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ANECDOTE : SERVICE À LA FRANCAISE, À LA RUSSE, À L’ANGLAISE… QUELLES DIFFÉRENCES?

En buffet, à l’assiette ou directement au plat, lorsque l’on reçoit de nos jours, les déjeuners et dîners peuvent prendre différentes formes selon l’occasion et nos envies du moment. Mais saviez-vous que ces différents modes de services sont en réalité l’héritage d’un mélange de coutumes et de traditions originaires de France, bien sûr, mais aussi de Russie, d’Angleterre ou même des États-Unis? Ainsi, savez-vous ce qui, dans l’histoire, a distingué les principaux modèles de services à table: le service à la française, à la russe, à l’anglaise et plus récemment à l’américaine (dit aussi à l’allemande)?


Pour le savoir, rendez-vous au Grand Château de Sceaux qui présente depuis 2015 l’histoire du domaine, de ses différents propriétaires, mais aussi de l’art de vivre à la française de Louis XIV à Napoléon III. Peintures, mobilier, faïence… dans un décor Second Empire restauré, on y découvre des œuvres remarquables qui ont traversé les siècles de l’histoire des arts décoratifs français. Ici, dans la salle dite des «deux Princes», où la table est dressée pour un souper intime façon 18e siècle, on apprend l’histoire du service à la française et celles de ses alternatives qui vont lui succéder ou s’y ajouter.


Le service à la Française d’abord. Si le terme n’apparaît qu’au 17e siècle, on estime qu’il a été le principal modèle pour les repas de réception du Moyen-âge à la fin du 19e. Le principe est simple (ou paraît simple): le repas s’organise en différents services ou séquences pour lesquels plusieurs plats sont prévus. Pour chaque service, l’ensemble des plats est disposé simultanément sur la table, et chaque convive est amené à se servir directement selon ses envies, composant ainsi sa propre assiette. Notez qu’à la cour ou dans les riches maisons, un serveur pouvait assister les invités et leur servir les mets de leur choix. Concernant les boissons et les verres, ils ne sont pas encore sur la table comme aujourd’hui, mais présentés sur une desserte, et souvent disposés dans un rafraîchissoir pour les garder à bonne température.

Au 16e siècle, un repas pouvait proposer jusqu’à neuf services. Au 17e siècle, on n’en dénombre «plus que» 3 à 5, alors que la cour de Louis XIV codifie les règles des repas, imposant un cérémonial rigoureux aux dîners et soupers français. C’est à cette époque qu’on va par exemple inverser l’ordre de certains services: alors qu’ils les suivaient, les potages précèdent ou accompagnent désormais les entrées; et les fruits, jusqu’alors dégustés au début du repas, sont proposés avec ou après les desserts.


Pour chacun des services, plusieurs plats sont ainsi prévus, l’idée étant de proposer un large choix, mais aussi d’exposer sa richesse via une profusion de mets:

  • Au 1er service: les entrées, hors-d’œuvre et potages;

  • Au 2e service: les viandes, poissons, plats en sauces;

  • Au 3e, les rôtis et salades;

  • Au 4e, les légumes, tourtes, fromages et autres mets salés chauds;

  • Au 5e service, s’il vous restait de la place, les desserts, fruits, glaces, compotes…

La présentation simultanée des plats d’une même séquence impose alors une organisation minutieuse, répétée au préalable en cuisine. Car la mise en scène souvent théâtrale des services et de la relève des plats est ici aussi importante que les goûts et les saveurs. Un véritable art de la table va se développer : la vaisselle contenant les plats et les mets est alors souvent imposante et fastueuse, et les tables sont décorées de nombreux objets, avec des centres de tables qui rivalisent de créativité, et d’autres éléments richement ostentatoires, souvent réalisés par les plus grands artisans de l’époque.

Par ailleurs, toujours pour garantir le plus beau des effets, les viandes sont présentées non découpées, et parfois mises en scène, à l’image des gibiers dont la présentation doit impressionner l’assemblée. Enfin, les plats doivent être disposés de manière harmonieuse sur la table, mais toujours de telle façon que deux mets d’un même type ne puissent se trouver côte-à-côte. Un vrai casse-tête pour les maîtres d’hôtel!

Souper du Prince de Conti au Temple en 1766 par M-B Ollivier (1777)

Finalement, le service à la Française présente de nombreux inconvénients. Sauf à se lever, les convives n’ont accès qu’aux plats les plus proches d’eux. Ensuite, la succession de chacun des services, aussi spectaculaire soit-elle, a l’inconvénient de faire traîner en longueur les repas. Et bien que les plats soient présentés sous cloche, «à couvert» -ce qui donnera l’expression «dresser le couvert»- pour préserver la chaleur, en réalité, on mange souvent tiède, voire froid! Enfin, la profusion de mets nécessaire pour proposer un repas digne de ce nom rend les banquets français très onéreux.


C’est pourquoi, à partir du 19e siècle, on va se tourner vers un nouveau modèle: le service à la Russe. Il aurait été importé par l’ambassadeur de Russie en France, le prince Alexandre Kourakine. En effet, si le service à la Française était la règle jusqu’alors en Russie, pour des raisons pratiques et de gains de temps, ce dernier va proposer les premiers services à la Russe dès 1810.

Ici, les plats sont moins nombreux et le menu est unique pour l’ensemble des invités. Les mets sont toujours présentés dans un ordre précis, mais ils sont surtout mangés chauds, puisque leur nombre limité le permet. Ils sont aussi prédécoupés (les viandes et poissons notamment) pour faciliter le service, et les plats, préparés en cuisine, sont ainsi présentés sur des guéridons où ils sont arrangés et redécoupés en portions pour être proposés aux convives qui se servent eux-mêmes. Les verres et les boissons vont en outre s’imposer sur la table

L’inconvénient de ce service à la Russe reste le nombre important de serveurs nécessaire pour servir à chaque guéridon (un pour deux invités environ). Finalement, si le service à la Française reste le plus spectaculaire, au 19e siècle, on va souvent proposer un service demi-russe: les plats froids, les entrés et les desserts sont servis à la Française, les plats chauds, à la Russe. On va aussi plutôt choisir le service à la Russe pour les dîners intimes, et le service à la Française pour les repas de fête.


Une variante de ce service à la Russe va se développer également à cette époque: le service à l’Anglaise. Ici, les plats sont toujours préparés en cuisine mais ils y sont aussi prédécoupés et divisés en portions avant d’être présentés en salle par un domestique placé à gauche du convive. Ce dernier se sert ensuite lui-même les mets et morceaux qui lui plaisent. Avec ce type de service, l’ensemble des couverts et des assiettes (empilées) correspondant à chaque plat est déjà disposé sur la table, contrairement au service à la Française ou à la Russe où les couverts et assiettes étaient débarrassés et remplacés à chaque service.


Mais tous ces services, français, russes ou anglais, impliquent que le personnel soit nombreux et surtout très qualifié et rigoureusement formé pour répondre aux exigences des règles quasi cérémoniales qu’ils imposent.


C’est alors qu’au 20e siècle va apparaître un nouveau type de service plus efficace et économe: le service à l’Américaine ou à l’Allemande qui s’est répandu dans la plupart de nos restaurants. Bien moins compliqué, et nécessitant moins de personnel qualifié, il se caractérise par un service à l’assiette. Chaque assiette est dressée en cuisine et servie individuellement aux différents convives, tout comme les boissons. Cette nouvelle organisation permettra aussi de laisser une libre créativité aux chefs qui peuvent imaginer des compositions originales pour chacun des plats qu’ils réalisent.

(Mets réalisés et mis en œuvre par la cheffe-et artiste culinaire Anne-Laurence Meyer, cheffe à domicile.

Tous les détails ici, sur son site.)

Aujourd’hui, les différents modèles de services coexistent et se sont adaptés à notre époque. Dans le service à la Française, le serveur apporte sur un plateau les différents plats, de la cuisine à la table. Il se place alors à gauche de chaque convive qui, soit se sert lui-même (service semi-complet), soit se fait servir (service complet). Le service au buffet est aussi un dérivé de celui à la Française. Dans le service à la Russe actuel, les plats sont disposés sur la table ou présentés sur des chariots par le serveur qui, soit laisse les convives se servir eux-mêmes, soit garnit leur assiette. Le service à l’anglaise est similaire, à ceci-près que le serveur prépare les plats (découpes, portions) devant les convives et les sert.

Bon appétit!


SOURCES

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