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DANS L’INTIMITÉ DE L’HÔTEL DE LA PAÏVA



Au numéro 25 de l’avenue des Champs-Élysées, à Paris, s’élève l’un des derniers témoins architecturaux de la fête parisienne du Second Empire (1852-1870), un hôtel particulier à l’histoire sulfureuse et aux décors parmi les plus luxueux et extravagants de l’époque : l’hôtel de la Païva.

 

Si les lieux accueillent aujourd’hui, et depuis sa création en 1903, le Travellers Club – un gentlemen’s club à l’anglaise qui deviendra propriétaire des murs en 1923 -, le bâtiment reste indissociable de sa commanditaire, Esther Lachmann (1819-1884), tantôt appelée Thérèse ou Blanche, et qui sera surtout connue sous le pseudonyme de la Païva. Femme charismatique et déterminée, courtisane russe d’origine polonaise installée à Paris au milieu du 19e siècle, elle sera mariée à trois reprises, sera tour à tour marquise portugaise puis comtesse prussienne, connaîtra -souvent bibliquement- les plus grands hommes du monde de l’époque, et défrayera régulièrement la chronique par ses mœurs et ses extravagances.



Construit sous la direction de l’architecte Pierre Manguin entre 1855 et 1866, l’hôtel dit de la Païva, d’inspiration Renaissance italienne, est emblématique du style Second Empire ou Napoléon III, ce style éclectique, dit aussi historiciste, qui mélange les influences décoratives et architecturales des époques passées, pour un rendu on ne peut plus flamboyant, parfois à la limite de l’excessif.

Escalier en onyx jaune d’Algérie, statues de marbre à l’Antique, salle-de-bain arabo-mauresque, Grand Salon ultra-luxueux, chambre Renaissance, jardin d’hiver, façades sculptées… mais aussi peintures de Paul Baudry, sculptures et décors de Jules Dalou, Louis-Ernest Barrias, Eugène Delaplanche, Léon Cugnot, Eugène Legrain, ou encore Albert-Ernest Carrier-Belleuse… l’hôtel de la marquise de Païva est un véritable palais où chaque élément décoratif lui rend hommage, à elle, la reine des lieux; la plus convoitée et la plus scandaleuse de celles qu’on appelait alors les grandes horizontales.



Lors de sa construction, déjà, à mesure que ses murs s’élèvent, et que l’on admire le luxe de ses décors et de ses matériaux, l’hôtel intrigue et fait très vite parler de lui, parmi les badauds comme dans la haute société, à Paris et au-delà. Ainsi, interrogé sur l’avancée des travaux, le journaliste Aurélien Scholl dira: «Tout va bien, le principal est fait. On a posé le trottoir!», sous-entendu, l’essentiel est là pour accueillir cette fille de joie, aussi riche et célèbre soit-elle.

 

Une fois son hôtel construit, même si l’on entendra souvent dire dans Paris que «chez la Païva, qui paye y va!», il faut savoir que la noble courtisane triera sur le volet ses invitées. Au-delà de ses amants et bienfaiteurs, elle recevra, entre autres privilégiés, des amis comme Théophile Gautier ou Émile de Girardin, des philosophes et écrivains comme Ernest Renan ou Hippolyte Taine, ou encore l’homme politique Léon Gambetta et les frères Goncourt qui, bien que réguliers de l’hôtel, ne manqueront pas de critiquer leur hôte, les soirées qu’elle organise -on y mange très mal, disent-ils- ou les lieux mêmes qu’ils qualifient de «Louvre du cul», en référence aux activités de leur propriétaire.



Pour mieux comprendre la genèse de cet hôtel particulier atypique, classé aux Monuments Historiques depuis 1980, et avant d’en découvrir certaines des pièces emblématiques, il faut apprendre à mieux connaître sa locataire. Avant de pénétrer dans le somptueux édifice des Champs-Élysées, je vous propose ainsi de revenir sur l’histoire romanesque de celle que l’on connaît surtout sous le nom de la Païva.

 

LA PAÎVA, LE RÈGNE D’UNE COURTISANE

 

Esther Lachmann, la Païva

Esther Pauline Blanche Lachmann est née le 7 mai 1819 en Russie, dans le ghetto de Moscou, autrement nommé alors Zone de Résidence des Juifs. Notez que si, par coquetterie, elle a parfois brouillé les pistes sur sa date de naissance, évoquant l’année 1826, son certificat de décès indique bien, lui, 1819. Rien ne laissait supposer, alors, qu’elle deviendrait la courtisane la plus célèbre du Second Empire.

 

Son père, Martin Lachmann, tisserand, et sa mère, Anna Amalia Klein, sont d’origine polonaise. Le 11 août 1836, elle épouse un tailleur français nommé François Hyacinthe Villoing, un luthérien pour qui elle se convertit et avec qui elle apprendra la langue de Molière, et qui, en 1837, lui donnera un fils, Antoine. Mais, rapidement convaincue que son destin est ailleurs, Esther décide de s’enfuir pour échapper à cette vie maritale toute tracée.

 

Pendant ce long voyage qui la conduira à Paris, elle passera notamment par Constantinople où elle apprendra à user de ses charmes et à se perfectionner dans les métiers de l’amour. Arrivée dans la capitale française à la fin des années 1830, elle s’installe d’abord dans le quartier juif et mal famé de Saint-Paul, dans le Marais, où elle commence au bas de l’échelle en travaillant comme prostituée, sur le trottoir, rue Pavée. Mais Esther est ambitieuse et connaît ses atouts. Elle n’est pas forcément jolie, mais elle sait se mettre en valeur. Sa posture élégante, son corps parfait, et son assurance vont lui permettre de se faire remarquer et de gravir les échelons.


Eglise Notre-Dame de Lorette



Elle migre alors vers le quartier de l’église Notre-Dame-de-Lorette, où, sous le pseudonyme de Thérèse, elle entame une carrière parmi les lorettes, ces prostituées demi-mondaines, élégantes, qui cherchent avant tout à se faire entretenir par des hommes aisés. Ses objectifs sont cependant plus ambitieux: elle souhaite s’enrichir et gagner en indépendance en devenant une courtisane ou une grande horizontale, la position la plus haute dans la hiérarchie des prostituées de l’époque.

 





Anecdote : Courtisanes ? Lorettes, grandes horizontales, cocottes… les milles visages de la prostitution à Paris au 19e siècle.

Au 19e siècle les prostituées n’échappent pas à la hiérarchisation de la société. Ainsi, au sein même de cette profession aux multiples visages, on trouve différents niveaux et différents types de travailleuses. Il faut savoir également qu’à l’époque, si le racolage est interdit, la prostitution est autorisée, mais que chaque femme doit se déclarer auprès de la police qui entend surveiller les prostituées et par là contrôler les maladies vénériennes.

 

Cependant, les prostituées situées au plus bas de l’échelle sont souvent clandestines et risquent gros (prison, amende). Ce sont des femmes du peuple, que l’on va surnommer les ‘grisettes’, en référence aux tissus bas de gamme, un peu grisâtres, que l’on pouvait trouver sur les marchés. Pour rapporter plus d’argent dans leur foyer, ces femmes n’ont d’autres choix, en plus de leur travail d’employée, de lavandière ou d’ouvrière, que de vendre ponctuellement leur corps sur le trottoir, bien souvent en accord avec leur époux ou leur famille.

 

Parmi les prostituées clandestines qui travaillent en parallèle des grisettes, on recense aussi:

. Les filles à soldats, souvent vieillissantes, qui suivent les régiments et s’offrent pour quelques sous à des militaires alcoolisés;

. Les filles de brasserie ou de cabaret qui, en plus de servir les boissons et d’encourager les clients à boire, ou de chanter et danser, sont souvent amenées à donner de leur corps;

. Les danseuses d’opéra qui, bien souvent, dans l’espoir d’être entretenues par des mécènes qui seraitent le moyen, pour elles, de devenir de grandes artistes, sont contraintes de se prostituer auprès des riches spectateurs qui viennent sans scrupule choisir ‘leurs filles’ après le spectacle.

 

En ce qui concerne les prostituées déclarées, on va d’abord trouver celles qu’on nomme les filles à numéro. Il s’agit de celles qui travaillent à temps plein dans les bordels et maisons closes. Des établissements reconnaissables à la taille surdimensionnée du numéro affiché au-dessus de leur porte, dans la rue, et qui donnera leur nom aux employées. Nourries et logées, les filles à numéro sont contraintes d’enchaîner les passes pour le compte de leur patron ou de leur patronne.

 

Mais il est une catégorie à part qui va savoir séduire une clientèle d’hommes hauts placés, et ainsi réussir à s’enrichir, parfois de manière spectaculaire. Une classe de prostituées composée de femmes du monde, de femmes d’un niveau social élevé, ou même d’anciennes prostituées du peuple qui ont su gravir les échelons de la société. Ces femmes, qui n’ont pas d’emploi, cherchent alors à s’enrichir pour améliorer leur niveau de vie en vendant leurs charmes et leur compagnie auprès de clients fortunés; des hommes qui vont les entretenir, les couvrir d’argent et de cadeaux, et leur permettre de fréquenter les cercles mondains et les lieux de sortie de la haute société.

 

On rencontre alors:

. Les Lorettes: leur nom vient du fait qu’elles sont principalement rassemblées autour de l’église Notre-Dame de Lorette. Ce sont de jeunes femmes élégantes qui logent souvent dans des appartements du quartier délaissés par leurs propriétaires le temps qu’ils aient les moyens de les rénover. Donnant ainsi l’illusion de vivre dans une certaine richesse, les lorettes, toujours apprêtées, coquettes et éduquées, peuvent séduire des artistes ou des hommes d’affaires aisés qu’elles choisissent et qui leurs permettent de vivre dans de meilleures conditions.

. Les cocottes: elles se situent entre la prostituée des rues et la courtisane, et fréquentent les lieux de sorties de la haute société dans l’espoir de se faire remarquer par un ou plusieurs riches amants qui pourraient les entretenir. Souvent excessives dans leurs toilettes, elles donneront naissance à l’expression ‘sentir la cocotte’ ou ‘cocotter’ pour signifier que l’on s’est aspergé de beaucoup trop de parfum -ou d’un parfum de mauvaise qualité.

. Les courtisanes, dites aussi grandes horizontales, sont protégées et entretenues par des amants très riches, souvent puissants et très élevés socialement -hommes politiques, têtes couronnées, riches industriels… La courtisane est le summum de la prostitution à l’époque. Elle se situe entre la prostituée de luxe et la maîtresse. Surnommée aussi demi-mondaine, elle sort, fréquente les lieux de la haute société -opéras, théâtres, restaurants, jardins… où elle accompagne son ou ses amants. Pour en arriver là, la courtisane a su séduire par son apparence, sa beauté et son élégance, bien sûr, mais aussi par sa vivacité d’esprit, son éducation et sa grande culture. Elle n’est pas qu’un objet de désir pour ses amants, mais une véritable compagne qui, contrairement à l’épouse réputée sérieuse, va apporter de la fantaisie aux sorties de ces messieurs. Elle est, finalement, comme l’accessoire que se doit d’avoir à son bras tout homme du monde à l’époque.

 

Cependant, pour toutes ces femmes, la situation reste fragile et le train de vie mondain et privilégiée dont elles bénéficient est on ne peut plus éphémère et dépendant de la volonté des hommes qu’elles fréquentent. L’âge, la maladie ou la maladresse peuvent leur faire perdre leur statut, et celles qui s’en sortiront seront bien souvent celles qui réussiront à passer du rôle de maîtresse à celui d’épouse.

 

Revenons à Esther, ou plutôt, désormais, à Thérèse. Au cours de sa carrière de lorette, elle fait la connaissance, en 1840, d’un certain Henri Herz, un pianiste fortuné qui s’éprend d’elle et l’introduit auprès du milieu artistique de l’époque qui gravite et s’installe dans ce quartier dit de la Nouvelle Athènes, dans le 9e arrondissement de Paris, à quelques pas de l’église Notre-Dame-de-Lorette. Parmi les artistes que Thérèse y rencontre, on compte des compositeurs, comme Franz Litz et Richard Wagner, ou encore des écrivains comme Théophile Gautier, qui deviendra un ami proche, ou Émile de Girardin, homme de presse et homme d’affaires.

 

Anecdote: Qu’appelle-t-on le quartier de la Nouvelle Athènes à Paris?

Situé dans le 9e arrondissement de Paris, au cœur du quartier Saint-Georges, la Nouvelle Athènes s’articule autour d’un ensemble de rues (les rues Saint-Lazare, Blanche, La Bruyère et Notre-Dame-de-Lorette) et de nouveaux immeubles de même style, bâtis à partir de 1819-1820 par le receveur général des finances, Augustin de Lapeyrière, et l’architecte Auguste Constantin.



Le nom de Nouvelle Athènes est, quant à lui, donné en 1823 à ce quartier par le poète Adolphe Dureau de La Malle. Il fait référence à l’architecture d’inspiration antique des constructions aux façades sculptées et habillées de pilastres, colonnes et autres frontons et entablements; mais aussi au foisonnement artistique que l’on y trouve: des artistes, écrivains, peintres, musiciens qui redécouvrent la Grèce Antique, et qui s’inscriront très bientôt dans le mouvement Romantique qui va naître dans cette première moitié de 19e siècle. Parmi ces artistes, on peut citer: Ary Scheffer, Eugène Delacroix, Gustave Moreau, George Sand, Alexandre Dumas, Frederic Chopin, Victor Hugo, Théodore Géricault, Pissarro, Claude Monet, Paul Gauguin, Horace Vernet…

 

Thérèse aurait épousé Henri Herz à Londres, avant de donner naissance, en 1847, à une fille, Henriette, qui mourra à peine âgée de 12 ans en 1859. Entre temps, Henri Herz a entamé une tournée aux États-Unis en 1848, tandis que Thérèse, restée à Paris, devient l’une des femmes les plus remarquées du moment et dépense des fortunes en toilettes et sorties. A tel point que sa belle-famille la met à la porte de la demeure familiale. Mais elle n’est pas femme à se laisser abattre, et alors qu’éclate la révolution de février 1848 qui met fin à la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe (1830-1848), elle décide de gagner Londres où elle espère refaire sa vie. Comment? Tout simplement en usant de ses charmes, comme elle a su le faire à Paris. Elle se constitue vite un cercle d’admirateurs fortunés, parmi lesquels Lord Edouard Stanley qui devient son protecteur et lui permet de se constituer une véritable fortune financière.

 

Après près d’une année de vie londonienne, Thérèse, enrichie, décide qu’il est grand temps de rentrer à Paris où Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de Napoléon 1er, est devenu Président de la 2e République. Là, fidèle à elle-même, elle côtoie la haute société masculine et entame une liaison avec le duc de Gramont, un diplomate et homme politique fortuné qui va l’entretenir à son tour. C’est à cette période que son mari, Antoine François Hyacinthe Villoing, retrouve sa trace et se présente à elle avec leur fils. Rejeté par son épouse, l’homme mourra de désespoir à Paris en 1849. Thérèse s’assurera que son fils, Antoine, soit en sécurité et éduqué. Si elle l’entretient financièrement, elle ne vit cependant pas avec lui, et alors qu’il est encore étudiant en médecine, il meurt de la tuberculose à l’âge de 25 ans en 1862.

 

Libérée de son premier mari, Thérèse peut espérer épouser un homme digne de sa désormais célèbre personne. C’est ce qui va se passer en 1850 lorsqu’elle rencontre un aristocrate portugais, Albino Francisco de Araùjo de Païva. Ce dernier se dit marquis de Païva, Païva étant le nom d’un château qui se situe sur le fleuve Douro au Portugal. Dans les faits, si sa mère, Mariana Vicência de Païva portait à priori ce nom, il n’est lui, semble-t-il, que le fils d’un roturier -son père a fait fortune dans le commerce colonial-, et n’a aucun titre réel de noblesse. En réalité, il y a bien un vicomte de Païva qui vit à Paris. Il s’agit de l’ambassadeur du Portugal en France. Albino Francisco de Araùjo de Païva jouera sur l'ambiguïté d’un potentiel lien familial pour s’accorder le titre de marquis de Païva. Quoi qu’il en soit, il fera illusion dans le Paris de cette deuxième moitié du 19e siècle.



En l’épousant le 5 juin 1851, Thérèse, qui s’est en outre convertie au catholicisme pour le mariage et se fait désormais appelée Blanche (son deuxième prénom), devient ainsi, pour elle et aux yeux de la société parisienne, la marquise de Païva. Elle a eu ce qu’elle voulait, un titre de noblesse, et peut désormais jouer dans la cour des grands de ce monde. D’ailleurs, au lendemain de la nuit de noces de ce mariage intéressé, elle se tourne vers son nouveau mari et lui lance: «Vous avez eu une nuit avec moi, j’ai eu mon titre, nous sommes quitte. Nous pouvons désormais nous séparer» (la citation n’est pas exacte, mais le sens est bien celui-ci).

 

Son époux part pour le Portugal, elle reste à Paris où elle s’installe dans l’hôtel particulier qu’il lui a offert au 25, place Saint-Georges, dans le 9e arrondissement. Elle y vivra jusqu’en 1852, usant avec habileté de ses charmes pour maintenir son train de vie, et tenant salon avec les artistes et intellectuels d’alors. D’ailleurs, plus qu’une simple courtisane qui vie de ses nuits d’amour, celle qu’on appelle désormais la Païva ne se donne pas à qui le veut. Elle peut désormais choisir l’homme qu’elle veut séduire et réussit, toujours avec subtilité, à en tirer profit sans forcément donner de sa personne. Elle sait faire languir les hommes, même les plus hauts placés, pour obtenir d’eux ce qu’elle veut -et par là on entend bien entendu des cadeaux, bijoux ou autres compensation financières.



C’est comme cela qu’en 1852, elle devient la maîtresse d’un jeune comte prussien, Guido Henckel von Donnersmarck, dont elle tombe amoureuse et qui, par chance, est l’héritier des mines de fer de Silésie et la seconde fortune de Prusse. Ce multimillionnaire est aussi le cousin du ministre-président du royaume de Prusse Otto von Bismarck. Riche héritier d’une lignée séculaire de la noblesse prussienne, il est ainsi l’homme parfait pour elle.

 

Pour combler sa belle, Guido décide de lui faire construire un hôtel particulier digne de sa beauté. Comme architecte, Blanche choisira Pierre Manguin qu’elle aurait rencontrée lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1855. Pour le lieu, elle décide que ce sera sur les Champs-Élysées. Dans ce Paris nouvellement impérial, l’avenue est devenue le quartier de nombreux hôtels particuliers somptueux – pour rappel, après un coup d’État en 1851, Napoléon III est devenu empereur le 2 décembre 1852, restaurant alors en France un régime impérial qu’on appellera le Second Empire et qui durera jusqu’au 4 septembre 1870, date de proclamation de la 3e République. Ainsi, non loin du terrain qu’elle choisit au 25 de l’avenue des Champs-Élysées se trouve l’hôtel du cousin de Napoléon III, Napoléon-Jérôme dit le prince Napoléon.



Anecdote : l’histoire des Champs-Élysées.

On dit et on lit partout que c’est la plus belle avenue du monde. Avec ses deux kilomètres de la place de l’Étoile à la place de la Concorde, c’est en tout cas l’une des voies les plus longues et les plus connues de Paris, et certainement la plus empruntées avec quelques un million de piétons par mois en 2023. Mais les Champs-Élysées n’ont pas toujours été un quartier de boutiques, de restaurants et de sorties.


À l’origine, à l’époque médiévale, se trouvaient ici un terrain marécageux situé en dehors des limites de la ville de Paris. Sur les conseils de son ministre, Jean-Baptiste Colbert, le roi Louis XIV décide de détruire les fortifications qui passaient au niveau des actuels Champs-Élysées. L’idée est ainsi de percer une grande avenue pour faciliter les déplacements en voiture des courtisans entre Paris et les domaines royaux de Saint-Germain-en-Laye et de Versailles. En 1674, le jardinier-paysagiste du Roi Soleil, André Le Nôtre, propose de transformer le paysage autour de cette avenue afin de prolonger la perspective du jardin des Tuileries. Déjà en 1616, la reine Marie de Médicis avait fait assainir les marécages et aménager une promenade bordée de tilleuls et d’ormes le long de la Seine. Une promenade appelée, en toute logique, le cours de la Reine.

 


Autour de cette nouvelle voie décidée par Louis XIV, que l’on nommera avenue des Tuileries, puis Grand Cours, avenue de Neuilly, route de Saint-Germain, ou encore avenue de la Grille Royale, Le Nôtre choisit de remplacer les bois et marais par des rangées d’arbres et de grands carrés de pelouses. A cette époque, l’avenue part de la future place de la Concorde jusqu’à l’actuel rond-point des Champs-Élysées, mais ne court pas encore jusqu’à la place de l’Étoile qui se situe alors sur ce qu’on appelle la montagne du Roule.

 

En 1698, on choisit de donner le nom de Champs-Élysées au carré Ledoyen situé au départ de la nouvelle avenue. Pourquoi ce nom? Dans la mythologie grecque, il s’agit du lieu des Enfers où reposent les héros et les âmes vertueuses. Ici, l’idée était de marquer l’opposition entre les nouveaux aménagements, sains et délicats, et le point le plus bas de l’avenue, vers l’actuelle place de la Concorde et sur les bords de Seine, où règnent encore la prostitution et le banditisme, au milieu des bois et marécages. Il s’agit aussi de signifier aux promeneurs qu’ils entrent sur une voie royale, un lieu d’exception et de vertu.

 

Cette appellation est officialisée en 1709, mais l’extension du nom de Champs-Élysées à l’ensemble de l’avenue date, lui, de la Révolution. Très vite, dès 1710, des travaux d’aménagements supervisées par le duc d'Antin, surintendant des Bâtiments du Roi, permettent de prolonger l’avenue qui prend sa dimension actuelle. Par la suite, en 1765 puis en 1770, le roi Louis XV fait élever différentes constructions le long de la voie, et, sous la supervision du marquis de Marigny, directeur général des Bâtiments du Roi, fait élargir cette avenue dite, toujours, de la Grille Royale, et créer de nouvelles voies de part et d’autre (les avenues de Matignon & Marigny, et l’allée des Veuves, actuelle avenue Montaigne) et dans son prolongement (l’avenue de Neuilly, actuelle avenue de la Grande-Armée).

 

Cependant, cette longue promenade arborée conçue pour les balades et loisirs des aristocrates -un parc de loisirs de luxe, le Colisée, sera même construit en 1771 au niveau du rond-point des Champs-Élysées- va vite avoir mauvaise réputation. Guinguettes mal famées, prostituées, bandits et brigands… les bosquets de ce quartier encore éloigné du centre de Paris abritent une faune peu fréquentable.

 

Et bien que des mesures soient prises pour garantir plus de sécurité sous Louis XVI, il faut attendre la Révolution pour que les Champs-Élysées, qui prennent leur nom définitif en 1789, deviennent plus populaires. C’est ainsi par les Champs-Élysées que les femmes marcheront de Paris vers Versailles le 5 octobre 1789 afin de ramener la famille Royale dans la capitale. C’est aussi via cette avenue que, le 25 juin 1791, Louis XVI, Marie-Antoinette et leurs enfants seront ramenés aux palais des Tuileries après leur fuite avortée à Varennes. Et puis, c’est sur la place de la Révolution (ex-place Louis XV et future place de la Concorde), en bas des Champs-Élysées, que sera installée la guillotine révolutionnaire.

 

Sous le Directoire (1795-1799), l’avenue est élargie et assainie: baraquements insalubres ou mal fréquentés sont remplacés par des cafés raffinés et des restaurants qui attirent la haute société de l’époque. Au début du 19e siècle, sous le Consulat de Napoléon Bonaparte (1799-1804) puis sous le Premier Empire (1804-1815), les Champs-Élysées deviennent une promenade chic et prestigieuse, mais aussi la route principale pour gagner la campagne.

 

Le 25 juin 1815, après les Cent Jours qui le voient revenir à la tête de l’État, Napoléon 1er, qui vient de signer son acte d’abdication au palais de l’Élysée, empruntent les Champs-Élysées pour gagner le château de Malmaison. Il passe alors devant l’Arc de Triomphe encore en construction et dont il a posé la première pierre le 15 août 1806.

 


À partir de 1833, au début de la Monarchie de Juillet de Louis-Philippe (1830-48), l’architecte Jacques Hittorff est chargé par le comte de Rambuteau, préfet de la Seine, de réaménager les jardins des Champs-Élysées : fontaines, réverbères au gaz, ou encore restaurants et théâtres… l’Arc de Triomphe, dont les travaux avaient été interrompus sous la Restauration (1815-1830), est enfin inauguré le 29 juillet 1836.

 

Cependant, c’est avec le Second Empire (1852-1870) que la transformation des Champs-Élysées va connaître son apogée. Pour l’Exposition Universelle de Paris en 1855, et à la demande de Napoléon III, l’ingénieur Adolphe Alphand va s’attacher à embellir les jardins de la désormais célèbre avenue, et d‘en faire l’un des lieux les plus prisés de la haute société impériale. Pour rappel, depuis le lancement des grands travaux qui doivent moderniser et transformer Paris sous la supervision du baron Haussmann, préfet de la Seine, Alphand est responsable de l’aménagement des nouveaux parcs et espaces verts de la capitale. De nombreux immeubles, maisons bourgeoises, hôtels particuliers et autres luxueuses demeures et boutiques poussent dans le quartier et le long de l’avenue qui s'est fortement embellie.

 

À partir de là, et pour les années à venir, les Champs-Élysées vont accueillir de très nombreux événements: manifestations populaires, défilés militaires, cérémonies ou encore événements historiques (Défilé des troupes Nazi en 1940, Libération en 1944)… l’avenue est aujourd’hui devenu un véritable symbole de Paris et, plus largement, de la France.

 

Mais revenons à l’hôtel de la Païva. Une légende donne une autre version des faits. Blanche aurait décidé de bâtir son hôtel ici pour une raison bien plus personnelle. Dans sa jeunesse, alors qu’elle travaillait encore comme prostituée dans le quartier du Marais, elle serait montée dans le fiacre d’un client qui, violent, l’aurait poussée sur le trottoir quelques kilomètres plus loin. Elle serait ainsi tombée pile à l’endroit où s’élèvera des années plus tard son hôtel, et se serait alors juré de devenir riche et de se faire construire, quand ce serait le cas, «la plus belle maison de Paris», ici, à cet emplacement précis. Vérité ou légende, c’est bien là que l’édifice sera bâti.

 

L’hôtel particulier réalisé par Pierre Manguin dans un style Renaissance coûtera dix millions de francs, et les travaux, commencés en 1855, dureront plus de 10 ans, jusqu’en 1866. L’architecte fera appel, souvent sur les recommandations de la Païva, aux plus grands artistes de l’époque. Certains lanceront même leur carrière ici, comme le sculpteur Jules Dalou ou le peintre Paul Baudry. Ce dernier, qui réalisera plus tard, entre autres, les décors de l’opéra Garnier, peindra ainsi, au plafond du Grand Salon, une œuvre intitulée «Le Jour pourchassant la Nuit», où l’on découvre, sous les traits de la Nuit, ceux de la marquise elle-même. Cette peinture fait écho à Phryné, une hétaïre de la Grèce Antique -c’est-à-dire une courtisane de l’époque- qui, selon la légende, demandait «une mine» en échange d’une nuit avec elle. Cette légende n’est pas sans rappeler l’attitude de Blanche elle-même qui demandait des sommes folles à ceux qui souhaitaient passer ne serait-ce qu’une heure dans sa chambre.


Ce tableau n’est d’ailleurs pas la seule représentation que l’on peut voir de la marquise dans les décors de l’hôtel. Les sculpteurs Jules Dalou, Louis-Ernest Barrias, Léon Cugnot, Eugène Delaplanche, Eugène Legrain ou encore Albert-Ernets Carrier-Belleuse, auxquels Pierre Manguin a fait appel, y ont laissé nombre de références.



On dit, par exemple, que les visages sculptés sur la façade sont à l’image de celui de Blanche. Les lions, que l’on retrouve à différents emplacements, notamment aux coins du Grand Salon, rappellent son emblème, la Lionne qui, chez les courtisanes, est signe du plus haut niveau d’accomplissement. La sculpture d’Amphitrite sur un dauphin qui trône au milieu de l’escalier serait, là-aussi, réalisée sous les traits de la Païva, comme la Diane peinte au plafond de la Salle à Manger qui fait ici référence à Diane de Poitiers, l’une des plus célèbres maîtresses royales (pour rappel, elle fût l’amante du roi Henri II, au grand désespoir de la reine Catherine de Médicis).

 

Quoi qu’il en soit, la construction de l’hôtel aura fait couler beaucoup d’encre, et suscité de nombreuses jalousies. Mais la Païva qui, en raison de son histoire et de sa vie légère, n’est pas la bienvenue dans les salons parisiens officiels, ni dans les bals impériaux du palais des Tuileries, saura trouver sa place dans cette société mondaine du Second Empire, et faire de son hôtel un lieu incontournable de la vie sociale d’alors. Elle est d’ailleurs réputée pour sa vivacité d’esprit et sa culture. Elle est aussi connue pour être redoutable en affaires, et gérer elle-même sa fortune et le fonctionnement de son hôtel.

 

Rapidement, sa somptueuse résidence attire ainsi des personnalités prestigieuses et de premier ordre qui viennent découvrir ce palais luxueux aux décors spectaculaires, et profiter de la compagnie de la marquise, pour son amitié, ses services ou par pur intérêt (on y rencontre du beau monde) -des invités uniquement masculins, aucune femme ne se risquant à être vue chez la Païva dont la réputation n’est plus à faire.

 

On y croise des écrivains célèbres comme Théophile Gautier, un ami fidèle, Alexandre Dumas, qui ne manquera pas de la critiquer par derrière, Émile Augier, Sainte-Beuve, Paul de Saint-Victor, Frédéric Lolié; des hommes politiques comme Léon Gambetta; des hommes d’affaires comme Émile de Girardin, et des banquiers; ou encore, l’architecte Hector Lefuel (qui travaillera sur l’agrandissement du Louvre), et les frères Edmond et Jules Goncourt, célèbres écrivains et chroniqueurs du 19e siècle, qui ne manqueront pas de critiquer avec sarcasmes leur hôte qu’il décrive ainsi: "De beaux gros yeux un peu ronds, un nez en poire, les ailes du nez lourdes, la bouche sans inflexion, une ligne droite couleur de far rouge dans la figure toute blanche de poudre de riz. Là-dedans, des rides, que la lumière, dans ce blanc, fait paraître noires ; et de chaque côté de la bouche, un sillon creux en forme de fer à cheval, qui se rejoint sous le menton, qu'il coupe d'un grand pli de vieillesse. Une figure qui, sous le dessous d'une figure de courtisane encore en âge de son métier, a cent ans et qui prend ainsi, par instants, je ne sais quoi de terrible d'une morte fardée". Pas très flatteur tout ça! Il n’empêche qu’on se bouscule pour être invité chez la Païva qui ne tient salon que les vendredis et dimanches soirs, et se limite à un maximum de 10 à 20 convives. Émile Zola lui-même se serait inspiré de la marquise pour son personnage de ‘Nana’, et de l’hôtel particulier pour celui des ‘Rougon-Maquart’.

 

Au milieu de tout ce succès, Blanche aura tout de même un grand regret: ne jamais avoir été invitée par l’impératrice Eugénie qui, vous l’imaginez, s’interdisait de convier à ses bals des courtisanes ou des demi-mondaines. La marquise aura cependant sa revanche: après l’exil d’Eugénie conséquent à la chute de l’empire en 1870, elle achètera aux enchères l’un de ses diadèmes, pouvant alors, on l’imagine, jouer à l’impératrice comme bon lui semblait.



Sortons un peu de l’hôtel de l’avenue des Champs-Élysées et poursuivons l’histoire d’Esther Lachmann, autrement connue comme Thérèse ou Blanche, marquise de Païva. En 1857, Guido Henckel von Donnersmarck offre à sa dulcinée le château de Pontchartrain, situé à Jouars-Pontchartrain dans les Yvelines, qui leur servira de lieu de villégiature. Blanche y organisera régulièrement des réceptions l’été, dans les jardins.

 

En parallèle, en 1868, elle décide de faire bâtir une autre résidence en Silésie (dans l’actuelle Pologne), sur les terres des Henckel von Donnersmarck, la famille de Guido qui n’est encore que son amant -elle est toujours mariée au marquis de Païva. Pour construire le château de Neubeck, le couple fait appel à l’architecte français Hector Lefuel. Il s’agit de reproduire le style et les décors de l’hôtel parisien de la Païva mais dans des proportions bien plus impressionnantes. Ce château brûlera malheureusement en 1945 et il n’en reste aujourd’hui plus de trace.

 

Lorsque la guerre franco-prussienne éclate en 1870, Blanche et Guido, qui est lié à Bismarck et qui n’est donc plus le bienvenu à Paris, se retirent dans leur château de Pontchartrain. Alors que la guerre est perdue par la France, la Païva tentera de jouer un rôle politique après la proclamation du nouvel Empire allemand par Otto von Bismarck, le 18 janvier 1871, dans la galerie des Glaces du château de Versailles. Usant de ses relations chez les vainqueurs comme les vaincus, elle recevra ainsi Gambetta pendant les négociations du gouvernement français avec les Allemands concernant l’indemnité de guerre demandée à la France par l’Allemagne. Cependant, Guido, pro-prussien, ne l’aide pas réellement, et lorsqu’il est nommé gouverneur de la Lorraine fraîchement annexée, elle est immédiatement accusée d’espionnage au service de l’ennemi, et le couple est contraint de quitter la France pour s’exiler dans son château de Neubeck.

 


En parallèle, le 16 août 1871, le mariage de Blanche et du marquis de Païva est annulé, et ce dernier, ruiné et abandonné par sa femme, se suicide à Paris le 9 novembre 1872. Elle peut désormais épouser Guido et devenir la comtesse von Donnersmarck, ce qu’elle fera le 28 octobre 1871 dans une église luthérienne parisienne (elle s’est donc reconvertie au protestantisme). Son nouveau titre de comtesse lui plaît bien, vous l’imaginez, mais elle restera pour la postérité, et à son grand regret, la marquise de Païva.

 

Après un accident vasculaire, Esther/Blanche s’éteint le 21 janvier 1884 au château de Neubeck à l’âge de 65 ans. On raconte que son époux, qui ne peut se consoler de la mort de sa femme, l’aurait faite embaumée et placée dans un cercueil de verre situé dans les combles du château afin de pourvoir la garder près de lui. Après son remariage avec Catherine von Slepzow, Guido aurait été contraint de l’inhumer définitivement.

 

Quant à l’hôtel des Champs-Élysées, il est revendu par Guido en 1893 à un banquier berlinois, James Soloschin. Après avoir été un temps transformé en un restaurant couru par toute la société parisienne de la fin du 19e siècle, l’hôtel a failli devenir la mairie du 8e arrondissement, avant d’accueillir en 1903 le Travellers Club qui le rachètera en 1923, et qui y réside toujours. Quoi qu’il en soit, la Païva restera cette légendaire courtisane devenue marquise puis comtesse et qui, partie de rien, a su gagner les hautes sphères de la société, et bâtir l’un des hôtels particuliers les plus luxueux et extravagants du Second Empire.



Maintenant que vous connaissez l’histoire de la marquise de la Païva, je vous propose de pénétrer dans son magnifique hôtel particulier.



L’HÔTEL DE LA PAÏVA: UN LUXE À LA GLOIRE DE LA REINE DES COURTISANES

 

L’hôtel, tel que nous le visitons aujourd’hui, a connu quelques modifications, notamment extérieures. Lorsque nous sommes au 25, avenue des Champs-Élysées, nous apercevons d’abord, en arrière-plan, la façade néo-Renaissance du bâtiment, richement sculptée et ornée de fenêtres à la vénitienne. Notez ici le mascaron central qui représente l’hôtesse des lieux. À l‘avant, un café-restaurant abrite ce qui était les communs (cuisines, pièces de service) de l’hôtel -notez que quelques traces de ce passé résident dans les toilettes du bar.

 


La porte que nous empruntons, nous conduit directement à un escalier et à un lobby. Il faut savoir qu’à l’époque de la Païva, on trouvait ici un passage cocher qui permettait aux voitures d’entrer et de faire descendre les invités directement sous un porche qui donnait ensuite dans l’entrée de l’hôtel, et nom dans l’espace actuel qui sert d’accueil au Travellers Club.

 

Je vous propose maintenant de découvrir certaines des pièces les plus emblématiques de l’hôtel.

 

LE REZ-DE-CHAUSSÉE

 

Le rez-de-chaussée, d’abord, présente les pièces et salons de réception.

L’étage, lui, accueille les parties privatives et plus intimes.

 

LE VESTIBULE

 

Après avoir traversé le joli lobby qui n’existait pas au 19e siècle, nous entrons dans le vestibule qui servait donc d’accueil aux visiteurs de la Païva. De style néo-Renaissance, on y trouve des bustes d’empereurs romains, et un plafond à voûtes d’ogives. Le marbre est partout. Il fallait marquer les invités dès leur arrivée. Et pour bien préciser qui est la maîtresse des lieux au visiteur qui ne le saurait pas, un monogramme en forme de B trône au-dessus d’une des portes. Depuis le vestibule, on peut alors, soit gagner le Grand Salon, soit, l’escalier et les appartements privés, selon l’objet de sa visite.



LE SALON DES GRIFFONS

 

Avant d’entrer dans le Grand Salon où se déroulait les réceptions de la marquise, il nous faut d’abord passer par une sorte d’antichambre, le salon dit des griffons, en raison des sculptures du plafond représentants cet animal mythologique. Ici, quatre médaillons symbolisent les quatre continents -on n’en reconnaît que quatre à l’époque-, et au centre du plafond, une peinture représente le Printemps, non pas sous les traits d’un homme, comme c’est habituellement le cas, mais sous ceux d’une femme -la Païva?. L’idée est, ici, d’affirmer que la propriétaire des lieux se veut indépendante des hommes ou leur égale. Les tons or et rouge cramoisi imposent dès l’entrée une atmosphère à la fois chaleureuse et sulfureuse.



LE GRAND SALON

 

Le Grand Salon est l’une des pièces les plus richement décorées de l’hôtel. C’est ici que la Païva reçoit et qu’elle compte en mettre plein la vue à ses invités prestigieux. Toujours dans les tons or et cramoisi, ce salon présente un plafond à l’italienne sculptés de nombreux détails par Albert-Ernest Carrier-Belleuse et Jules Dalou. Les lambris sont incrustés de lapis-lazuli, et les murs, entoilés de satin de soie, s’agrémentent de pilastres dorés, de miroirs et de très belles peintures représentant des femmes illustres de la mythologie, de l’Antiquité ou de la Renaissance: «Le Jour chassant la Nuit» de Paul Baudry, où Diane, qui retire son voile étoilé, prend les traits de la Païva elle-même; «Antoine et Cléopâtre» de Lévy.



Sur la cheminée de marbre rouge surmontée de colonnes à l’Antique, deux allégories sculptées par Eugène Delaplanche symbolisant l’Harmonie et la Musique encadrent une superbe vasque de marbre et de bronze. Au-dessus du miroir, les chiffres B et G, pour Blanche et Guido, sont inscrit dans un médaillon qui surplombe la salle.

 

Cette pièce, tout en volumes, est riches de nombreux autres détails, comme les armes comtales de Guido, qui rappelle qu’elle est quasiment comtesse -bien qu’elle n’a pas encore épousé son amant; ou la lionne, aux coins du plafond, qui rappelle son statut de courtisane accomplie.

 

Finalement, les corps dénudés des sculptures et peintures, l’excès de dorure, les fleurs et autres volutes, donnent à cette pièce une atmosphère à la fois féminine et érotisante.

 

LE SALON DE MUSIQUE

 

Attenant au Grand Salon, le salon de Musique de style néo-empire est lui aussi richement décoré. Les pattes de lion du canapé recouvert d’imprimé léopard rappellent également l’Orient. Une influence très présente chez les courtisanes.



Ici, comme dans beaucoup de pièces, la cheminée est purement décorative. D’ailleurs, située sous la fenêtre, on remarque clairement l’absence de conduit. Le chauffage se faisait alors, en réalité, grâce à des calorifères.

  

LA SALLE À MANGER

 

Depuis le Grand Salon, un passage mène à la salle à Manger où la Païva organisait ses dîners -même s’il était de notoriété publique que sa table n’était pas la meilleure de Paris. Ici, les décors de style Renaissance ou néo-Fontainebleau, en référence aux décors conçus par le Primatice pour François 1er, s’articulent autour de l’impressionnante cheminée -qui fonctionne, elle. Au centre de cette œuvre sculptée de Jules Dalou, une ‘Jeune fille aux raisins’ offre ses grappes à deux panthères, tandis que deux faunes musiciens soutiennent le manteau de la cheminée qui, encadré de deux colonnes de marbre gris, présente une scène de chasse en bronze.



Au centre du somptueux plafond, très travaillé et longé d’une frise végétale, une déesse sculptée par Jules Dalou, sûrement Diane représentée sous les traits de la Païva, enlace un cerf. Elle pourrait aussi faire écho à Diane de Poitiers, célèbre et puissante maîtresse du roi Henri II (règne: 151547-1559), à qui Blanche pouvait s’identifier. Quant aux médaillons au-dessus des quatre portes en chêne, ils symbolisent des allégories féminines, rappelant ici que l’on est invité chez une femme.

 

La salle à Manger est, en outre, très lumineuse, éclairée par le jardin d’Été.

 

LES JARDINS D’ÉTÉ & D’HIVER

 

Depuis la salle à Manger, on peut, soit se diriger vers le jardin d’Été, soit le jardin d’Hiver.


Le Jardin d’Été, d’abord, présente la délicate façade arrière de l’hôtel. À gauche, lorsque l’on regarde la façade, on trouve aujourd’hui plusieurs espaces dont un salon de jeu aménagé par le Travellers Club. À l’origine, le passage cocher ressortait ici.



À droite, le jardin d’Hiver, que l’on peut admirer depuis les baies vitrées, faute de pouvoir y entrer, est sublime avec ses couleurs pastels et sa végétation luxuriante. On s’y verrait bien étendu sur une méridienne avec un bon livre.

 



Depuis les jardins, après être repassés par la salle à Manger, nous regagnons le vestibule et nous dirigeons vers l’incroyable escalier qui nous mènera au premier étage.


LE PREMIER ÉTAGE

 

L’ESCALIER & LE PALLIER

 

S’il y a bien un élément emblématique de l’hôtel de la Païva, c’est le magnifique escalier en onyx jaune d’Algérie. L’ensemble des marches a été sculpté sur place, à partir d’un seul bloc d’onyx massif, puis orné de marqueteries et plaquages en marbres de toutes les couleurs. Une prouesse et un signe de luxe extrême pour l’époque.



En contrebas de ce célèbre escalier, on trouve une plaque de marbre rouge, sur laquelle une citation, gravée en latin, indique qu’il faut toujours laisser entrer ses amis, mais en revanche se méfier de ses ennemis. Il s’agit ici de rappeler qu’à ce niveau, on s’apprête à gagner les parties privées de l’hôtel, et que seuls ceux qui sont invités par la Païva à y accéder peuvent gravir l’escalier.

 

Puisque nous sommes des visiteurs privilégiés, montons ces quelques marches. A mi-chemin, on croise un médaillon sculpté par Léon Cugniot représentant Amphitrite juchée sur le dos du dauphin qui la ramènera à son futur époux, Poséidon. La Païva se serait ainsi représentée en déesse des mers, et il était de tradition de caresser le dauphin ou la déesse lorsqu’on montait rejoindre la maîtresse des lieux dans ses appartements. Peut-être était-ce un moyen de se donner du courage et de l’ardeur pour assurer pendant son rendez-vous?



Enfin, arriver en haut de l’escalier, sous le dôme éclairer d’un oculus, trônent des allégories de villes d’Italie.

 

Sur le palier, les invités étaient reçus et redirigés soit à gauche vers l’appartement de la marquise, soit à droite vers celui de Guido. Ici, un miroir sans teint permettait à ce dernier de scruter les allers et venues et de savoir qui se rendait chez sa maîtresse.

 


Pour notre part, dirigeons-nous chez la Païva.

Nous traversons un salon intermédiaire, sorte d’antichambre qui aujourd’hui sert de salle de restauration au Travellers Club. On peut, entre autres, y observer un portrait d’Eugénie d’après Winterhalter. Quand on sait combien la Païva ne portait pas l’impératrice dans son cœur, et réciproquement, on imagine qu’il n’était pas ici à l’origine. Cependant, le décor du plafond a été réalisé par les mêmes artistes et peintres que ceux de la chambre de l’impératrice aux Tuileries. De quoi rendre jalouse l’épouse de Napoléon III !

 

Depuis cette antichambre nous gagnons alors la pièce tant attendue des visiteurs de la Païva: sa chambre.

 

LA CHAMBRE DE LA PAÏVA

 

La chambre de la marquise, qui accueille aujourd’hui le restaurant du Travellers Club, donne directement sur les Champs-Élysées et est, à l’époque, entièrement dédiée à valoriser la Païva.

 

Son plafond, de style Renaissance est remarquable, avec ses reliefs et ses fleurs peintes, des volubilis, symboles de relations sans lendemain, signifiant que, si elle continue ses activités de courtisane, le cœur de Blanche est bien tout acquis à Guido. Au centre du plafond, une couronne comtale -qui rappelle le titre de Guido- permet de dissimuler l’arrivée de gaz qui vient alimenter les nombreuses clés pendantes au bout desquels sont suspendus les éclairages.



Le lit a disparu. On dit qu’il s’agissait d’un lit en acajou, en forme de conque, surmonté d’une sirène et orné de cygnes, et qu’il aurait été vendu aux enchères en 1946. Mais en réalité, la Païva se serait fait réaliser un lit à baldaquin de style Renaissance, bordé de rideaux de soie, à l’image, encore une fois, de ceux que possédait l’impératrice Eugénie. De part et d’autre du lit, les deux cabinets qui, selon les frères Goncourt, «débordaient de pierres précieuses et de bijoux», ont également disparu.

 



La cheminée qui s’impose face au lit et sous la baie vitrée -donc uniquement décorative- est, en revanche, d’origine. Son plateau en malachite est sublime et reste l’un des rares de ce genre. On peut y admirer deux cariatides en bronze sculptées par Carrier-Belleuse et réalisées par la maison Christofle. Sur le manteau, un médaillon en émail représente une odalisque allongée dont le corps nu est à peine voilé. Enfin, sur les panneaux des portes, Pierre Manguin a figuré des médaillons en bronze représentant les profils de vertus féminines.

 

Attenante à la chambre, se trouve la Grande chambre de toilette, qui servait de garde-robe. Dans cette petite pièce de style néo-Louis XVI, on remarquera surtout la cheminée de marbre blanc surmontée d’une fontaine et au-dessus de laquelle trône une sculpture de Diane s’admirant dans un miroir, exécutée par Albert-Ernest Carrier-Belleuse.



Cette chambre de toilette mène alors vers l’une des pièces le plus intimes et la plus attendue, pour nous, visiteurs curieux: la salle de Bain.

 

LA SALLE DE BAIN

 

La salle de Bain est certainement la pièce de l’hôtel qui a le plus ajouter aux rumeurs qui couraient à l’époque, et courent encore, au sujet de la Païva. Mais avant toute chose, il faut voir ici qu’elle témoigne surtout de la modernité sanitaire des lieux, et de l’attention toute particulière que portait Blanche à son hygiène corporelle. Elle y passe d’ailleurs de longues heures à se laver, se préparer et se pomponner pour ses visiteurs, simples invités ou clients prestigieux.



Le style mauresque de la salle de Bain donne immédiatement la sensation d’entrer dans un salon de bains turcs ou dans un harem. On peut ainsi admirer, au plafond, le moucharabieh, et sur les murs, des faïences bleues aux motifs fleuris typiquement orientaux créés par Théodore Deck, le tout paraissant démultiplié par les trois grands miroir. On observe également deux lionnes de marbre qui encadrent la cheminée, surmontée elle-même d’un lavabo.

 

Mais le plus impressionnant reste la baignoire. Elle est taillée dans un seul bloc d’onyx d’Algérie, comme l’escalier, et la cuve en bronze argenté et ciselé, ainsi que les robinets, sont signés Christofle. Ces trois robinets, justement, en bronze doré incrustés de turquoises, ont alimenté bien des fantasmes. On raconte ainsi que, si l’un fournissait l’eau chaude et l’autre l’eau froide, le troisième, lui, proposait, selon les humeurs de la marquise, du tilleul, du lait ou même du champagne. En réalité, il apparaît plus probable que celui du centre servait de mitigeur. Mais les légendes sont tenaces et on a longtemps préféré s’imaginer la Païva se prélassant dans son bain à bulle typiquement champenois.

 


La visite se termine par une petite pièce nommée, sur les plans « petite chambre de Guido », mais dont on ne connaît pas bien la fonction réelle.



Après être redescendus par le bel escalier, nous pouvons ressortir du somptueux hôtel et nous retourner pour admirer sa façade, avant de saluer une dernière fois la reine des courtisanes.

 

MON AVIS

 

Cela faisait longtemps que je mourais d’envie de pousser les portes de l’hôtel de la Païva. Pour découvrir ce dernier témoin des hôtels particuliers flamboyants du Second Empire, mais aussi par curiosité pour cette femme au destin on ne peut plus romanesque qui a marqué son époque.

 

Que vous soyez amoureux de Paris, passionné d’histoire et de patrimoine, ou simplement curieux d’explorer des lieux habituellement fermés au public, la visite de l’hôtel de la Païva ne peut que vous plaire.

 

INFORMATIONS PRATIQUES

 

L’Hôtel de la Païva est un bâtiment privé qui appartient au Travellers Club. Il est cependant possible de le visiter sur réservation.

 

Pour cela, vous pouvez passer par plusieurs associations. Pour ma part, je l’ai visité deux fois:

 

Les deux visites m’ont plu. Je les ai trouvées complémentaires, bien que similaires. Pour faire votre choix, regardez surtout les créneaux de visite disponible.

 

 

SOURCES


 

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