointe de la technologie, ce néon présente trois fonctions d’éclairage qui permettent d’adapter la lumière à la longueur de la table.

Face à la baie vitrée, un immense miroir permet aux invités assis dos au jardin d’admirer le parc malgré tout. Mais le plus impressionnant est, ici le marbre vert de Suède que l’on retrouve au sol et sur les murs, qui donne une vraie personnalité à la pièce. Cette salle à manger est emblématique du concept d’architecture moderne porté par Mallet-Stevens. Le luxe ne se révèle pas ici dans une opulence de décors ou d’ornementations, mais dans le choix de matériaux précieux (laiton chromé, marbre, poirier noirci) qui, par leur qualité et leur placement, créent l’identité esthétique de la pièce.


LA SALLE À MANGER DES ENFANTS

Attenante à la salle à manger des parents se trouve, logiquement, la salle à manger des enfants. La table et les chaises sont d’origine. Le reste du mobilier et des décors est en grande partie restitué. On remarquera notamment le relief en zingana clair verni qui reprend des motifs de jeux d’enfants: quilles, jeu de dames, tourne-disque, croquet, gants de boxe… Ce relief, restitué à l’identique, a été réalisé à l’origine par les frères Jan et Joël Martel, d’après une œuvre de l’artiste Jean-Sylvain Bieth.


L’OFFICE ET LA CUISINE

On entre ici dans les espaces domestiques. La cuisine et son office sont impressionnants par leurs dimensions: hauteur sous plafond, surface de 76 mètres carrés… Mais le choix des couleurs surprend aussi. Tout est blanc, sauf le sol carrelé noir et blanc. L’idée ici, par le choix des matériaux (acier émaillé, carreaux de faïence…) et de la couleur blanche, est de joindre l’esthétique au fonctionnel: le blanc renvoie la lumière des baies vitrées, pour mieux éclairer les travaux des cuisiniers, et la faïence comme le métal permettent de laver plus facilement les plans de travail, les murs et les sols pour une meilleure hygiène.


LES CHAMBRES DE JEUNE HOMME

Situées dans l’aile est réservée aux parents, les deux chambres dites ‘de jeune homme’ accueillent Jean et Michel, les deux fils que Lucie Cavrois a eu de son premier mariage. Tous deux jeunes adultes et plus âgés que le reste de la fratrie, ils bénéficient d’un traitement particulier et ne sont donc pas logés dans l’aile des enfants.


Parmi ces deux chambres, la chambre d’angle est la plus intéressante. Remeublée et restituée dans son état 1932, elle surprend par la polychromie des murs et du mobilier, hommage aux principes géométriques des plasticiens du groupe néerlandais De Stijl, dont Malet-Stevens est proche. Simplicité des formes des meubles -lit encastré, bureau-, harmonie des couleurs -rouge, bleu, marron clair, noir-, cette chambre présente le décor le plus moderne de la villa. Une salle de bain attenante ajoute au confort de cette pièce.

La seconde chambre de jeune homme, dont les meubles n’ont pas été restitués, surprend cependant par le choix des couleurs: le camaïeu de jaunes des murs et le gris de la moquette s’harmonisent parfaitement avec les boiseries et étagères en chêne cérusé noir et blanc.


LE FUMOIR ET LE BUREAU DE PAUL CAVROIS

Contigus au hall-salon, le fumoir, d’abord, puis le bureau de Paul Cavrois complètent le rez-de-chaussée de l’aile parentale (aile Est).


Le fumoir où Paul Cavrois pouvait fumer ses cigares seuls, ou avec ses amis, assis sur la banquette en cuir rouge, est petit, bas de plafond et donc très intime. Il est conçu tout en courbes, et s’il paraît simple dans sa configuration, sa richesse réside dans ses boiseries et son mobilier en acajou naturel de Cuba.

Quant au bureau, si aujourd’hui il n’a pas encore été remeublé, on peut imaginer l’importance de cette pièce pour l’homme d’affaire qu’était Paul Cavrois. Le parquet en chêne, comme les murs, étagères et placards, entièrement couverts de bois de poirier verni, plongent les lieux dans une atmosphère à la fois rigoureuse et confortable, propice à la concentration et au travail.


LES ÉTAGES


Après avoir emprunté le grand escalier en marbre noir et blanc, tout en volume et lumière, le premier étage se répartit entre les pièces parentales, à l’est, et les espaces destinés aux enfants, à l’ouest.


LA CHAMBRE DES PARENTS

La chambre des parents est conçue comme un havre de paix, où les tons comme les matières doivent permettre l’apaisement et le calme nécessaire au repos nocturne.

Le bois plaqué de palmier naturel des meubles se marie à la perfection avec le beige clair des murs et la laine blanche du tapis et du linge de lit. Ouverte sur un balcon qui donne sur le jardin, la chambre bénéficie d’une lumière naturelle mais aussi d’éclairage indirect intégré dans les hauteurs des murs pour ne pas agresser l’œil. Et parce que nous sommes dans une architecture à la pointe de la technologie de l’époque, une horloge et des enceintes, au mécanisme intégré dans les murs, apportent toute sa modernité à la pièce.


LA SALLE DE BAIN DES PARENTS

La salle de bain des parents est l’une des pièces, si ce n’est la pièce, la plus étonnante du premier étage.


Attenante, logiquement, à la chambre des parents, elle est spectaculaire avec sa surface, impressionnante pour une salle de bain, de 46 mètres carrés. Les matériaux utilisés ici, comme le marbre blanc de Carrare au sol, aux murs et sur le mobilier, ou encore le cuivre ou le laiton chromés de la robinetterie et des meubles, affirment l’identité luxueuse de cette pièce intime.

La salle de bain se compose de trois zones.

La première comprend la douche parée d’émaux de Briare et dotées de jets, une baignoire, et un pèse-personne intégré dans la paroi et le sol.

La deuxième accueille les lavabos du maître et de la maîtresse de maison et plusieurs meubles de rangement, ainsi que la coiffeuse de Lucie Cavrois.

La troisième zone, réservée au dressing, est séparée de la précédente par un meuble à étagères en marbre qui, long de trois mètres, permet de poser les parfums, produits cosmétiques et autres affaires personnelles des Cavrois.

Ces deux derniers espaces sont recouverts d’une moquette noire à pois blancs pour donner plus de confort à la salle de bain.


LE BOUDOIR DE LUCIE CAVROIS

L’espace parental se termine par le boudoir de Lucie Cavrois, l’une des pièces les plus intimistes.

L’atmosphère confortable et luxueuse est rendue par l’architecture et le mobilier modernistes conçus par Mallet-Stevens. Les meubles -coiffeuses, fauteuils, sofa, travailleuse- en bois de sycomore, métal et velours vert, tout en lignes droites et courbes géométriques, s’harmonisent ainsi parfaitement avec le bleu ciel des murs, le bleu marine de la moquette et le marbre des briques de la cheminée. Une polychromie on ne peut plus moderne qui se suffit à elle-même pour garantir la richesse intime des lieux.


LA CHAMBRE DE LA GOUVERNANTE ET LES CHAMBRES DES ENFANTS

L’aile ouest du premier étage, destinée aux enfants, se compose d’un enfilement de trois chambres, de deux salles de bain et d’un office. Ici, les espaces ne sont pas remeublés et seule la chambre des filles et celle de la gouvernante, ainsi que les salles de bain, ont retrouvé leurs couleurs d’origine. La chambre des garçons est volontairement conservée dans son état d’avant restauration pour témoigner des dégâts existants avant la prise en main par le Centre des monuments nationaux, mais aussi de la structure de la maison.

La chambre des filles présent deux nuances de bleus, celle de la gouvernante des tonalités orangées et rouges pâles, et celles des garçons était vraisemblablement peinte en jaune citron.


LA SALLE DE JEU ET LES SALLES D’ÉTUDES (AU 2E ÉTAGE)

Dernières pièces de la villa que l’on visite, la salle de jeu et les salles d’études des enfants se situent au deuxième et dernier étage. Un isolement qui permet aux cris de joie et de jeux de ne pas arriver jusqu’aux espaces réservés aux adultes.

Avec une surface de 72 mètres carrés, la salle de jeu, d’abord, accueille les enfants pour leurs moments de loisirs. La balustrade qui s’y trouve peut, grâce à une barrière amovible, se transformer en scène de théâtre pour les spectacles imaginés par ces jeunes acteurs en herbe.


Attenantes à cette scène, deux pettes pièces, servent de salles d’études. Leurs bureaux en angle à deux places permet d’accueillir deux élèves qui peuvent travaille sans qu’ils ne se dérangent.


MON AVIS


Je connaissais déjà le travail de Robert Mallet-Stevens à travers la Villa Noailles, à Hyères, que j’ai eu l’occasion de visiter à plusieurs reprises. Admirateur de son travail moderniste, j’avais très envie de découvrir son projet emblématique qu’est la villa Cavrois.


Je n’ai pas été déçu et j’ai même été conquis par ma visite. Des extérieurs aux intérieurs, il y a beaucoup à voir à la villa Cavrois. La rénovation est incroyablement réussie, et le mobilier comme les décors restitués nous plongent directement dans l’architecture moderne de l’entre-deux-guerres.


N’hésitez pas à vous rendre à Croix, près de Lille, pour explorer la villa Cavrois. Une visite qui plaira aux amateurs de patrimoine et d’architecture comme aux curieux qui souhaite mieux comprendre le fonctionnement d’une riche demeure des années 1930.


INFORMATIONS PRATIQUES


La villa Cavrois est ouverte tous les jours de 10h à 18h sauf le lundi.

Il faut compter environ deux heures de visites si vous prenez le temps d’explorer les jardins.


SOURCES

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