À l’occasion du centenaire de sa mort le 26 mars 1923, le Petit Palais, à Paris, rend hommage à l’une des plus grandes figures du théâtre français, et à celle qui sera la première véritable star internationale: Sarah Bernhardt (1844-1923).
À travers la présentation unique de près de 400 œuvres, l’exposition «Sarah Bernhardt - Et la femme créa la star», à voir jusqu’au 27 août 2023, raconte celle qui, par son talent, mais aussi et surtout par son caractère audacieux, sa «voix d’or» aux tremblements si reconnaissables, sa silhouette en «S», sa chevelure rousse et mousseuse, son sens de la communication et sa liberté excentrique, fascinera ses contemporains comme elle fascine encore aujourd’hui.
Surnommée la Divine, la Grande Sarah, ou même le Monstre Sacré (formule inventée pour elle par jean Cocteau), Sarah Bernhardt est devenue un mythe en France comme à l’étranger, et sera l’amie des plus grands artistes de son temps: l’illustrateur Gustave Doré, les peintre Georges Clairin (qui lui fera un de ses plus célèbres portraits) et Louise Abbéma (avec qui elle vivra une histoire d’amour), l’affichiste Alfons Mucha (dont elle lancera la carrière grâce aux affiches de ses spectacles), le photographe Nadar (qui l’immortalisera sur pellicule), les écrivains Edmond Rostand, Victor Hugo, Alexandre Dumas Fils (même s’il ne l’aimait pas beaucoup paraît-il), Victorien Sardou ou Sacha Guitry, dont elle jouera de nombreuses pièces.
Photographies, tableaux, costumes, effets personnels, mobiliers, objets d’art, sculptures, vidéos, affiches ou encore vêtements et accessoires… l’exposition, très riche et extrêmement documentée, révèle ici à la fois la grande actrice et son immense célébrité, mais aussi la femme intime et ses talents d’artiste parfois méconnus (sculptrice, peintre, écrivain).
Sa devise, «Quand même», reflète sa personnalité audacieuse, et le caractère indomptable de celle qui sera la seule maîtresse de sa vie. Cette devise, elle l’aurait prononcée la première fois à 9 ans, alors que, défiée par un cousin, elle se serait cassé le poignet en sautant par-dessus un ravin. Elle aurait alors exprimé son souhait de recommencer «quand même», car comme elle le précise dans ses mémoires, «je ferai toute ma vie ce que je veux faire!». Une force de caractère et une personnalité hors norme que nous propose de découvrir l’exposition.
LA VISITE DE L'EXPOSITION
Le parcours, qui s’articule autour de 12 grandes sections, débute par l’enfance provinciale (Quimperlé, Auteuil) de Sarah Bernhardt, née d’une mère hollandaise, Julie Judith Bernhardt, et d’un père inconnu, le 22 octobre 1844. Cette première section évoque surtout la vie de jeune demi-mondaine que Sarah vivra dès les années 1850 dans le Paris du Second Empire (1852-70) auprès de sa mère et sa tante, courtisanes réputées de la capitale.
C’est ensuite sur les conseils du duc de Morny (1811-65), demi-frère de l’empereur Napoléon III (1808-73), qu’elle entre au Conservatoire où elle débute sa vie d’actrice. Après de petits rôles, elle se fait remarquée en 1869 au théâtre de l’Odéon dans le rôle de Zanetto, le troubadour de la pièce Le Passant de François Coppée, pour lequel elle se travestit (elle jouera ensuite plusieurs rôles masculins, dont Hamlet).
Le triomphe vient ensuite en 1872 lorsqu’elle interprète le rôle de la Reine dans Ruy Blas de Victor Hugo. Un rôle qui lui ouvre les portes de la Comédie Française. Celle qu’on surnomme alors «Mademoiselle Révolte» finit par quitter la prestigieuse organisation après l’échec d’une pièce qu’elle s’était vue imposée en 1880. Ainsi, comme elle l’écrira dans sa lettre de démission : « C’est mon premier échec à la Comédie-Française. Ce sera le dernier. »
On découvre ensuite une Sarah Bernhardt aux multiples talents artistiques. Peintre et sculptrice, elle exposera régulièrement au Salon parisien, et se fera bâtir un atelier-salon couru par le tout-Paris mondain. Ici, les œuvres, présentées dans une scénographie qui rappelle son atelier, sont vraiment dignes d’intérêt. C’est l’une des belles surprises de l’exposition : découvrir les œuvres et le talent d’artiste multidisciplinaire de la Divine !
On pénètre ensuite dans l’intimité de Sarah Bernhardt. Une des sections de l’exposition les plus étonnantes. En effet, au-delà des éléments et objets éclectiques -peintures, souvenirs du monde entier, meubles, vêtements et accessoires de luxe…. dont elle remplissait ses hôtels particuliers de la rue Fortuny, d’abord, puis du boulevard Pereire, plus tard, on découvre ici la femme excentrique, passionnée par le macabre (elle pose souvent endormie dans un cercueil) et le fantastique (animaux étranges, fauves et chauve-souris…). Parmi ses excentricités, on raconte qu’en admiratrice des grands fauves, elle aurait un temps voulu se faire greffer une queue de tigre. Sachez qu’elle sera aussi la propriétaire d’un alligator -chose étonnante, surtout pour l’époque- qui finira par dévorer son lévrier, Hamlet. Le malheureux chien fût empaillé et exposé chez elle, tandis qu’on dit que le reptile mourra d’une overdose de champagne.
Vient alors la section la plus spectaculaire: celle dédiée à l’actrice et à ses grands rôles. Sa présence sur scène marque les spectateurs. On aime sa façon dramatique et surjouée d’interpréter les personnages qu’elle incarne, notamment lors de ses scènes d’agonie mémorables. Du Théâtre de la Renaissance à celui de la Porte Saint-Martin, elle triomphe dans des rôles classiques -Phèdre de Racine et sa célèbre tirade, Hamlet de Shakespeare- comme dans des pièces contemporaines, dont certaines créées spécialement pour elle: Gismonda, Cléopâtre, Fédora, Theodora ou encore La Tosca de Victorien Sardou (un de ses auteurs favoris); la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas Fils, rôle où elle triomphera des années durant; Jeanne d’Arc, de Jules Barbier puis le Procès de Jeanne d’Arc d’Emile Moreau; Froufrou d’Henri Meilhac et Ludovic Halévy ; la Samaritaine d’Edmond Rostand; Médée de Catulle Mendès…
Soucieuse d’interpréter une diversité de rôles, elle jouera aussi régulièrement des personnages masculins:Hamlet (Shakespeare), Lorenzaccio (Alfred de Musset), Pierrot Assassin (Richepin).
Finalement, elle jouera dans plus de 120 pièces et devient une personnalité à l’image connue de tous. A tel point que, comme nous l’apprend la suite de l’exposition, sa silhouette se déclinera sur de nombreuses cartes postales comme sur des photos qui l’immortalisent dans ses plus grands rôles et véhiculent l’image d’une véritable star.
Mais Sarah Bernhardt est aussi une femme d’affaire et une vraie communicante. Elle n’hésitera pas à apparaître sur de nombreuses affiches publicitaires, associant son nom et son image à une diversité de marques et de produits, des sardines Saupiquet aux biscuits LU, en passant par l’absinthe Terminus et la poudre de riz la Diaphane.
Une image qui va traverser les frontières dès la fin du 19e siècle et qui va s’exporter dans le monde entier. Une série de tournées internationales va lui permettre de jouer son rôle d’ambassadrice de la culture française, mais aussi de rayonner en tant que star sur les cinq continents. Entre 1880 et 1881, elle se produit ainsi plus de 156 fois dans 50 villes américaines. Une première tournée aux États-Unis qui ne sera pas la dernière! Jusque dans les années 1920, elle voyagera, parcourant l’Amérique du Nord et du Sud (Brésil, Mexique, Argentine), l’Europe, la Russie, l’Egypte ou encore l’Australie.
En parallèle, en France, après avoir géré le Théâtre de la Renaissance à Paris entre 1893 et 1899, Sarah Bernhardt se voit confier la direction du Théâtre des Nations, qui devient le Théâtre Sarah Bernhardt (ancien Théâtre Lyrique, créé au Second Empire, qui prendra le nom de Théâtre de la Ville en 1968). Elle redécore les lieux –la salle en jaune bouton d’or et le foyer repeint grâce à ses amis Georges Clairin et Louise Abbéma-, et y crée de nombreuses pièces. Parmi elle, l’Aiglon d’Edmond Rostand, une pièce imaginée pour elle en 1900 par l’écrivain autour du destin tragique du fils de Napoléon 1er. Ce sera un nouveau triomphe et la pièce sera jouée plus de 1000 fois!
Enfin, après avoir pu écouter la «voix d’or», comme la surnommait Victor Hugo, grâce à des enregistrements inédits, l’exposition nous invite à découvrir la femme engagée qu’était Sarah Bernhardt. Une femme engagée pour son art, certes, mais aussi pour la justice et son pays. Dès 1898, elle soutient Emile Zola dans la défense du capitaine Dreyfus. Pendant la Première Guerre Mondiale, alors qu’elle est elle-même amputée de la jambe droite, elle rejoint le Théâtre de l’Armée et joue sur le front pour soutenir le moral des troupes. En 1916, elle part aux États-Unis pour convaincre les autorités et l’opinion américaines de la nécessité d’entrer en guerre aux côtés des Alliés. Enfin, elle s’impose dans des pièces engagées, comme Jeanne Doré de Louis Mercanton, qui défend l’abolition de la peine de mort.
Nous apprenons ensuite que la grande comédienne de théâtre et devenue, à la fin de sa vie, une actrice de cinéma. Ce cinéma encore muet dans lequel elle tournera plus de 20 ans entre 1900 et 1923 : des films projetés dans le monde entier, adaptés de ses grands succès sur scène (la Dame aux camélias, La Tosca, Hamlet…) mais aussi créés pour elle, comme le film La Reine Elisabeth, en 1912, qui fera le succès du fondateur de la Paramount et dont les recettes aideront à lancer les grands studios hollywoodiens.
Le théâtre a été toute sa vie, le cinéma marquera la fin de sa carrière, jusqu’à son dernier rôle, celui de ses funérailles, le 29 mars 1923, qui seront filmées pour les actualités de l’époque. On y voit une foule près d’un demi-million de personnes suivre le cortège de chez elle, boulevard Pereire, jusqu’au cimetière du Père Lachaise.
Enfin, l’exposition se termine sur un aspect différent de la femme Sarah Bernhardt, une facette loin des mondanités parisiennes: son amour pour la nature bretonne et Belle-Île, son paradis. En 1894, elle y acquiert un ancien fort militaire qu’elle transforme en résidence de villégiature où elle accueillera ses amis et sa famille. Des paysages à la faune et à la flore inspirantes pour la sculptrice qui y réalisera de nombreuses œuvres, dont ces étranges sculptures d’algues en bronze.
D’un point de vue privé, Sarah Bernhardt aura un fils, Maurice Bernhardt (1864-1928) avec le prince belge Henri de Ligne (1824-1871). Elle aura tout au long de sa vie de nombreux amants parmi lesquels: Charles Haas (personnage mondain parisien), les artistes Gustave Doré, George Clairin et même la peintre Louis Abbéma; l’écrivain Victor Hugo, les acteurs Jean Mounet-Sully et Lucien Guitry, le chirurgien Samuel Pozzi qu’elle surnommera «Docteur Dieu»; ou encore le prince de Galles (futur Edouard VII).
Pour conclure, je laisse le mot de la fin à la Divine Sarah Bernhardt avec quelques-unes de ses citations :
«Il faut haïr très peu, car c'est très fatigant. Il faut mépriser beaucoup, pardonner souvent et ne jamais oublier. Le pardon ne peut entraîner l'oubli».
«Apprends ce que tu ignores, c'est-à-dire tout.»
«La vie engendre la vie. L’énergie produit l’énergie. C’est en se dépensant soi-même que l’on devient riche.»
«L'amour, c'est un coup d'œil, un coup de rein et un coup d'éponge.»
(Sachez que vous pouvez vous amuser en vous prenant en photo façon Sarah Bernhardt
à la fin de l'exposition. je vous laisse juges....)
INFORMATIONS PRATIQUES
L’exposition est ouverte du mardi au dimanche de 10h à 18h, et en nocturne les vendredis et samedis jusqu’à 20h.
Plein tarif :15€
Tarif réduit : 13€
L’exposition connaît un vrai succès, donc il vaut mieux réserver son créneau sur le site du Petit Palais.
Notez que le Petit palais à créer un compte Instagram posthume pour Sarah Bernhardt @sarahbernhardtofficiel où vous pouvez suivre les actualités liées à la star de la fin du 19e siècle et du début du 20e.
SOURCES
Visite personnelle de l’exposition
Dossier de presse de l’exposition
Numéro spécial « Sarah Bernhardt » du magazine Beaux-Arts