Du Petit Poucet à la Belle au Bois Dormant, les contes de notre enfance font souvent référence aux étonnantes bottes de sept lieues. Des bottes magiques qui permettraient à quiconque les chausse de parcourir des kilomètres en un claquement de doigts. Mais au-delà de l’aspect magique du conte, savez-vous que ces bottes légendaires ont bel et bien existé? Je vous dis tout dans cette anecdote que j’ai apprise au Musée Nationale de la Voiture du château de Compiègne, mais aussi lors de ma visite du musée des Équipages du château de Vaux-le-Vicomte où est exposée une belle paire de bottes… de sept lieues!
Avant toute chose, qu’est-ce qu’une lieue?
Il s’agit d’une unité de mesure des distances utilisée sous l’Ancien Régime, avant la Révolution française et l’instauration du système métrique en 1791. Une lieue représente alors environ la distance qu’un homme ou un cheval au pas peut parcourir en une heure, soit l’équivalent de 4 à 5 kilomètres. En cela, sept lieues équivaudraient à 28 ou 35 kilomètres.
Mais pourquoi 7 lieues et non 3 ou 5? D’abord, dans toutes les cultures, il existe une symbolique forte autour du chiffre sept qui a donc toute sa place dans les contes de fées: les sept rayons du soleil d’Apollon, les sept couleurs de l’arc-en-ciel, les sept péchés capitaux, les sept jours de la Création, les sept plaies d’Egypte, les sept joies et douleurs de la Vierge Marie, les sept têtes de la bête de l’Apocalypse, les sept demandes de la prière du Notre Père… Ensuite, et surtout de manière plus pragmatique, sept lieues représentaient la distance entre deux relais de poste.
Tout commence avec la création, en France, de la poste d’État sous Louis XI (règne 1461-1483) sur un modèle déjà existant en Italie. Les lettres et autres colis sont alors transportés de relais de poste en relais de poste par des chevaucheurs qui, à chaque relais, déposent leurs livraisons à d’autres chevaucheurs qui continuent la course. Ils peuvent aussi échanger leurs chevaux fatigués contre des monture fraîchement reposées. Dès le début du 16e siècle, ces relais ou maisons de poste, tenus par des maîtres des postes, vont ainsi être établis toutes les sept lieues, soit la distance qu’un cheval peut parcourir dans la journée avant de devoir se reposer. C’est aussi à cette époque que le roi Louis XII (règne 1498-1515) autorise les maîtres des postes à louer des chevaux pour transporter des voyageurs, guidés par ce qu’on appellera des postillons.
Qu’est-ce qu’un postillon? Sa première tâche est de conduire des voyageurs d’un relais à un autre grâce à des chevaux de selle qu’il a loués, au préalable, à un maître des postes. A chaque relais, il dépose les cavaliers-voyageurs qui repartent avec un nouveau postillon et de nouvelles montures, tandis que lui reconduit à leur relais d’origine les chevaux dont il a la charge, après que ces derniers ont pu se reposer, bien entendu. Le postillon peut également avoir la charge de chevaucheur et ainsi acheminer lettres et colis entre les maisons de poste.
L’apparition du coche -ce véhicule ouvert tiré par des chevaux- au 16e siècle, et surtout le développement des carrosses et autres véhicules de voyages au 17e siècle, vont offrir un nouveau rôle au postillon: il va désormais, et jusqu’à la fin du 19e siècle, s’occuper de mener les attelages des voitures hippomobiles -carrosses, berlines, chaises de poste, coupés, diligences, landaus- qui transportent des voyageurs d’un relais à l’autre, voire même sur de plus longues distances.
Contrairement au cocher qui dirige le ou les chevaux en étant assis à l’avant du véhicule, le postillon, lui, mène l’attelage directement à dos de cheval. S’il est seul pour diriger la voiture, on parle d’un attelage en poste. S’il accompagne un cocher, on parle d’un attelage en demi-poste. Dans tous les cas, lorsqu’il y a plusieurs chevaux, le postillon monte toujours le timonier de gauche, soit le cheval de l’attelage le plus proche de la voiture, et accrocher au timon (d’où son nom), la pièce de bois ou de métal fixée à l’avant du véhicule et à laquelle sont attelé les chevaux.
Point anecdote dans l’anecdote: c’est en référence à la position du postillon, placé à gauche pour conduire l’attelage, que le volant des voitures modernes sera fixé à gauche.
Quoi qu’il en soit, c’est bien le postillon qui va donner naissance à la légende des bottes de sept lieues! En effet, le travail du postillon est difficile. Il est toujours dehors, il doit se maintenir à dos de cheval pendant des heures et les accidents sont fréquents. Aussi, pour se protéger, il possède un équipement spécifique, et en particulier une paire de lourdes et massives bottes qui sont fixées sur les flancs de son cheval, et dans lesquelles il enfile ses pieds et ses jambes lorsqu’il enfourche sa monture. Faites de cuir bouilli et renforcées de fer, elles lui assurent une protection en cas d’accident, leur structure permettant de supporter, sans plier, le poids d’un cheval qui aurait chuté.
Vous comprenez alors que les bottes surdimensionnées du postillon, qui servaient à parcourir des distances de sept lieues entre les différentes maisons de poste, sont devenues, chez Charles Perrault (1628-1703), les légendaires bottes de sept lieues. C’est dans la Belle au Bois dormant, issu des Contes de ma mère l’Oye (1697), que le célèbre auteur évoque pour la première fois ces chausses magiques. Alors que la princesse, victime d’un charme maléfique, est vouée à dormir cent ans, le nain serviteur de sa marraine la fée s’empresse de l’avertir en usant de ses ‘bottes de sept lieues’ qui permettent de parcourir ‘sept lieues en une seule enjambée’. Des bottes aux pouvoirs étonnants qu’on retrouvera dans Le Petit Poucet. Ce dernier réussit en effet à s’enfuir à toute vitesse après avoir subtiliser les bottes de sept lieues de l’ogre qui s’en servait, lui, pour chasser les enfants.
SOURCES
Visite du Musée National de la Voiture au château de Compiègne
Visite du Musée des Equipages au château de Vaux-le-Vicomte
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