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MUSÉE DES DENTELLES ET BRODERIES DE CAUDRY: SAVOIR-FAIRE, HISTOIRE ET PATRIMOINE INDUSTRIEL


Musée des dentelles et broderies de Caudery
Démonstration de rebroderie de dentelle

Le Musée des Dentelles et Broderies de Caudry, dans le département du Nord (59), est un lieu surprenant et passionnant pour qui aime la mode, la création textile ancienne et contemporaine, mais aussi et surtout l’histoire -industrielle, régionale, sociale- et le patrimoine artisanal et vivant -métiers d’art, savoir-faire.

 

Installé dans un bâtiment de briques rouges à l’architecture typique de la région, construit en 1898 pour accueillir l’industrie dentellière de Théophile et Jean-Baptiste Carpentier, le musée retrace aujourd’hui l’histoire et l’ensemble de la chaîne de fabrication de la dentelle Leavers, une technique industrielle qui a fait, et fait encore, la renommée de la ville pour sa créativité et sa haute qualité. C’est d’ailleurs à Caudry qu’a été produite la dentelle de la robe de mariage de Kate Middleton en 2011.



Car si, des pièces de lingerie les plus délicates aux robes de haute couture les plus somptueuses, la dentelle fait partie des textiles incontournables que nous connaissons toutes et tous, les techniques de tissage ou de tricotage sont cependant nombreuses, et souvent propres à un pays ou une région spécifique. C’est le cas ici, dans la ville de Caudry qui, au 19e siècle, s’est spécialisée dans la fabrication de la dentelle dite ‘Leavers’ – en référence aux métiers sur lesquels elle est tissée -, et dans son ennoblissement par la broderie. Des savoir-faire locaux et traditionnels qui, au fil du temps, se sont érigés en un véritable art textile reconnu dans le monde entier.

 

Visiter le Musée des Dentelles et Broderies de Caudry, c’est d’abord s’immerger au cœur de ce patrimoine industriel créatif caudrésien. Le parcours invite ainsi à comprendre la chaîne de fabrication de la dentelle Leavers, ainsi qu’à découvrir les différents métiers et savoir-faire qui intègrent chaque étape de sa réalisation, depuis sa conception jusqu’à ses finitions et ennoblissements. Lors de ma visite à Caudry, j’ai pu en particulier explorer les techniques traditionnelles de broderie sur dentelle grâce à Renée Pierrard, rebrodeuse et démonstratrice du musée, qui pratique ce métier depuis l’âge de 14 ans, et que j’ai eu la chance d’interviewer pour Les carnets d’Igor (interview à retrouver en podcast ici et sur toutes les plateformes d’écoute).



Pour ma part, la visite s’est poursuivie par l’exploration des archives textiles du musée qui m’ont été ouvertes spécialement, et qui reflètent toute la richesse créative de l’industrie dentellière caudrésienne. J’ai ensuite traversé les siècles pour voyager vers le futur grâce à ‘MOVING LACE, LA DENTELLE EN MOUVEMENT’. Cette exposition temporaire, parrainée par la maison de couture On Aura Tout Vu et réalisée par le biais de LabLace, le laboratoire créatif du musée, plonge les visiteurs au cœur de l’innovation. Jusqu’au 26 août 2024, elle présente ainsi les silhouettes des lauréats du premier concours organisé en 2023 auprès d’étudiants en stylisme autour de l’utilisation de la dentelle dans la création mode contemporaine. Si vous venez à Caudry, je vous invite à prendre le temps de parcourir cette exposition qui vous surprendra certainement par son audace créative.



Mais avant de partager avec vous ma visite et la découverte du Musée des Dentelles et Broderies de Caudry (Toutes les informations pratiques ici), je vous propose de commencer par un point histoire. Après les origines historiques et géographiques de la dentelle française, je vous invite à découvrir plus particulièrement l’histoire, les métiers et les secrets de fabrication de la dentelle Leavers autour de laquelle s’est développée la ville de Caudry au 19e siècle. Une ville et une région qui restent, aujourd’hui encore, un pôle important pour la création dentellière: ses six entreprises toujours en activité produisent à elles seules 75% de la dentelle Leavers mondiale, et exportent plus de 80% de leur production vers les marques de haute couture et de prêt-à-porter de luxe internationales.

 

LA DENTELLE FRANÇAISE, UNE HISTOIRE ET DES SAVOIR-FAIRE SÉCULAIRES

 

Sans entrer dans une longue rétrospective historique de la dentelle, il faut savoir que ce textile délicat et ajouré, composé d’un fond tissé sur lequel sont noués ou entrelacés un réseau de fils dessinant des motifs, est d’abord réalisé à la main avant d’être mécanisé au 19e siècle.

 

Dès le 13e siècle, une technique de dentelle à l’aiguille venue d’Orient gagne l’Occident. Mais on admet qu’il faut attendre quelques siècles encore pour que son utilisation se fasse plus large et régulière. Ainsi, c’est au 16e siècle en Italie, à Venise – sur l’île de Burano en particulier-, et dans les Flandres, que serait née la dentelle d’ornement. Appelée alors passementerie, elle est importée à la cour de France par la future reine Catherine de Médicis (1519-89). Rapidement nommé dentelle, en référence aux petites dents que forment ses bords, ce tissu très raffiné est avant tout un produit de luxe et un signe extérieur de richesse pour la haute société d’alors. L’une des premières mentions de ‘dentelle’ date ainsi de 1545, dans la description du trousseau de mariage de la sœur de François 1er (règne 1515-1547), Marguerite de Navarre.



Mais à l’époque, la dentelle est encore italienne, et elle est surtout quasi exclusivement réservée aux hommes qui, pour certains, en abusent allègrement. Il faut alors attendre le 17e siècle pour que les femmes commencent à s’en emparer, mais aussi et surtout le 19e siècle pour que Napoléon 1er en décrète un usage uniquement féminin. Quoi qu’il en soit, c’est sous le règne de Louis XIV (r.1643-1715) que les premières manufactures dentellières françaises voient le jour, à l’initiative du principal ministre du roi, Jean-Baptiste Colbert (1619-1689), notamment à Alençon, au Puy-en-Velay, ou dans le Nord de la France, mais aussi en Normandie comme à Caen et Bayeux.



Très vite, par leur délicatesse, les dentelles françaises séduisent les cours européennes. Toujours réalisées à la main par des dentellières à l’époque, leur production est croissante jusqu’à la Révolution où le secteur est mis en péril. Il faudra attendre la mécanisation de la fabrication dentellière pour qu’au 19e siècle, la production française se relance et se développe considérablement, notamment dans les régions du Nord de la France. Nées de cette industrie dentellière florissante, des villes comme Calais ou Caudry vont ainsi prospérer et s’agrandir jusqu’à la Première Guerre Mondiale.



Par la suite, plusieurs facteurs vont conduire à une véritable crise de l’industrie dentellière française: la crise des années 1930, d’abord; la seconde Guerre Mondiale, ensuite; puis le développement de dentelles bon marché, moins qualitatives ou créatives -mais aussi moins chères- dans les années 1950-60; ou encore le changement d’habitudes (par exemple, l’arrêt de l’obligation de porter des mantilles à l’église), ou l’évolution vers une mode moins habillée. De nombreuses entreprises font ainsi faillites ou se regroupent face aux difficultés.


Mais dans le Nord du pays, la créativité et le raffinement de la dentelle de Calais-Caudry, ainsi labellisée et protégée dès 1958, n’ont rien perdu de leur réputation. Les industriels vont alors se recentrer avec succès sur une production ultra-qualitative à destination des marchés du luxe, de la Haute-Couture et du prêt-à-porter haut de gamme. Aujourd’hui encore, la dentelle française reste une référence dans le monde entier par la richesse de ses créations et l’excellence de ses savoir-faire à la fois traditionnels et innovants.

 

Parmi les villes emblématiques qui perpétuent ces métiers d’exception, Caudry est l’un des pôles géographiques les plus importants de l’industrie dentellière française. Sa spécificité? la dentelle Leavers. Une technique unique que ses industriels sont les seuls à encore maîtriser et qui fait leur renommée internationale. Avant d’aller plus en détails sur cette dentelle Leavers, son histoire et ses procédés de fabrication, comme nous invite à le faire le Musée des Dentelles et Broderies de Caudry, je vous propose de revenir rapidement sur l’histoire de l’industrialisation de la dentelle et sur les principales typologies qui existent.

 

LES DIFFÉRENTS TYPES DE DENTELLES ET LEUR HISTOIRE

 

Avant toute chose, il faut ici distinguer la fabrication à la main de la fabrication mécanique et industrielle. Concernant la dentelle faite main, comme ce fût le cas jusqu’au 19e siècle, on recense deux techniques.


La technique de la dentelle à l’aiguille, d’abord, nécessite un parchemin que les dentellières, équipées d’une aiguille et d’un fil, suivent pour réaliser le fil de trace par-dessus lequel on va venir tisser le réseau qui créera les motifs. Parmi les dentelles à l’aiguille, on trouve principalement la dentelle d’Alençon, avec ses mailles résistantes et régulières qui relient des motifs en relief; et la dentelle de Venise ou Burano, avec ses arabesques et motifs circulaires.



La seconde technique, la dentelle au fuseau, permet, grâce à des petites bobines appelées fuseaux, de croiser les fils sur un ‘carreau’ (support textile) pour créer, toujours d’après un dessin réalisé sur papier, un tissage de motifs délicats et résistants. Parmi les dentelles au fuseau, on trouve :

  • La dentelle de Chantilly: née dans la ville du même nom au 17e siècle, elle est souvent noire et se reconnaît à ses décors fleuris et délicats. Marie-Antoinette et Madame du Barry en étaient très friandes.


  • La dentelle de Flandres ou de Hollande : ici, les motifs sont réalisés à part, avant d’être assemblés pour créer le dessin final.

  • La dentelle de Cluny : les motifs, principalement géométriques et en forme de rosaces, sont réalisés indépendamment puis assemblés, comme pour la dentelle de Flandres. Ce style de dentelle, plus épais, se retrouve notamment dans les napperons. La dentelle du Puy, originaire du Puy-en-Velay, est une variante du point de Cluny.

  • La dentelle de Valencienne : elle se présente sous forme de petites bandes aux motifs géométriques ou floraux, dessinés sur un fond très aéré.

  • La dentelle Blonde: née à Caen au 18e siècle, et fabriquée dans toute la Normandie, notamment à Bayeux, elle prend la forme de rubans ou de volants à monter, mais aussi parfois de mantilles, de châles ou d’étoles à porter.

 

Il existe bien d’autres types de dentelles réalisée à la main, que ce soit à l’aiguille comme au fuseau. Cependant, ces deux techniques artisanales ont pour point commun d’être très complexes, fastidieuses et coûteuses en temps humain.

 

Tout va changer au 19e siècle avec l’apparition de la fabrication mécanique de la dentelle. Cette industrialisation du secteur a en effet permis de réaliser de plus grandes quantités de matière en un moindre temps, avec une main d’œuvre plus réduite. Ici, il s’agit de reproduire les gestes des dentellières sur des machines, et donc à une échelle industrielle, grâce à des métiers à tisser spécialement adaptés.

 

C’est en Angleterre, à la fin du 18e siècle, et surtout au début du 19e, que les premiers métiers chaîne et trame font leur apparition, imitant les techniques manuelles des tisseurs.

 

Point anecdote : Qu’est-ce que la technique de chaîne et trame?


Il existe deux façons de réaliser un textile: le tissage et le tricotage. Le tissage est ni plus ni moins l’enchevêtrement de fils verticaux -les fils de chaîne, plus solides- et horizontaux -les fils de trame. Sur les métiers à tisser en chaîne et trame, les fils de trame viennent dessiner des motifs en croisant les fils de chaîne, en alternance par-dessus et par-dessous. Plusieurs types de tissages existent alors, déterminés par ce qu’on appelle des ‘séquences’. On ne les détaillera pas ici, mais, chaque type de séquences permet la fabrication d’une armure bien spécifique, soit une structure plus ou moins complexes, qui apporte certaines qualités visuelles et techniques au tissu final. Parmi les principales armures : la toile ou le taffetas, où la trame passe de manière régulière et en alternance au-dessus, puis en dessous du fil de chaîne; l’armure sergé ou diagonal, où la trame passe en dessous d’un fils de chaîne, puis au-dessus de 2 fils de chaîne minimum, en se décalant à chaque fois; l’armure satin ou atlas, où la trame passe au minimum au-dessus de quatre fils de chaîne, puis repasse en dessous d’un seul (ici, les points de jonction sont espacés et ne se touchent pas, formant un motif typique en diagonales).



Quant au tricotage, il réside dans l’entremêlement de boucles (ou de mailles) de fils à l’aide d’aiguilles, pour créer ce qu’on appelle un tricot, dont les propriétés intrinsèques d’élasticité et de souplesse sont particulièrement hautes.

 

John Heathcoat métier Bobbin
John Heathcoat

Revenons à la dentelle. À partir des métiers chaîne et trame, l’anglais John Heathcoat (1783-1861) invente, en 1808-1809, un métier dit de tulle Bobbin. Révolutionnaire, le système de charriots et de bobines du métier Bobbin permet de tisser ensemble, selon un procédé mécanique complexe que je ne détaillerai pas ici, un fil de chaine vertical avec deux fils de trames obliques qui, eux, se croisent, pour produire à la fin ce qu’on appelle du tulle (un textile ajouré sans motif, très régulier et résistant). Au-delà d’une utilisation telle quelle grâce à sa finesse et sa souplesse, ce nouveau type de tulle servira aussi de support pour la réalisation de la dentelle.


Dans les années 1810, alors que l’Angleterre connaît une crise économique, notamment à cause du protectionnisme français imposé par Napoléon 1er qui interdit l’importation des textiles anglais, beaucoup d’ouvriers britanniques vont passer la Manche clandestinement avec leurs métiers Bobbin en pièces détachées. Colonisant les villes du Nord de la France, ils vont apporter avec eux leurs savoir-faire. Les mulquiniers, des tisserands de la région de Cambrai, vont alors être les premiers à s’emparer de cette nouvelle technique. En effet, si, depuis le Moyen-Âge, ils sont spécialisés dans le tissage de toiles de lin extrêmement fines qu’ils exportent dans toute l’Europe, les mulquiniers sont en grande difficulté après la Révolution, et ils cherchent à reconvertir leurs activités. Ils vont ainsi se tourner vers la fabrication de tulle, et seront vite suivis par d’autres villes du Nord, comme Valenciennes, Calais, Lille, Saint-Quentin et Caudry où se développent d’importants centres tulliers.

 

Cependant, la véritable révolution industrielle qui va assoir la prospérité de la région pour des décennies va venir d’une double invention. Celle du métier Leavers, d’abord, en 1813-14. En Angleterre, John Levers (le ‘a’ sera ajouté par les Français) réussit en effet à améliorer le métier Bobbin afin de reproduire la torsion des fils et le geste des dentellières pour créer, mécaniquement, une dentelle fine et précise, semblable à celle réalisée jusqu’alors par les mains humaines. Mais, et c’est encore plus essentiel pour l’avenir de la dentelle française, cette innovation de John Leavers va être améliorée par celle des ingénieurs Jourdan et Ferguson. En 1838, ces-derniers, installés à Cambrai, vont réussir à combiner deux techniques existantes, le métier Leavers et la mécanique Jacquard, pour permettre la réalisation en simultanée du tulle qui servira de fond à la dentelle, et des motifs complexes qui en feront un textile fin, sophistiqué, résistant et infiniment créatif.


 

Qu’appelle-t-on la mécanique Jacquard ?


La mécanique Jacquard permet de remplacer et reproduire mécaniquement le travail de l’ouvrier tisseur. Selon le dessin à réaliser, ce dernier devait, en effet, actionner manuellement chaque corde du métier à un moment précis, afin de soulever les fils de chaîne et de laisser ainsi passer les fils de trame qui devaient composer l’armure et le motif final.

 

Désormais, à l’image d’un code informatique, les dessins sont ‘codés’ sur des cartons percés selon un principe binaire de trous et de pleins. Reliés entre eux pour définir le dessin final, et grâce à un système complexe d’aiguilles et de bandes, les cartons dictent ainsi à la machine le mouvement des bobines, des peignes et des fils, qui permettra une production plus rapide de tissus complexes.



Si le principe de la mécanique Jacquard existe en France depuis 1745, c’est l’ingénieur lyonnais Joseph Marie Jacquard (1752-1834) qui va le perfectionner à partir de 1801, avant de le diffuser de manière industrielle grâce au soutien financier de Napoléon 1er. Cette invention suscita cependant de nombreuses contestations sociales puisqu’elle prenait leur travail aux ouvriers du textile. Ainsi, dans les années 1830 et 1840, plusieurs révoltes de Canuts, les célèbres soyeux lyonnais, ont vu la destruction de nombreux métiers Jacquard. Quoi qu’il en soit, cette invention révolutionnera l’industrie textile française et mondiale.

 

Les nouveaux métiers Leavers augmentés de la mécanique Jacquard vont faire la richesse et la renommée des industries dentellières du Nord de la France, jusqu’à aujourd’hui où, bien que réduite après une succession de crises conjoncturelles et structurelles, la fabrication de dentelle Leavers françaises s’exporte toujours aux quatre coins du monde.

 

D’autres types de dentelles mécaniques vont cependant venir concurrencer la dentelle Leavers. Parmi les principales, on recense:

  • La dentelle Rachel : née dans les années 1950 en Allemagne, elle n’est pas tissée mais tricotée, et les métiers Rachel sont ainsi une déclinaison des métiers à tricoter. Brodés sur un fond en tulle maille, les motifs plats réussissent à imiter ceux réalisés par les métiers Leavers, mais avec une qualité et une résistance bien moindres. En effet, parce qu’elle est tricotée et non tissée, la dentelle Rachel est plus fragile. On en a d’ailleurs tous déjà fait l’expérience: lorsque l’on coupe le fil d’un pull ou d’une maille tricotée, l’ensemble risque de se déstructurer, contrairement au tissus, plus solide, qui peut être coupé sans se décomposer. Moins cher à produire, ce type de dentelle se retrouve ainsi dans beaucoup de vêtement moyen ou bas de gamme.

  • La dentelle Jacquard : attention, il s’agit d’une dentelle qui reprend la mécanique de tissage Jacquard sans permettre la finesse des dentelles Leavers. Elle est ainsi moins délicate, plutôt épaisse, et propose des dessins plus simples. Ses coûts de production sont cependant également plus faibles, donc adaptés à des marchés plus larges.

 

Ces types de dentelles, moins chères que la dentelle Leavers, sont aussi moins qualitatives et moins créatives. En effet, leurs techniques de production, certes moins onéreuses, ne permettent pas de réaliser des textiles à la fois solides et délicats. Par ailleurs, d’un point de vue éthique, elles sont bien souvent fabriquées dans des destinations extra-européennes où, porté par une très faible protection sociale, le coût de la main d’œuvre est bien plus bas qu’en Europe ou dans le Nord de la France.

 

Ainsi, bien que défiées par cette concurrence internationale, les dentelles Leavers françaises, produites majoritairement à Calais et Caudry, restent premières sur les marchés de la mode créative haut de gamme. Si Calais produit principalement des bandes de dentelles sophistiquées pour la lingerie et la corseterie, Caudry est plus particulièrement spécialisée dans la fabrication de dentelle pour le vêtement féminin, la robe du soir, de Haute Couture ou de mariée, grâce à ses métiers Leavers de grande largeur.



Aujourd’hui, le label d’Indication géographique «Dentelle de Calais-Caudry®» est déposé et précis. Il dérive de la marque Dentelle de Calais® créée en 1958, et s’impose comme une « une marque déposée et protégée, exclusivement réservée à la dentelle fabriquée sur des métiers Leavers par les maîtres dentelliers de Calais et de Caudry, selon un procédé unique de nouage entre la chaîne et la trame, datant du début du 19e siècle » (extrait du dossier de présentation du Musée des Dentelles et Broderies de Caudry).

 

Mais le plus simple pour se rendre compte de la richesse de ce patrimoine industriel reste de visiter le Musée des Dentelles et Broderies de la ville, où je vous invite à me suivre ci-après.

 

LE MUSÉE DES DENTELLES ET BRODERIES DE CAUDRY: UN SAVOIR-FAIRE INDUSTRIEL D’EXCEPTION

 

Situé dans une ancienne usine de fabrication de dentelles Leavers de la fin du 19e siècle, le Musée des Dentelles et Broderies de Caudry présente de manière pédagogique l’histoire et les techniques dentellières qui ont fait la prospérité et la réputation de la ville.



Avant de pénétrer dans les salles où sont exposées les outils industriels, et où un ancien tulliste (ouvrier de la dentelle) explique les procédés de fabrication de la dentelle Leavers, la visite débute par un film d’introduction reprenant les grandes étapes de l’histoire industrielle et dentellière de Caudry.

 

Comme nous l’avons vu précédemment, un réseau de tulliers se développe dans le Nord de la France au début du 19e siècle. Caudry n’échappe pas à cette révolution industrielle, et la ville va d’abord se spécialiser dans la fabrication de tulle de coton, comptant déjà, en 1827, 25 fabriques et 220 métiers de tulle Bobbin, avant de se spécialiser dans la dentelle Leavers dès l’arrivée du premier métier dédié en 1840.

 

Cependant, il faut attendre les années 1880 pour que le bassin caudrésien connaisse un réel essor. Alors que l’utilisation de la dentelle gagne toutes les couches de la société, et que les nouveaux modes de financement à crédit permettent d’investir dans le matériel et les innovations, les industries dentellières fleurissent à Caudry. La ville s’agrandit, redessinant ses rues et ses infrastructures; elle prospère, créant de nombreux emplois, et les grandes maisons de maître s’élèvent en même temps que poussent les corons, ces habitations ouvrières typiques en briques rouges. D’ailleurs, si vous venez à Caudry, vous ne pourrez pas manquer de remarquer cette architecture urbaine qui témoigne encore du passé industriel de la ville.



Dès la fin du 19e siècle, la dentelle de Caudry se forge ainsi une véritable réputation internationale et commence à s’exporter dans le monde entier. C’est à cette époque que les industriels de la ville se diversifient en ajoutant aux savoir-faire des dentelliers, ceux des brodeuses. L’une des particularités de Caudry devient alors l’ennoblissement de la dentelle par la broderie mécanique. À l’aube de la Première Guerre Mondiale, on dénombre ainsi 177 fabricants, 600 métiers de dentelle Leavers, 550 métiers de tulle Bobbin, 630 métiers pour la broderie, et 30 métiers de guipure -la guipure étant un type de dentelle Leavers sans fond, aux fils épais, et dont les motifs sont reliés par des brides. La ville de Caudry, quant à elle, est passée de 1926 habitants en 1804 à 13 000 en 1904.

 

Par ailleurs, l’apparition de la Haute Couture dans les années 1880, et son avènement pendant la Belle Époque, vont servir les denteliers qui, portés par une demande croissante de nouveautés, vont développer leur créativité et proposer une multiplicité de motifs et dessins artistiques, aux accents tantôt abstraits, tantôt figuratifs.


Mais cette période de prospérité ne va pas durer. Les conséquences de la Grande Guerre sont en effet désastreuses pour l’industrie dentellière caudrésienne: la ville est envahie, les métiers détruits et les usines pillées. Cependant, il en faut plus pour anéantir des décennies de développement. Ainsi, si dans un premier temps ces drames affaiblissent ses industriels, Caudry finit par se relever et à renforcer son identité dentellière.

 

Grâce aux indemnisations reçues en contrepartie des dommages de la guerre, les industries caudrésiennes se reconstruisent, se modernisent et investissent dans de nouveaux métiers Leavers plus longs, adaptés à ce qui sera désormais la particularité de la dentelle de Caudry: la fabrication de grandes lés de dentelles pour la robe haute couture et l’ameublement -là où Calais continuera la production de bandes pour la lingerie. Les années 1920 sont ainsi riches de créativité. Les dentelliers caudrésiens se réinventent et s’adaptent pour proposer de nouveaux motifs en lien avec les tendances des couturiers parisiens comme Jacques Doucet ou Paul Poiret, et la dentelle se fait lamée, exotique, ou encore géométrique...

 

J’ai eu la chance d’accéder à quelques archives de l’époque avec des motifs originaux sublimes et aux accents Art Déco, comme cette magnifique pièce de dentelle représentant les principaux monuments de Paris, créée en 1925, ou ce précieux carnet d'échantillonnage des années 1920-1930. En voyant la richesse et la sophistication des propositions, on comprend comment la dentelle de Caudry a réussi à se démarquer.



Par la suite, traversant les épreuves, de la grande crise des années 1930 successive au Krach boursier de Wall Street en 1929, aux conséquences de la Seconde Guerre Mondiale, la dentelle de Caudry saura conserver sa notoriété dans l’adversité. Et bien que ses effectifs se soient réduits, dans les années 1950 et 1960, l’industrie caudrésienne continuera à collaborer avec les nouveaux couturiers de l’époque, de Dior à Saint-Laurent, en passant par Chanel, Balenciaga ou Givenchy. C’est aussi à cette époque que les industriels diversifient les matières avec lesquelles ils réalisent la dentelle: du coton, de la soie ou du lin, on passe à la rayonne, au nylon ou au lurex. Et face aux innovations techniques de régions ou pays concurrents qui proposent désormais de la dentelle à bas prix, la dentelle Leavers de Caudry garde le cap grâce à une qualité et une créativité inégalées.

 

Enfin, si les années 1970 sont particulièrement compliquées pour la dentelle, les années 1980, 1990 et 2000 marquent le retour de son utilisation dans les collections des couturiers, mais aussi par les maisons de prêt-à-porter de luxe qui émergent. La dentelle se fait alors ultra créative, innovante aussi, avec des ennoblissements inattendus ou des emplois parfois habilement détournés, dans une approche à la fois couture et extrêmement moderne.

 

Aujourd’hui, la dentelle de Caudry ne cesse de se réinventer grâce aux dessinateurs et aux industriels qui continuent à innover tout en perpétuant des savoir-faire traditionnels uniques qui confèrent à leur dentelle une finesse et une transparence exceptionnelles. Les motifs se font à la fois contemporains, élégants et raffinés, tandis que les dentelles s’ennoblissent de nouvelles matières, du silicone au PVC, en passant par des enduits métallisés ou des jeux de contrecollages sur des matières plus techniques.

 

«MOVING LACE. LA DENTELLE EN MOUVEMENT» JUSQU’AU 26 AOÛT 2024


Le regard contemporain sur la dentelle de Caudry se retrouve régulièrement mis en lumière lors d’expositions temporaires scénographiées au premier étage du musée.

 

L’exposition actuelle, intitulée «Moving Lace. La dentelle en mouvement», qui se tient jusqu’au 26 août 2024, présente ainsi les créations des lauréats du premier concours d’envergure internationale organisé en 2023 par le musée via son laboratoire créatif LabLace. L’idée? Stimuler la créativité et la curiosité des étudiants d’écoles de mode pour la dentelle Leavers en les sensibilisant au potentiel de cette matière, mais aussi en suscitant chez eux de nouvelles pistes d’innovation par l’utilisation d'ennoblissements d'avant-garde ou des applications inédites.

 

Ce concours est parrainé et présidé par la Maison de Couture On Aura Tout Vu. Fondée en 2002 par les designers Livia Stoianova et Yassen Samouilov, On Aura Tout Vu est réputée et reconnue sur la scène internationale de la mode pour son style déjanté et son univers débridé où détournement de matières, sophistication, artisanat d'art et innovations technologiques se côtoient.



L’exposition surprend par la modernité et l’originalité des pièces présentées. Street Art et sportswear, vestiaire masculin, ennoblissement au silicone, nouvelles technologies et écologie: l’usage que font de la dentelle Leavers les quatre lauréats retenus est pour le moins inattendu. Par leurs points de vue avant-gardistes, Maelyse Guénal (Mod'Art), Cristiano Castelli (IFM Paris), Marion Terle (Ecole de Condé Lyon) et Victoria Bruniaux (LISAA), démontrent toute la versatilité du textile caudrésien, ses qualités créatives et décoratives mais aussi sa force technique et sa résistance physique.

 

Pôle mondial de la dentelle Leavers avec Calais, Caudry accueille aujourd’hui encore six entreprises dentellières toujours en activité: Jean Bracq, Beauvillain Davoine, Darquer-Mery, Sophie Hallette, André Laude et Solstiss. Pour répondre aux problématiques d’une concurrence de plus en plus mondialisée, ces industriels peuvent s’appuyer sur le label Dentelle de Calais-Caudry®, garant d’une origine géographique, d’une qualité, d’une solidité et d’une créativité qui continue de faire toute la différence.

 

Parmi ces entreprises, j’ai eu la chance de rencontrer Jean-Pascal Laude, Directeur des Dentelles André Laude.

 

Les dentelles André Laudes: l’excellence et l'Innovation en héritage

 

Fondée en 1850, par Mr. Stephanie Laude, l’entreprise incarne l'essence même de l'artisanat d'excellence. Orientée dès sa création vers le haut de gamme, cette entreprise familiale a su traverser les époques en restant fidèle à ses valeurs fondatrices tout en s'adaptant aux évolutions du marché mondial.

 

De Mr. Stephanie Laude à Jean Pascal et Xavier Laude, actuellement à la tête de la société, chaque génération a apporté sa contribution à l'expansion de l'entreprise qui exporte à l'international. Forte d’un savoir-faire unique, hérité de 170 ans d'expérience, la société fabrique une dentelle de Caudry de haute qualité sur une quarantaine de métiers Leavers traditionnels, de différentes tailles. Elle dispose, en outre, d’un bureau de dessin interne qui imagine des créations inédites et travaille à partir d’archives pour répondre aux demandes les plus variées des marques et créateurs dans le domaine de l'habillement, du mariage, de la lingerie de luxe et de l'ameublement. Toutes les informations sur le site des Dentelles André Laude.

 


Maintenant que vous savez tout de l’histoire de la dentelle de Caudry et de ses acteurs, il ne reste plus qu’à en comprendre les étapes de fabrication et d’ennoblissement, comme le propose précisément le Musée des Dentelles et Borderies de Caudry à travers l’exposition de machines et d’outils pédagogiques. Vous pourrez également assister aux explications d’un ancien tulliste, mais aussi, sur demande, à celles de la rebrodeuse et démonstratrice Renée Pierrard qui pratique ce métier depuis l’âge de 14 ans (Retrouvez son interview à retrouver ici, sur ce site, et sur les plateformes d’écoute).

  

LES ÉTAPES DE FABRICATION DE LA DENTELLE LEAVERS

 

Comme nous l’avons vu, et comme son nom l’indique, la dentelle Leavers se fabrique sur un métier Leavers -ce métier à tisser spécifiquement créé au 19e siècle- et à partir de dessins originaux, traduits d’un point de vue technique sur des cartons percés qui vont commander la mécanique Jacquard qui, elle, permettra le tissage des motifs dentelliers par le métier.


Mais avant que la dentelle n’arrive sur nos étales ou dans nos garde-robes, les étapes sont nombreuses. On estime qu’il faut environ de 3 à 6 mois entre l’esquisse et l’expédition du textile fini. On compte ainsi quatre grandes phases dans la réalisation de la dentelle:

La création (dessin), la préparation des fils (mise en œuvre du métier), la fabrication en elle-même sur le métier Leavers (le tissage), et la finition (apprêt, ennoblissement, rebroderie, enduction…).

 

Le Musée des Dentelles et Broderies de Caudry nous éclaire ainsi sur l’ensemble du processus, et on s’aperçoit alors combien la fabrication de la dentelle dépend d’une rigoureuse association entre la sensibilité de la main de l’homme et la technicité de la machine. Des techniques et des gestes qui sont appris, transmis et maîtrisés par les tullistes, rebrodeuses et autres ouvriers et ingénieurs qui œuvrent ensemble au bon déroulement de la chaîne de production. Pour un tulliste, par exemple, il faut une dizaine d’années d’apprentissage et de pratique avant de gérer en toute autonomie une machine Leavers.

 

Étape 1 : La Création

 

Au-delà de sa qualité, la richesse et la réputation de la dentelle Leavers de Caudry repose sur sa créativité. Cette première étape est donc essentielle pour que la dentelle réalisée trouve ensuite acheteur.


Au point de départ se trouve alors le dessinateur. Dans une démarche artistique qui lui est propre, selon ses inspirations du moment, mais aussi en concertation avec les bureaux de créations internes ou des cabinets de tendances, le dessinateur imagine le motif de la future dentelle. Une fois défini, ce motif est esquissé sur un calque.



Le metteur en carte va ensuite traduire le travail du dessinateur d’un point de vue technique. Il réalise ainsi ce qu’on appelle la mise en carte: le dessin est agrandi et on indique les mouvements des fils qui sont colorés et numérotés pour permettre une meilleure lisibilité du travail à effectuer.

 

C’est alors qu’intervient le pointeur. Il reproduit sur un ordinateur la mise en carte, en indiquant sur un barème chiffré les coordonnées de chaque fil, pour chaque mouvement du métier.



Pour finir cette première étape, le perceur de cartons retranscrit le langage chiffré (appelé le barème) sur des cartons percés qui commanderont la machine grâce à la mécanique Jacquard. Si cette étape est aujourd’hui informatisée, elle se faisait autrefois à la main sur un piano à percer. Quoi qu’il en soit, les cartons ainsi troués sont assemblés pour constituer la partition finale qui commandera le métier Leavers. Le mécanisme Jacquard va ainsi lire cette succession de cartons perforés qui vont actionner le mouvement des barres qui guident les fils.

 

Étape 2 : la Préparation des fils

 

Plus de 10000 fils sont placés dans le métier Leavers. Des fils qui peuvent être en matières naturelles (coton, soie) ou synthétiques (polyester, élasthanne, viscose…). Ces fils sont répartis entre des rouleaux situés à l’arrière du métier et 3000 à 4500 bobines intégrées dans des chariots à l’intérieur de la machine.

 

Les deux plus gros rouleaux, en bas du métier, contiennent les fils de chaîne qui tisseront le tulle, soit le fond de la dentelle. Les autres rouleaux sont composés des fils de guimpe qui, eux, vont servir à réaliser les motifs et tous les effets dégradés. Les nombreuses bobines placées sur les chariots vont, quant à elles, permettre de relier les différents fils pour créer le réseau final de la dentelle.



Une fois les fils mis en place, l’ourdisseur intervient pour d’abord préparer les rouleaux de chaîne: à l’aide d’un ourdissoir, il va enrouler les fils de chaîne, puis les fils de guimpe, sur des rouleaux métalliques à l’arrière du métier en fonction du dessin à exécuter.

 

Il reste alors à préparer les bobines qui seront intégrées dans des chariots. C’est le bobineur qui a ce rôle. Il écosse (démonte) les bobines vides, extirpe (retire) les éventuels restes de fils, et grâce à une machine appelée mécanique à bobiner, il garnit les bobines de fils extra fins. En amont, et avant que le bobineur y insère les fils, le presseur de bobines a passé lesdites bobines dans un four chaud pour leur redonner leur forme et leur régularité initiales.

 

Le remonteur prend alors la relève du bobineur, et les 3000 à 4500 bobines sont ainsi réparties et intégrées dans les chariots pour être ensuite installée sur le métier.

 

Lorsque la fabrication de la dentelle est en marche, il faut, en moyenne, changer les bobines -et donc recommencer cette étape- tous les trois jours.

 

Étape 3 : la Fabrication

 

L’étape de la fabrication constitue le cœur de la réalisation de la dentelle. Ici, plusieurs métiers et savoir-faire se succèdent.

 

D’abord, le metteur en œuvre règle le Jacquard et prépare les chariots et bobines sur le métier. Puis, entre en scène le tulliste. C’est lui le chef d’orchestre du métier Leavers. Il veille à ce que la dentelle soit parfaitement exécutée, entretient le métier, en même temps qu’il surveille et renoue les fils cassés. C’est lui aussi qui intègre au bon endroit les bons chariots qui contiennent les bobines.



Si vous visiter le musée, vous rencontrerez sûrement, comme moi, Roger, un ancien tulliste qui explique aux visiteurs ce métier difficile et de passion qu’il a exercé toute sa vie.

Prenez le temps de l’écouter, on apprend beaucoup avec lui sur les savoir-faire et les conditions de travail des ouvriers dentelliers.

 

Une fois lancé, le métier Leavers reproduit mécaniquement les gestes des dentellières. Le mécanisme Jacquard commande le mouvement des fils de guimpe (ceux qui réalisent le motif) et des fils de chaîne (ceux qui créent le fond de la dentelle) via des barres d’acier guide-fils. En parallèle, les chariots et les bobines vont se déplacer d’avant en arrière afin de traverser et agripper les fils de chaînes et de guimpe qui vont, eux, pouvoir s’enrouler et s’entrecroiser autour des fils de bobines pour créer des torsions semblables à celles des anciens fuseaux des dentellières. C’est ce jeu de mouvements et d’entrelacements simultanés des différents fils qui va tisser la dentelle et en créer le motif final.

 

Tout au long du process, pour garantir un fonctionnement optimal, un mécanicien est dédié à la maintenance du métier.

 

Étape 4 : les Finitions

 

Une fois réalisées sur le métier Leavers, les pièces de dentelles font entre 11 et 22 mètres de long sur 5 mètres de large. Le tissage et la solidité des dentelles Leavers permet ensuite de les couper en fonction des besoins de clients, ou de la destination produit (90 centimètres de large pour une robe).

 

La dentelle tout juste fabriquée est observée puis réparée à la main par la raccommodeuse à l’écru, avant d’être prise en charge par le coloriste qui va la nettoyer, la blanchir (soit la rendre apte à être teinte), et l’apprêter (en lui appliquant, selon les besoins, un traitement mécanique ou chimique qui peut modifier son toucher, son tombé ou son aspect visuel). Le coloriste va ensuite la préformée, la séchée et la teindre.

 

Une nouvelle fois contrôlée et retouchée par la raccommodeuse à l’apprêt, la dentelle passe aux mains de la découpeuse qui coupe les fils flottants, de l’effileuse qui tire les fils de jonction, et de l’écailleuse qui découpe la dentelle en suivant le contour des écailles (de formes arrondies et situées en bordure de la dentelles Leavers, les écailles en décorent les extrémités autant qu’elles permettent d’indiquer le sens du motif).

 

La dentelle ainsi préparée peut être ennoblie. Cet ennoblissement, qui vise à renforcer la créativité et l’unicité d’une dentelle, peut prendre une large diversité de formes. La dentelle peut ainsi être calandrée (le calandrage consistant à lustrer la dentelle en la passant dans deux cylindres chauffés), imprimée, métallisée, floquée (des fibres de textiles sont projetées et collées à certains endroits), ou encore enduite de nouvelles matières comme le silicone… Mais elle peut aussi et surtout être rebrodée.



C’est le cas à Caudry, où la rebroderie de la dentelle est une véritable marque de fabrique et l’un des savoir-faire qui a fait la renommée de la ville. Ainsi, la rebrodeuse peut ennoblir la dentelle en réhaussant certains motifs grâce à des paillettes, des lacets, des fils métalliques ou encore des rubans. Pour ce faire, la rebrodeuse travaille sur une machine Cornely (inventée par l’ingénieur Emile Cornely en 1865) ou une machine Beyroux (imaginée par les établissements Beyroux, à Paris, à la fin du 19e siècle).

 

Renée Pierrard Musée Dentelles et Broderies  de Caudry
Renée Pierrard

Lors de ma visite du Musée des Dentelles et Broderies de Caudry, j’ai eu la chance d’interviewer l’une de ces anciennes rebrodeuses, Renée Pierrard. Aujourd’hui démonstratrice du musée (rendez-vous sur demande), elle pratique ce métier depuis l’âge de 14 ans. Son interview est à retrouver en podcast ici et sur les plateformes d’écoute.

 


Et après ?

 

Une fois que la dentelle est fabriquée et ennoblie, la plieuse va organiser les pans de dentelles pour les présenter aux clients, tandis que l’échantillonneuse va préparer les échantillons qui serviront aux commerciaux pour vendre les créations dentellières aux plus grandes marques et créateurs de mode.

 

Le reste n’est plus du ressort du fabricant. Les maisons de couture, de luxe ou de prêt-à-porter vont s’emparer de la dentelle pour l’interpréter et l’intégrer dans leurs propres collections créatives.

 

 

Ma visite historique du musée s’arrête ici. La France est un pays de mode et de création, et l’histoire de la dentelle, au-delà d’être passionnante, fait partie intégrante de notre patrimoine culturel et collectif. Précieux témoignage des savoir-faire et des métiers d’art textiles français, la dentelle Leavers de Caudry est, elle-aussi, riche d’une histoire à la fois industrielle, créative, sociale et humaine que l’on ne soupçonne pas au premier abord. Le Musée des Dentelles et Broderies de Caudry permet ainsi d’en explorer tous les ressorts, depuis ses origines jusqu’à ses développements les plus contemporains.

 

MON AVIS

 

Ayant longtemps travaillé dans le secteur de la mode, et en particulier celui de l’industrie textile, la dentelle de Caudry ne m’était pas étrangère. Cependant, avant de visiter le Musée des Dentelles et Broderies de Caudry, je n’imaginais pas la complexité de sa fabrication, la richesse de ses savoir-faire et de son patrimoine industriel, comme la profondeur de son histoire ou l’importance de son impact sur le développement de la ville et de la région (en cela, le patrimoine architectural et social de la ville parle de lui-même).

 

Je vous recommande à la fois de visiter le musée, donc, son parcours historique et ses expositions temporaires, mais aussi la ville, avec son architecture typique du Nord et ses très belles maisons de maître, témoins de la prospérité industrielle passée.

 

Et si vous le pouvez, contactez le musée avant votre visite pour organiser une démonstration avec la pétillante rebrodeuse Renée Pierrard. Si elle le peut, elle se fera un plaisir de vous parler avec passion du métier de sa vie.

 

INFORMATIONS PRATIQUES

 

  • Quoi ? Le Musée des Dentelles et Broderies de Caudry

  • Où ? Place des Mantilles – 59540 Caudr Si vous venez en train, la gare SNCF est à 20 minutes à pieds.

  • Quand ? Le musée est ouvert en semaine de 9h à 12h et de 14h à 17h Le week-end et les jours fériés de 14h30 à 18h00 Il est fermé le mardi

  • Combien ? Adultes: 3€ (gratuit pour les Caudrésiens) Enfants: gratuit jusqu’à 16 ans.

 

Toutes les informations ici, sur le site du musée.

 

SOURCES


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