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EXPOSITION À LA CHAPELLE EXPIATOIRE: LA DUCHESSE & LE DUC D’ANGOULÊME


Entrevue du duc et de la duchesse d'Angoulême, Barthélémy Garnier, 1826 (Musée des Beaux-Arts de Chartres)

Suivez-moi aujourd’hui à la Chapelle Expiatoire, à Paris, pour une exposition inédite autour de deux personnages méconnus mais qui auraient pourtant pu changer le cours de l’Histoire de France: «La Duchesse et le Duc d’Angoulême», jusqu’au 17 septembre 2023.


Située au cœur du quartier Haussmann, la Chapelle Expiatoire est érigée sous la Restauration, cette période après le Premier Empire de Napoléon 1er (1804-1814) qui voit revenir sur le trône deux rois de France, les frères de Louis XVI: Louis XVIII (règne 1814-1824) et Charles X (règne 1825-1830).

Bâti sur l’ancien cimetière de la Madeleine où étaient inhumés 1343 guillotinés, parmi lesquels le Roi Louis XVI (mort le 21 janvier 1793) et la Reine Marie-Antoinette (exécutée le 16 octobre 1793), cet édifice mémoriel de style néo-classique est commandé par le nouveau roi Louis XVIII à l’architecte François-Léonard Fontaine pour commémorer et rendre hommage au dernier couple royal de l’Ancien Régime.

La construction de la Chapelle Expiatoire commence ainsi en 1816 et se termine en 1826. Le 21 janvier 1815 -date anniversaire de la mort de Louis XVI-, les restes du couple royal sont transférés à la basilique Saint-Denis où reposent la quasi-totalité des souverains et souveraines de France depuis Dagobert 1er (629-639).


Au cœur de la Chapelle Expiatoire se trouvent deux groupes sculptés qui se font face: le premier est consacré à Louis XVI. Réalisé par Joseph Bosio, cet «Apothéose de Louis XVI» met en scène le Roi, habillé de son manteau de sacre et soutenu par un ange qui le guide vers le ciel. Le second est dédié à Marie-Antoinette. Cette sculpture de Jean-Pierre Cortot représente la Reine agenouillée devant une allégorie de la Religion.

Ces deux œuvres ont en réalité été installées ici après la Restauration, entre 1834 et 1835. Elles ont été offertes par une certaine duchesse d’Angoulême à qui la Chapelle Expiatoire rend aujourd’hui hommage à l’occasion de sa nouvelle exposition.


Duchesse d'Angoulême, Marie-Thérèse de France

Mais qui est donc cette généreuse donatrice?

Il s’agit simplement de Marie-Thérèse Charlotte de France, surnommée aussi Madame Royale, la fille de Louis XVI et Marie-Antoinette qui a survécu à la prison du Temple et aux troubles révolutionnaires.


RETOUR SUR L’HISTOIRE DE MARIE-THÉRÈSE DE FRANCE?


C’est un fait souvent méconnu des Français, mais la fille aînée de Louis XVI et Marie-Antoinette a bien survécu à la Révolution. Marie-Thérèse Charlotte de France, dite Madame Royale, naît à Versailles le 19 décembre 1778. Dotée d’un fort caractère qui s’affirme très tôt, celle que Marie-Antoinette surnomme «Mousseline» en écho à sa chevelure blonde et légère, ou même parfois «Mousseline la sérieuse», va vivre une enfance heureuse au Château de Versailles, entourée et aimée par sa famille. Un bonheur brisé rapidement par le traumatisme de la Révolution qui la privera de ses repères, l’emprisonnera à la Tour du Temple de 1792 à 1795, et lui enlèvera ses proches, parmi lesquels ses parents, guillotinés en 1793 alors qu’elle n’avait que 15 ans.

Emprisonnée le 13 août 1792 au Temple avec ses parents, son frère Louis-Charles, alors âgé de 7 ans, et sa tante Madame Elisabeth (sœur de Louis XVI), elle sera séparée de son père en décembre 1792, puis rapidement du reste de sa famille. Seule dans sa cellule après l’exécution de sa tante le 10 mai 1794, elle vit coupée du monde. Elle décide de ne plus adresser la parole à ses geôliers et elle écrira en graffiti sur les murs de sa cellule: «Marie-Thérèse-Charlotte est la plus malheureuse personne du monde.» On ne lui donne pas de nouvelles de sa mère et on ne lui annoncera pas son décès, ni celui de sa tante ou de son frère.


À la mort de Robespierre en juillet 1794, les conditions de détention s’améliorent. La presse plaide en faveur de sa libération et on lui octroie une dame de compagnie, Madame Chanterenne, qui lui réapprend quasiment à parler. Marie-Thérèse apprend alors avec effroi la mort de sa mère, de sa tante et surtout de son petit frère Louis-Charles. Ce dernier avait été enlevé à Marie-Antoinette le 1er juillet 1793 et confié au cordonnier Antoine Simon qui devait «l’éduquer». En réalité, il s’agissait surtout de lui faire subir une sorte de lavage de cerveau afin qu’il ne soit pas tenté de revendiquer le trône de France plus tard. On lui apprend ainsi des chants révolutionnaires, on le laisse sans éducation, on le fait boire même, et on le maltraite… à tel point que le 8 juin 1795, il décède des complications de la tuberculose à l’âge de 10 ans.


De son côté, Marie-Thérèse, qu’on appelle désormais «l’orpheline du Temple», devient célèbre, et l’opinion publique est touchée par son sort. Finalement, elle va servir de monnaie d’échange contre des prisonniers français détenus en Autriche, et le jour de ses 17 ans, le 19 décembre 1795, elle quitte sa prison pour gagner la cour de Vienne, où se trouve la famille de sa mère. Exilée, elle voyage à travers les cours européennes, avant de retrouver ses oncles, les frères de Louis XVI, le comte de Provence (futur Louis XVIII) et le comte d’Artois (futur Charles X). Ces derniers ont fui la France dès les premiers soubresauts de la Révolution, et ils sont bien décidés à prendre en mains le destin de leur désormais célèbre nièce.

En effet, ils comprennent surtout qu’elle est un atout de taille pour restaurer la monarchie française: pour les royalistes encore nombreux, elle représente un lien précieux entre l’Ancien Régime et le nouveau monde postrévolutionnaire. Ainsi, pour assoir encore plus la légitimité de Marie-Thérèse, ses oncles vont choisir de la marier à son cousin Louis-Antoine d’Artois (1775-1844), duc d’Angoulême, fils du comte d’Artois (futur Charles X) et héritier du trône. Imaginez! leur potentiel fils serait à la fois le petit-fils de Louis XVI, dernier roi de l’Ancien Régime, et de Charles X, deuxième roi de ce nouveau monde postrévolutionnaire. Cette union est ainsi un bon moyen de doublement légitimer la dynastie régnante qui s’annonce.


Point anecdote ! Savez-vous que Marie-Thérèse avait préséance sur son époux ?

Normalement, lorsqu’une princesse se marie, elle prend le titre de son mari et perd son rang. Une exception existe cependant. Lorsqu’une princesse est fille de roi, elle garde son rang et dispose même de la préséance sur son époux. Ainsi, par son mariage, Marie-Thérèse, fille de Louis XVI, a donc préséance sur son époux, le duc d’Angoulême, fils du comte d’Artois. Par exemple, elle marchera toujours quelques pas devant lui. Mais tout cela va changer quand Charles X va monter sur le trône en 1824. Le duc d’Angoulême deviendra alors lui aussi fils de roi, et redisposera de la préséance sur sa femme.


En épousant Louis-Antoine d’Artois le 10 juin 1799, à Mittau en Lettonie où elle a rejoint ses oncles en exil, Marie-Thérèse devient alors duchesse d’Angoulême et surtout la potentielle future reine de France. Une éventualité qui semble de plus en plus probable! En effet, après la chute du Premier Empire (avril 1814), la Restauration de la monarchie qui s’instaure en 1814 lui permet de revenir en France. Son oncle Louis XVIII est alors appelé sur le trône. À ses côtés, Marie-Thérèse jouera quasiment le rôle d’une première dame. Par son histoire tragique, elle jouit d’une image de plus en plus populaire, appuyée par une propagande royaliste qui la présente en quasi-martyre.

Napoléon Bonaparte

Cependant, Napoléon 1er, qui était contraint à l’exil sur l’île d’Elbe, au large de l’Italie, va réussir à s’évader, bien décidé à reprendre le pouvoir. Ce sera chose faite le 20 mars 1815 et Louis XVIII sera contraint de s’exiler une nouvelle fois. Lorsqu’elle apprend le retour de l’ex-empereur en France, Marie-Thérèse est à Bordeaux avec son mari. Elle va alors y organiser une résistance royaliste, allant de relations publiques avec les autorités locales en allocutions devant l’armée. Elle se montre, s’évertue à convaincre tous ceux qu’elle croise, de l’aristocrate au soldat… en vain. Finalement, les troupes rallient Napoléon et la duchesse d’Angoulême est contrainte de fuir vers l’Espagne avant de gagner l’Angleterre. Marie-Thérèse aura cependant réussi à démontrer sa force de caractère. Elle apparaît aux yeux du monde, et en particulier des royalistes, comme une reine prête à tout sacrifier pour son pays. Elle gagne alors le surnom d’Amazone (comme sa grand-mère maternelle, l’Impératrice Marie-Thérèse d’Autriche), et Napoléon, impressionné, dira même d’elle qu’elle est le «seul homme de la famille».


Finalement, après un règne de «Cent Jours», le 22 juin 1815, dans son bureau de l’Elysée, l’ex empereur va devoir abdiquer une nouvelle fois après la célèbre défaite contre la coalition européenne à Waterloo, en Belgique, le 18 juin 1815. Louis XVIII remonte ainsi sur le trône de France le 8 juillet de la même année. Marie-Thérèse est également de retour à ses côtés, et après elle, c’est au tour de son mari de parfaire sa réputation.


Nous sommes en avril 1823. Le duc d’Angoulême, à la tête d’un corps de l’armée française, se rend en Espagne pour restaurer le roi de ce pays où les tensions entre libéraux et royalistes absolutistes s’accroissent depuis 1820. Victorieux de la bataille sur la presqu’il du Trocadéro en Andalousie, Louis-Antoine rétablit Ferdinand VII sur le trône espagnol, et gagne ainsi en prestige en France, mais aussi dans l’ensemble des cours européennes. La dynastie des Bourbons renoue alors avec la gloire passée, et les succès de Marie-Thérèse comme de Louis-Antoine vont contribuer à légitimer le retour de la monarchie française.


Le 16 septembre 1824, Louis XVIII meurt, et c’est donc naturellement que son frère lui succède, sous le nom de Charles X. Le duc d’Angoulême devient ainsi Dauphin de France et, ironie de l’Histoire, Marie-Thérèse devient elle-aussi Dauphine et future Reine de France.


Alors que Louis XVIII avait ouvert la voie à une monarchie plus en phase avec l’héritage révolutionnaire, Charles X apparaît plus conservateur et désireux de revenir sur les acquis libéraux. Le nouveau roi, soutenu par les ultraroyalistes, va travailler à restaurer l’Ancien Régime et effacer la Révolution de 1789. Il prend alors une série de mesures autoritaires qui conduiront à renforcer l’opposition libérale au régime monarchique. Le duc et la duchesse d’Angoulême, qui bénéficiaient jusque-là d’une image positive, vont voir leur cote de popularité chuter, et avec elle les pamphlets et les caricatures peu flatteuses se multiplier. Marie-Thérèse est représentée autoritaire et castratrice, face à un duc d’Angoulême faible et indigne de régner.


Paris va alors se soulever une nouvelle fois, et des combats vont avoir lieu les 27, 28 et 29 juillet (trois journées qu’on appellera les Trois Glorieuses). Le 2 août 1830, replié au château de Rambouillet, Charles X abdique en faveur de son fils, d’abord, qui devient un instant le roi Louis XIX, avant d’abdiquer une seconde fois en faveur du duc de Bordeaux, son petit-fils. Notez qu’ici, il ne s’agit pas du fils du duc et de la duchesse d’Angoulême, qui n’auront pas d’enfant, mais de celui du duc de Berry, le second fils de Charles X, mort dans un attentat le 14 février 1820.

Cependant, la Chambre des députés ne l’entend pas ainsi, et le 7 août 1830, le trône est déclaré vacant. Le 9 août, on porte alors à la tête du pays un autre roi descendant de la branche des Orléans, cousine de celle des Bourbons dont sont issus Charles X, Louis-Antoine et Marie-Thérèse: Louis-Philippe 1er, ancien duc d’Orléans, nommé roi des Français, et non plus Roi de France, pour montrer une certaine inclinaison vis-à-vis du peuple.

Marie-Thérèse, Charles X et la cour s’exilent. D’abord en Angleterre puis en Écosse au château de Holyrood, avant de s’installer à partir d'octobre 1832 au château de Prague. En mai 1836, ils émigrent dans le palais Coronini-Cronberg à Goritz, ville autrichienne à l’époque, aujourd’hui localisée à la frontière italo-slovène (Gorizia). L’ex-roi Charles X meurt du choléra le 6 novembre 1836. Pour les royalistes légitimistes, ils sont le roi Louis XIX et la reine Marie-Thérèse.


Le 3 juin 1844, Louis-Antoine meurt. Marie-Thérèse décide alors de s’installer au château de Frohsdorf qu’elle acquiert près de Vienne. Elle s’y rapproche des Habsbourg, la famille impériale autrichienne, et continue d’éduquer son neveu, le duc de Bordeaux, devenu pour les légitimistes le roi de France Henri V.

Finalement, Marie-Thérèse meurt sans enfant le 19 octobre 1851 à près de 73 ans. Elle manque de peu de connaître le Second Empire de Napoléon III. Elle est inhumée dans un monastère franciscain à Kostanjevica (aujourd’hui Nova Gorica en Slovénie), où reposent également son oncle Charles X, son mari, et depuis le supposé Henri V et son épouse Marie-Thérèse de Modène.


À l’annonce de sa mort, la France républicaine lui rend de nombreux hommages, effaçant les conflits du passé. Aujourd’hui, peu de Français se souviennent encore du duc et de la duchesse d’Angoulême ; ce couple qui, pourtant, aurait pu régner sur la France et ancrer plus fortement leur histoire dans celle du pays. Noter que si vous vous rendez au Louvre, vous pourrez admirer les bijoux de la duchesse d’Angoulême dans la galerie d’Apollon.

Pour en savoir plus sur le duc et la duchesse d’Angoulême, ne manquez pas l’exposition qui leur est consacrée à la Chapelle Expiatoire jusqu’au 17 septembre 2023. Et pour découvrir l’histoire de ce lieu de mémoire, rendez-vous sur ce blog dans l’article et le podcast dédiés à la visite que j’en ai fait.
Exposition "Duchesse et duc d'Angoulême", Chapelle Expiatoire


INFORMATIONS PRATIQUES

Pour tout savoir, rendez-vous sur le site de la Chapelle Expiatoire.


SOURCES

  • Visite de l’exposition

  • Livret fourni lors de la visite

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