LA MAISON JEAN COCTEAU À MILLY-LA-FORÊT : LIEU DE MÉMOIRE ET DE POÉSIE
- Igor Robinet-Slansky
- 18 mars
- 10 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mars

En plein cœur de Milly-la-Forêt, charmant village à une heure de Paris, se cache un lieu poétique et hors du temps : la maison Jean Cocteau (1889-1963). Acquise en 1947 avec son compagnon Jean Marais (1913-1998), cette demeure devient le refuge du célèbre artiste français jusqu'à sa mort en 1963.
Aujourd'hui, transformée en maison-musée, labellisée Maison des Illustres, elle offre aux visiteurs un regard intime sur l'univers personnel et créatif de l’un des génies artistiques les plus prolifiques du 20e siècle, qui sera à la fois poète, dramaturge, peintre et cinéaste.
Des décors singulièrement fantaisistes du salon à l’intimité théâtrale de la chambre, en passant par la poésie tranquille des jardins, visiter la maison de Jean Cocteau est une expérience unique, un voyage extraordinaire et lyrique entre la vie de l’homme et l’imaginaire de l’artiste.
LA MAISON JEAN COCTEAU : LE CADRE PARFAIT POUR UN POÈTE
Jean Cocteau le disait lui-même : « À Milly, j’ai trouvé la chose la plus rare au monde : un cadre. » Et quel cadre ! La demeure en pierre du 17e siècle, qui aurait été bâtie pour accueillir le bailli (représentant local de l’autorité royale), avait tout pour séduire l’artiste.
Son joli parc, d’abord, qui s’articule entre verger et jardins fleuris et arborés, est parcouru de paisibles canaux formés des bras de l’École, la rivière qui traverse le village, plongeant le domaine dans une atmosphère intemporelle, à l’esthétique toute tranquille et poétique.
De l’autre côté de la rive, face au jardin, jaillit la silhouette minérale du château de la Bonde, construit au 13e siècle, auquel la maison était autrefois rattachée. Avec d’autres bâtiments en partie disparus depuis, elle servait en effet d’entrée au domaine seigneurial côté ville. Lorsque l’on arrive aujourd’hui, la façade d’entrée, flanquée de deux tourelles en encorbellement et de portes voutées, rappelle ce passé historique.
Alors qu’il cherche une propriété à la campagne pour se retirer ponctuellement de l’effervescence parisienne, Jean Cocteau est conquis par ce cadre hors du temps, digne des paysages de contes de fées. Il faut dire que lorsqu’il se rend à Milly-la-Forêt, en 1947, il est encore marqué par le tournage du film « La Belle et la Bête », sorti en 1946, avec en tête d’affiche son compagnon de l’époque, l’acteur Jean Marais. L’atmosphère féérique qui se dégage de sa future maison, de la poésie du jardin aux allures fantastiques du château, en passant par la quiétude des cours d’eau, rappelle au couple l’imaginaire du conte légendaire, à la fois rassurant, fascinant et inspirant.
C’est donc ici que Jean Cocteau et Jean Marais s’installent en 1947.
MADELEINE CASTAING, DÉCORATRICE DU RÊVE DE COCTEAU
Pour que sa nouvelle propriété incarne l’espace de refuge, propice à la rêverie, qu’il recherche, Jean Cocteau chine une diversité de meubles et objets plus ou moins insolites et exotiques, et fait appel aux talents de son amie, la célèbre antiquaire et décoratrice d’intérieur Madeleine Castaing (1894-1992).
Son style éclectique, qui mêle avec audace et habilité les styles passés et contemporains, s’intègre parfaitement au cadre historique et rustique des lieux, tout en s’accordant aux désirs de Cocteau qui souhaite faire de sa maison un lieu à la fois de vie intime, de travail et d’accueil pour ses amis, où le beau doit tenir une place centrale.
Couleurs et motifs audacieux pour la peinture ou l’entoilage des murs, accumulation et juxtaposition d’œuvres d’art et d’objets décoratifs aux origines variées, mélange de mobilier ancien et moderne… c’est dans une atmosphère chaleureuse, entre cabinet de curiosités et cocon poétique, que Cocteau vit, travaille et reçoit ses proches.
Il vivra dix-sept années entre Paris, Saint-Jean-Cap-Ferrat et Milly-la-Forêt, où il meurt le 11 octobre 1963, au lendemain de la mort de sa chère amie Édith Piaf (1915-1963).
LA MAISON JEAN COCTEAU APRÈS COCTEAU
Å la mort de Jean Cocteau, c’est son fils adoptif, Édouard Dermit (1925-1995) qui hérite du domaine. En réalité, Dermit est le nouveau protégé de l’artiste. Employé comme jardinier à Milly-la-Forêt dans les années 1940, sa présence et sa beauté réconfortent Cocteau, alors que Jean Marais le délaisse de plus en plus dès les années 1950.
Le jardinier, devenu entretemps peinte et comédien, restera aux côtés du poète jusqu’à la fin de sa vie. Il conservera la maison, ses objets et son mobilier en l’état, jusqu’à sa mort en 1995. Ce sont alors ses deux fils qui reçoivent la propriété de Milly-la-Forêt en héritage, à la condition qu’ils continuent à préserver l’univers et la mémoire de l’artiste – Édouard Dermit souhaitait, en effet, y créer un Musée Jean Cocteau.
En 2002, sous l’impulsion de Pierre Bergé, mécène et admirateur de Cocteau, l’association Les Amis de Jean Cocteau acquiert la demeure, soutenue par les collectivités locales. De grands travaux sont menés pour en faire un lieu d’accueil du public, et ainsi garantir la préservation du patrimoine et de l’univers du poète. La Maison Jean Cocteau, labellisée Maison des Illustres, ouvre ses portes en 2010.
LA MAISON JEAN COCTEAU AUJOURD’HUI : ESPACE D’ART ET DE MÉMOIRE
À la mort de Pierre Bergé en 2017, la Maison connait une phase d’abandon avant d’être reprise en 2019 par la région Île-de-France. En 2020 est créé le Groupement d’Intérêt Public Maison Jean Cocteau qui intègre, en plus de la Région, le Département de l’Essonne, la Ville de Milly-la-Forêt, le Comité Régional du tourisme et le Centre Pompidou.
Depuis, la Maison Jean Cocteau et ses jardins sont ouverts au public de mai à octobre, et sur réservation pour des visites guidées en petit groupe le reste de l’année (plus d’informations ci-après).
Contrairement à ce qu’on pourrait penser, il ne s’agit pas ici d’un musée dédié à l’œuvre du célèbre artiste français. Des pièces de vie aux espaces d’expositions temporaires et thématiques, en explorant la maison de Milly-la-Forêt, c’est toute la personnalité, l’intimité, les goûts, la sensibilité, les inspirations et l’histoire de Jean Cocteau qui s’expriment et s’offrent aux visiteurs.
LA VISITE DE LA MAISON JEAN COCTEAU
La visite de la Maison Jean Cocteau se répartit entre les espaces de vie, au rez-de-chaussée et au premier étage, les lieux d’expositions temporaires, aux premier et deuxième étages, et le jardin.
LE REZ-DE-CHAUSSÉE
La visite commence par la cuisine. Mais ici, à part le carrelage rouge et jaune, et la structure étonnante en estrade, il ne reste plus grand-chose de cette pièce indispensable à qui aime recevoir. Les travaux des années 2005-2010 l’ont, en effet, réaménagé en espace muséal.
Le parcours nous conduit ensuite dans la salle à manger. Sa taille assez réduite confirme qu’à Milly-la-Forêt, Cocteau recevait en petit comité, et en particulier des amis proches, comme Édith Piaf, Marlène Dietrich, ou encore l’artiste Christian Bérard – rien ne le confirme officiellement, mais Pablo Picasso et Coco Chanel auraient potentiellement aussi séjournés ici.
C’est ensuite dans le vestibule que nous arrivons. La couleur orange vif des murs a de quoi surprendre. Mais elle est bien identique à celle d’origine. Ici, plusieurs photos de Jean Cocteau, mais aussi des objets lui ayant appartenu, attirent notre regard. La curieuse sirène de manège du début du 19e siècle qui trône au fond de la pièce interroge. Pourtant, elle se trouvait bien à cet emplacement lorsque Cocteau vivait ici. Elle servait alors, non sans humour, de porte-manteau aux invités !
La visite se poursuit par la pièce maîtresse du rez-de-chaussée : le salon. Ici s’exprime tout le talent de Madeleine Castaing, mais aussi le goût de Cocteau pour les objets insolites. On pénètre alors dans un véritable cabinet de curiosités.
Il faut prendre le temps de bien tout regarder. Ici, un cheval de carrousel ; là, une dent de narval – que l’on rapprochait jadis de la corne de la licorne ; ou encore le fauteuil d’André Gide, des miroirs et un soleil dorés offerts par Gabrielle Chanel, un pot supposé à opium en tête de mouflon, un moulage des mains de Cocteau (seule partie de son corps qu’il trouvait belle) réalisé en 1949, un couple de cervidés en bronze que le poète aimait manipuler (les marques d’usure en sont la preuve), et le fac-similé d’un dessin signé Christian Bérard représentant Œdipe et le Sphinx.
Des réalisations de Madeleine Castaing, on peut aussi admirer la toile imprimée au mur, qui a été volontairement posée à l’envers pour créer un motif original, ou encore les imposantes sculptures de palmiers en laiton.
Pour la suite de la visite, dirigeons-nous vers les étages supérieurs.
LE PREMIER ÉTAGE
S’il ne reste plus rien de la bibliothèque ni des chambres d’amis, transformées en espace d’exposition, le premier étage accueille toujours la chambre et l’antichambre de Jean Cocteau.
L’antichambre, d’abord, rassemble à la fois du matériel de travail - encrier, cahiers, crayons… et des objets chinés ou rapportés de voyage – sculpture, mobilier… L’imprimé léopard des murs, du plafond et du canapé est ici aussi signé Madeleine Castaing.
La chambre, attenante, nous plonge dans un univers beaucoup plus féérique. Le lit à baldaquin rose et noir, dont les rideaux ressemblent plus à ceux d’un théâtre qu’à ceux d’une alcôve, est curieusement positionné en diagonal pour faire face à la fenêtre. Ainsi orienté, il permettait probablement d’apercevoir le château de la Bonde, et donc à Cocteau de mieux rêver.
La peinture murale avec son paysage et ses illustrations, qui semblent directement inspirés des contes de fées, a été réalisée par Jean Marais. Le reste des murs est recouvert d’une toile imprimée imaginée par Madeleine Castaing et toujours présentée sur le revers pour une esthétique plus contemporaine.
Enfin, des objets sur la cheminée au mobilier baroque, c’est l’univers éclectique et poétique de Cocteau qui s’invite ici. On pourrait passer des heures à tout observer.
Le parcours se poursuite au deuxième étage de la maison, où se trouvait la chambre de Jean Marais. Les espaces sont aujourd’hui consacrés à une exposition retraçant la relation artistique et plus intime entre les deux « Jean ».
LE JARDIN
Du verger, avec ses arbres fruitiers, à l’École, la rivière locale, en passant par les pelouses et les massifs fleuries, le jardin de la maison Jean Cocteau est un vrai paradis.
Il est bon de s’y promener, comme aimait le faire Cocteau, et, d’un pont à l’autre, de découvrir les œuvres qui s’y cachent, comme le buste de Turc provenant du décor du film « La Belle et la Bête », ou la tête d’Orphée, présentée près du petit pont.
La meilleure période pour en profiter est bien sûr le printemps, quand les senteurs de fleurs se diffusent et que la glycine habille les abords de la rivière !
À PROPOS DE JEAN COCTEAU
Jean Cocteau, né le 5 juillet 1889 à Maisons-Laffitte, est l'une des figures les plus emblématiques du 20e siècle français. Issu d'une famille bourgeoise, il perd son père - qui se suicide - à l'âge de neuf ans et est élevé par sa mère avec son frère et sa sœur. Très tôt, il se distingue par son look de dandy et son esprit artistique. Il publie ses premiers poèmes en 1909, avant de rapidement devenir une figure incontournable des salons parisiens. Il connaît tout le monde dans la capitale, et tout le monde veut le connaître.
Passionné par la compagnie des Ballets Russes, il se lie d’amitié avec son fondateur, Serge de Diaghilev, et l’un de ses danseurs, Vaslav Nijinsky. Cocteau écrit alors les ballets « Le Dieu bleu » (1912) et « Parade » (1917), en collaboration avec le compositeur Érik Satie.
Poète, peintre, écrivain, son œuvre avant-gardiste est protéiforme. Il collabore, s’inspire ou influence les différents courants artistiques du début du 20e siècle : le dada ou dadaïsme, le cubisme, ou encore le Surréalisme – même si Cocteau, qui ne s’entend pas avec André Breton, ne se réclamera jamais de ce mouvement.
Durant la Première Guerre mondiale, il sert comme ambulancier et se lie d'amitié avec Apollinaire. L'entre-deux-guerres est ensuite une période d'intense créativité pour Cocteau, qui collabore et côtoie des artistes célèbres, d’André Gide à Marcel Proust, en passant par Colette. Il explore divers genres littéraires, du roman poétique à la poésie futuriste, et continue la création de ballets.
Cocteau s'illustre également au théâtre avec des œuvres telles que "Les Mariés de la tour Eiffel" (1921) et "La Machine infernale" (1934), et se rapproche de nombreux artistes dans les années 1930 : Picasso, Coco Chanel, Edith Piaf, le réalisateur Marcel Khill, avec qui il aura une liaison, et bien sûr Jean Marais, son autre amour. Lorsqu’il le rencontre, il est subjugué par sa beauté et l’engage pour jouer le rôle du Chœur dans sa pièce « Œdipe-Roi » (1937) – un rôle muet pour celui qui n’est pas encore l’acteur talentueux qu’il deviendra. Le couple mythique collabore ensuite régulièrement au théâtre, puis au cinéma, notamment, après-guerre, dans le célèbre film "La Belle et la Bête" (1947).
Après la seconde guerre mondiale, Jean Cocteau se lance aussi dans la photographie, et continue l’écriture, le dessin et la peinture – il réalise de grands dessins sur les murs de la villa Santo Sospir de son amie et mécène Francine Weisweiller chez qui il réside à Saint-Jean-Cap-Ferrat, mais aussi dans la chapelle de Villefranche-sur-Mer, et, plus tard en 1959, la chapelle Saint-Blaise-des-Simples, à Milly-la-Forêt, dont les illustrations végétales rappellent les simples, ces plantes médicinales cultivées dans la région – parmi lesquelles la menthe poivrée est la plus réputée.
Élu à l'Académie française le 3 mars 1955, Cocteau est un artiste complet, défiant les classifications littéraires et artistiques. Il décède le 11 octobre 1963, laissant derrière lui une œuvre riche et variée, témoin de son génie créatif et de son engagement pour l'art sous toutes ses formes. Il est enterré dans la chapelle Sainte-Blaise-des-Simples, sous l’épitaphe simple : "Je reste avec vous."
MON AVIS
La visite de la Maison Jean Cocteau, qui ne se fait que guidée et en petit groupe de 20 personnes maximum, permet une véritable plongée dans l'intimité de l'artiste. Je connaissais Jean Cocteau et une partie de son œuvre, mais ici, chaque pièce, du salon à la chambre, en passant par le bureau, est imprégnée de son esprit créatif.
Que vous soyez amateur de Cocteau ou simplement curieux, cette visite vous transportera dans l'univers fascinant d'un poète passionné par la beauté et l'art.
Lors de ma visite, le jardin n’était pas encore en fleurs. Mais je compte bien y retourner pour le découvrir dans toute sa splendeur. N’hésitez pas à en faire autant !
INFORMATIONS PRATIQUES
Quoi ? La Maison de Jean Cocteau et son jardin.
Où ? 15 rue du Lau - 91490 Milly-la-Forêt
Quand ? Ouverture saisonnière (groupes et individuels) de mai à novembre 2025
Lundi-Mardi-Mercredi : Fermé
Jeudi-Vendredi-Samedi-Dimanche : 11h-18h
Modalité de visite? Toutes les visites sont guidées. Pas de visite libre (sauf pour le jardin).
Début des visites à 11h, 11h30, 12h, 12h30, 13h15, 14h, 14h30,15h15,16h, 16h30 et 17h15.
Réservation conseillée
Combien ? Adultes : 11€
Séniors (+ de 65 ans) : 9,50€
Tarif réduit : 8€
Toutes les informations pratiques ici.
Notez que les visites sont possibles hors saison sur réservation, par groupe de 5 personnes. Pour réserver votre visite (en saison ou hors saison), rendez-vous ici, sur le site de la Maison de Jean Cocteau.
SOURCES
Visite guidée de la Maison Jean Cocteau
Site web de la Maison Jean Cocteau
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