INÉDIT : ‘JEAN-BAPTISTE GREUZE. L’ENFANCE EN LUMIÈRE’ AU PETIT PALAIS (PARIS)
- Igor Robinet-Slansky
- 22 sept.
- 7 min de lecture

À l’occasion du tricentenaire de la naissance de Jean-Baptiste Greuze (1725-1805), le Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris, consacre une grande exposition monographique à ce peintre aussi célèbre de son vivant qu’il est aujourd’hui méconnu. Intitulée « Jean-Baptiste Greuze. L’enfance en lumière », l’exposition se tient du 16 septembre 2025 au 25 janvier 2026 et propose un véritable voyage au cœur du 18ᵉ siècle et de ses questionnements.
Greuze fut en son temps l’un des artistes les plus populaires et les plus audacieux, salué par le public, collectionné par les grands amateurs, et défendu avec passion par Denis Diderot. Mais il est aussi un peintre qui a su se mettre en marge des conventions académiques, préférant exprimer sa liberté créatrice plutôt que d’obéir aux règles établies.
L’exposition du Petit Palais réunit une centaine d’œuvres – peintures, dessins, estampes – venues de collections prestigieuses françaises et internationales : Louvre, musée Fabre de Montpellier, Metropolitan Museum of Art de New York, Rijksmuseum d’Amsterdam, Kimbell Museum of Art de Fort Worth, Galeries Nationales d’Écosse, collections royales d’Angleterre, et bien d’autres. Cette réunion exceptionnelle permet de redécouvrir un artiste qui fit de l’enfance un fil rouge de son œuvre.
En parcourant les salles, on croise des enfants rêveurs ou espiègles, boudeurs ou candides, aimés, ignorés, punis, embrassés ou abandonnés. Greuze en fait les témoins des tensions intimes et sociales, les miroirs d’une époque où les philosophes – Rousseau, Diderot, Condorcet – réinventaient la notion d’éducation et la place de l’enfant dans la famille.
J’ai pu visiter cette exposition en avant-première, et je ne peux que vous la recommander pour découvrir Greuze, un peintre virtuose – que je ne connaissais pas, je l’avoue -, et parfaitement à sa place dans ce siècle des Lumières empreint de libertés nouvelles.
JEAN-BAPTISTE GREUZE, PEINTRE DE L’ÂME ET DE L’ENFANCE AU SIÈCLE DES LUMIÈRES
DE TOURNUS À PARIS
Jean-Baptiste Greuze naît en 1725 à Tournus, en Bourgogne, dans une famille modeste. Son père, couvreur, n’imaginait sans doute pas que son fils deviendrait l’un des peintres les plus célèbres de son temps. Doué très jeune pour le dessin, Greuze reçoit une première formation à Lyon, puis monte à Paris.
Il étudie brièvement à l’Académie royale de peinture et de sculpture, mais c’est surtout par son talent personnel et sa fréquentation des cercles d’artistes qu’il s’impose. Ses premiers tableaux, exposés au Salon de 1755, attirent l’attention : Le Petit Paresseux (un enfant endormi sur son livre) et La Lecture de la Bible séduisent par leur réalisme et leur humanité. Diderot s’enthousiasme pour ce jeune peintre capable de représenter la vie domestique avec autant de sincérité.
UN PEINTRE MORALISTE ET POPULAIRE
Contrairement aux peintres d’histoire, qui illustraient des sujets antiques ou religieux, Greuze s’attache aux scènes de genre : des épisodes du quotidien, des portraits d’enfants ou de familles. Mais loin d’être anecdotiques, ses œuvres véhiculent une forte dimension morale et éducative. Elles traduisent les préoccupations des Lumières : la responsabilité des parents, le rôle de l’éducation, la fragilité des liens familiaux.
Ses tableaux rencontrent un immense succès. Ils sont reproduits en gravures et circulent dans toute l’Europe, donnant à Greuze une notoriété exceptionnelle. Ses têtes d’expression d’enfants deviennent des images populaires, admirées pour leur sincérité et leur intensité émotionnelle.
LES AUDACES ET LES SCANDALES
Mais Greuze est aussi une personnalité frondeuse, qui refuse de se plier aux usages de l’Académie. En 1769, après treize ans de retard, il présente son morceau de réception : Septime Sévère reprochant à Caracalla d’avoir voulu l’assassiner. Il espérait ainsi être reconnu comme peintre d’histoire, le genre le plus prestigieux. L’Académie le reçoit finalement… mais seulement comme peintre de genre, jugeant son tableau médiocre. Humilié, Greuze claque la porte et expose désormais dans son atelier.
Il se met aussi à dos une partie de la cour de Louis XV: refusant de peindre le portrait de la Dauphine, il choque le Dauphin qui le qualifie de «fou». Sa carrière prend alors une tournure plus solitaire.
UNE VIE PERSONNELLE TOURMENTÉE
Sur le plan privé, Jean-Baptiste Greuze épouse en 1759 Anne-Gabrielle Babuty, fille de libraire. Elle joue un rôle actif dans la diffusion de ses œuvres en gravure, mais le couple se déchire rapidement. Les querelles conjugales, rapportées par Diderot, sont célèbres. Ils finissent par se séparer en 1785 et divorcent en 1793.
Greuze, vieilli et ruiné, termine sa vie dans son atelier parisien, entouré de ses deux filles, également peintres. Il meurt en 1805, oublié d’un public qui s’était tourné vers le néoclassicisme de David.
L’EXPOSITION DU PETIT PALAIS
À travers près de 100 œuvres, le Petit Palais rend justice à l’artiste singulier que fût Jean-Baptiste Greuze. Le fil conducteur choisi – l’enfance – révèle toute la richesse et l’audace de son œuvre. Car rarement un peintre n’a autant représenté les enfants : portraits de ses proches, figures anonymes, scènes domestiques, images allégoriques.
L’exposition met aussi en lumière la modernité de Greuze : derrière la tendresse, il ose montrer la cruauté des adultes, la fragilité des liens, la violence psychologique, la perte de l’innocence. Ses enfants sont des miroirs de la société et des interrogations philosophiques de son temps.
UNE SCÉNOGRAPHIE IMMERSIVE
La scénographie conçue par Matteo Soyer recrée l’atmosphère d’un intérieur du XVIIIᵉ siècle. Le parcours se déploie en une succession de petits salons, ornés de moulures et de papiers peints. Chaque salle a son ambiance – claire et joyeuse ou sombre et dramatique – en fonction des thèmes. Les « cartels Œil aiguisé » proposent des clés de lecture et attirent l’attention sur des détails symboliques ou humoristiques.
Le visiteur chemine ainsi dans un univers qui alterne tendresse et drame, douceur et cruauté, à l’image même de la peinture de Greuze.
LE PARCOURS DE VISITE EN SEPT SECTIONS
Je vous propose maintenant de me suivre dans la découverte de cette monographie dédiée au talent de Jean-Baptiste Greuze.
1. INTRODUCTION – LA FAMILLE GREUZE
Dès l’entrée, on découvre les portraits intimes réalisés par Greuze : son épouse, ses filles Caroline et Louise-Gabrielle, parfois accompagnées du petit chien de la maison. Ces œuvres plongent dans la sphère privée du peintre. Elles révèlent sa tendresse paternelle mais aussi la force de caractère d’un couple connu pour ses disputes. C’est une entrée en matière touchante, qui humanise l’artiste et donne un visage à sa famille.
2. L’ENFANCE D’APRÈS NATURE
Cette section présente des portraits d’enfants observés avec acuité. Greuze ne peint pas des modèles idéalisés : il capte des regards graves, des sourires espiègles, des gestes maladroits. Le Petit Paresseux (1755) montre un enfant endormi sur son livre, mélange de candeur et de réalisme. À travers ces portraits, Greuze affirme que l’enfance est un âge à part entière, digne d’attention et de respect.
3. AIMER, ALLAITER, ÉDUQUER
Greuze met en scène mères, pères et nourrices. Certaines femmes allaitent, d’autres rendent ou reçoivent un enfant confié en nourrice. Ces tableaux traduisent une réflexion sur l’éducation et l’amour parental, en écho aux débats des Lumières. Hostile à la pratique de la mise en nourrice, il promeut l’allaitement maternel, symbole du lien naturel entre la mère et l’enfant. Ces œuvres résonnent avec les écrits de Rousseau ou de Diderot.
4. HISTOIRES DE FAMILLE, THÉÂTRES INTIMES
Ici, Greuze déploie tout son talent de dramaturge domestique. Dans Le Gâteau des rois (1774), une famille célèbre l’Épiphanie dans une scène joyeuse et conviviale. Mais d’autres toiles montrent la cruauté, les tensions, la violence psychologique. La famille, chez Greuze, est à la fois un lieu d’amour et un terrain de conflits, où les enfants sont souvent les premières victimes.
5. GREUZE GRAVE, L’ENFANCE EN MAJESTÉ
Cette salle rappelle que le succès de Greuze passa aussi par la gravure. Son épouse, fille de libraire, contribua à organiser ce commerce, qui fit circuler ses images d’enfants dans toute l’Europe. Les gravures de La Petite Nanette ou du Petit Paresseux permirent à son art d’atteindre un large public et contribuèrent à son immense popularité.
6. LA LEÇON DE L’HISTOIRE : LE FILS FACE AU PÉRE
Greuze s’attaque ici à des sujets plus tragiques. Les célèbres pendants Le Fils ingrat et Le Fils puni (Louvre) montrent les déchirements familiaux, les malédictions paternelles et le repentir tardif. Septime Sévère et Caracalla (1769) illustre le drame antique mais aussi une critique politique : le mauvais père engendre la décadence de l’Empire. Ces tableaux bouleversent par leur intensité dramatique et leur portée morale.
7. INNOCENCE PERDUE ET DESTINS BRISÉS
La dernière section est sans doute la plus poignante. Elle présente les jeunes filles peintes par Greuze, entre pureté et désillusion. La Jeune fille à la colombe incarne la promesse d’un avenir radieux, tandis que La Cruche cassée révèle la brutalité de la perte de l’innocence, métaphore d’un viol ou d’un abus. L’Oiseau mort (1800), présenté à la fin de sa carrière, montre une jeune fille bouleversée par la mort de son oiseau : une métaphore de la fragilité et du deuil. Ces toiles, d’une virtuosité technique éblouissante, touchent profondément et témoignent du courage de Greuze à représenter ce que son siècle préférait ignorer.
MON AVIS
En parcourant cette exposition on découvre un peintre qui, loin des clichés, a su représenter la complexité des relations familiales et la fragilité de l’enfance avec une sincérité bouleversante.
J’ai particulièrement apprécié le dialogue entre douceur et cruauté: les enfants de Greuze ne sont pas figés dans l’innocence, ils expriment des émotions universelles, parfois douloureuses. Les cartels « Œil aiguisé » enrichissent la visite en révélant des détails symboliques. Enfin, la scénographie, élégante et immersive, recrée l’atmosphère du XVIIIᵉ siècle et permet de mieux entrer dans l’univers du peintre.
En sortant, on se dit que Greuze mérite d’être redécouvert. Il fut un peintre de son temps, mais aussi un observateur intemporel de la condition humaine.
INFORMATIONS PRATIQUES
Quoi ? Jean-Baptiste Greuze. L’enfance en lumière
Où ? Petit Palais – Musée des Beaux-Arts de la Ville de Paris
Avenue Winston-Churchill, 75008 Paris
Accès ? Métro Champs-Élysées Clemenceau (lignes 1 et 13)
ou Franklin Roosevelt (ligne 9), RER C Invalides, bus 28/42/72/73/80/83/93, station Vélib’ Petit Palais
Quand ? 16 septembre 2025 – 25 janvier 2026
Mardi à dimanche, 10h-18h
Nocturnes vendredi et samedi jusqu’à 20h
Combien ? Plein tarif 14 €, réduit 12 €
Réservation conseillée sur petitpalais.paris.fr




































































































