«Allons enfants de la patrie..», tout le monde connaît ces mots, les premiers de La Marseillaise, l’hymne national français. Mais si nous avons toutes et tous appris à l’école que ce chant engagé est né sous la plume d’un certain Rouget de Lisle pendant la Révolution, peu de Françaises et de Français, j’en suis sûr, connaissent son histoire et les raisons qui l’ont conduit à devenir l’hymne officiel d’une nation tout entière. Un hymne qui accompagnera la Révolution de 1789, mais aussi tous les événements et les révolutions populaires qui ont balayé la France du 19e siècle.
En ce 14 juillet, jour de Fête Nationale, je vous propose donc de vous dévoiler les secrets de La Marseillaise! Et vous allez voir que ce chant révolutionnaire en réserve quelques-uns, notamment celui de sa paternité : La Marseillaise est-elle née à Marseille ? Mais surtout, Rouget de Lisle en est-il le véritable créateur ? Vous allez voir qu’il n’y a rien d’évident.
LA MARSEILLAISE SERAIT-ELLE STRASBOURGEOISE ?
Nous sommes au printemps 1792. La France n’est pas encore une République. Elle le deviendra le 21 septembre de la même année, mais pour le moment, Louis XVI est toujours à la tête du royaume. Cependant, bien qu’il détienne encore un droit de veto sur les propositions de l’Assemblée nationale, ses pouvoirs sont affaiblis depuis la Constitution du 1er octobre 1791 qui a instauré une Monarchie Constitutionnelle. D’ailleurs, il n’est plus roi de France, mais roi des Français, donc subordonné à son peuple.
En parallèle, face à cette France révolutionnaire qui menace le régime monarchique, l’Autriche et la Prusse appellent les cours européennes à une alliance militaire pour tenter de contrer la Révolution, et ainsi rétablir le trône de France. En réaction à la menace grandissante des puissances étrangères, l’Assemblée, et donc la France, décide de déclarer la guerre au roi de Bohème et de Hongrie, soit à l’empire d’Autriche, le 20 avril 1792, puis à la Prusse fin mai.
C’est dans ce contexte que le 25 avril 1792, Frédéric de Dietrich (1748-93), maire de Strasbourg, commande un Chant de guerre pour l’armée du Rhin au capitaine du génie de garnison strasbourgeois, Claude Joseph Rouget de Lisle (10 mai 1760 - 26 juin 1836). Ce chant, c’est la future Marseillaise, qui n’est donc pas née à Marseille mais à Strasbourg !
ROUGET DE LISLE : CRÉATEUR OU USURPATEUR DE LA MARSEILLAISE ?
S’il n’y a pas de question sur la ville d’origine de La Marseillaise, la paternité de notre hymne par Rouget de Lisle est cependant en partie remise en cause, certains allant même jusqu’à qualifier l’ancien capitaine d’imposteur !
Alors, Rouget de Lisle est-il un usurpateur ? Si l’on en juge à son patronyme, la réponse est plutôt oui. En effet, son nom d’origine, Rouget, n’a rien de noble, et serait déjà, en lui-même, une imposture. C’est en effet à 16 ans, alors qu’il souhaite entrer à l’École du génie à Paris, qu’il ajoute «de Lisle» à son nom, une adjonction empruntée à son grand-père. On dit aussi que pour s’approprier cette particule de noblesse, il aurait acheté une parcelle autour de laquelle il aurait creusé un fossé. Une fois bordée d’eau, sa terre serait ainsi devenue une île. Rouget, lui, se serait alors fait appelé Rouget «de l’Île», un nom qu’il transformera en «de Lisle». Notez cependant que l’usurpation a ici ses limites, puisque Rouget de Lisle est en droit de s’octroyer légitimement ce patronyme qui reste celui de son grand-père.
LA MARSEILLAISE : DES PAROLES SI INÉDITES ?
Si le nom de Rouget de Lisle peut poser question, il ne nous éclaire en rien sur sa filiation avec La Marseillaise. Ainsi, pour avancer, concentrons-nous d’abord sur ses paroles. Lorsque le maire de Strasbourg, Frédéric de Dietrich, commande à Rouget de Lisle la création d’un chant, il s’adresse avant tout au compositeur et parolier réputé de chants populaires, de chansonnettes sentimentales, mais aussi d’hymnes patriotiques.
Cependant, écrire un nouveau Chant de guerre pour l’armée du Rhin apparaît plus complexe que d’écrire une chanson populaire. En quête d’inspiration, Rouget de Lisle se serait alors grandement inspiré d’affiches placardées dans les rues de Strasbourg par la Société des amis de la Constitution, et sur lesquelles on pouvait lire : « Aux armes citoyens, l’étendard de la guerre est déployé, le signal est donné. Il faut combattre, vaincre ou mourir. Aux armes citoyens... Marchons ». Des paroles qui rappellent curieusement celles de la future Marseillaise. En ce qui concerne les « Enfants de la Patrie » qui sont interpellés au début de l’hymne national, il s’agirait du surnom que l’on donnait aux engagés volontaires du Bas-Rhin, dont faisaient d’ailleurs partie les deux fils du maire. Un proche de Rouget de Lisle aurait également affirmé que celui-ci avait repris certaines paroles d’un chant protestant écrit en 1560, pendant les guerres de religions, mais rien ne le prouve officiellement.
Quoi qu’il en soit, on comprend ici que La Marseillaise n’est pas née uniquement de l’imagination d’un seul homme, mais qu’elle trouverait en réalité ses origines dans un ensemble d’influences.
LA MARSEILLAISE : UNE MÉLODIE RELIGIEUSE ?
Au-delà du texte, il semblerait que l’origine de la musique soit elle-aussi discutable, d’autant plus qu’elle n’a jamais été officiellement signée par son compositeur – qu’il s’agisse de Rouget de Lisle ou non, d’ailleurs.
Plusieurs hypothèses plus ou moins fantasques existent, mais la plus probable serait celle d’un dérivé de l’oratorio ‘Esther’. Ce dernier est un air composé vers 1784-1787 par Jean-Baptiste-Lucien Grisons, maître de chapelle et chanoine de la cathédrale de Saint-Omer en Artois. Pour rappel, un oratorio est une œuvre lyrique dramatique qui traite en général d’un thème religieux. Celui de Grisons intitulé « Esther » aurait alors fortement inspiré Rouget de Lisle. En effet, l’air des « Stances de la calomnie » qui ouvre le premier opus, correspond, à quelques notes près, à la musique exacte de La Marseillaise. La partition de notre hymne national serait donc issue d’un air religieux. Avant de vous offusquer, sachez qu’il était monnaie courante de réutiliser des airs existants pour y calquer de nouvelles paroles. Ce qu’aurait donc fait Rouget de Lisle.
Finalement, des textes à la musique, si La Marseillaise apparaît comme le résultat d’une diversité d’inspirations, il aura quand même fallu le talent de Rouget de Lisle pour rassembler les différents éléments et finaliser cet hymne aujourd’hui célèbre dans le monde entier.
LA MARSEILLAISE : DE STRASBOURG À PARIS, EN PASSANT PAR MARSEILLE
Peu de temps après sa création, François Mireur (1770-98), un jeune médecin de Montpellier qui s’était engagé comme soldat dans le bataillon de l’Hérault, découvre le Chant de l’Armée du Rhin qu’il fait à son tour écouter à ses coéquipiers montpelliérains. Le 22 juin 1792, alors qu’il est à Marseille avec son unité pour rassembler les volontaires au combat contre l’Autriche, François Mireur entonne pour la première fois le chant de Rouget de Lisle à l’occasion d’un banquet organisé en son honneur par le Club des amis de la Constitution. L’assemblée est conquise et reprend le chant avec ferveur. À tel point que les bataillons marseillais, en route pour Paris, vont en faire leur chant de marche, diffusant son air et ses paroles dans toutes les villes et villages qu’ils traversent.
En parallèle, deux journalistes présents au banquet, Alexandre Ricord et Pierre Micoulin vont demander l’autorisation de copier les textes avant de les publier. La notoriété du Chant de l’Armée du Rhin commence ainsi à se répandre.
Partout où il passe, le chant émeut et impressionne par la puissance de sa mélodie et la force libertaire de ses mots, inspirant des sentiments civiques et guerriers au peuple français. Mais c’est son arrivée à Paris en juillet 1792, via les unités marseillaises, qui va marquer sa consécration et lui donner son nom.
D’abord appelé l’Hymne des Marseillais, il devient La Marseillaise, un chant que l’on enseigne sur chaque place publique dans tout le pays, et qui devient le symbole des combats républicains. Goethe le qualifiera même de «te deum révolutionnaire», en référence à ces hymnes chrétiens qui louent Dieu, ici remplacé par la République et la Liberté. C’est ainsi qu’après la bataille de Valmy (première victoire décisive de l’armée française révolutionnaire le 20 septembre 1792, contre la Prusse), plutôt qu’un Te Deum religieux, c’est La Marseillaise qui est solennellement chantée.
Des couplets seront rapidement ajoutés et l’hymne résonnera depuis les fêtes civiques jusqu’aux tribunes de la Convention Nationale, l’Assemblée constituante élue en septembre 1792. Car depuis la déchéance de Louis XVI le 10 août 1792, et après la proclamation de la Ière République le 21 septembre, la France n’est plus une monarchie mais une république citoyenne. Le 14 juillet 1795, La Marseillaise est alors décrétée ‘chant national’ par la Convention, et le nom de Rouget de Lisle officiellement honoré.
LES RÉGIMES POLITIQUES SE SUCCÈDENT, LA MARSEILLAISE GARDE L’ESPOIR
Mais l’histoire de la Marseillaise ne s’arrête pas là. Le 22 août 1795, une nouvelle Constitution est votée. Le 26 octobre suivant, la Convention Nationale, qui avait rédigé la première constitution républicaine en 1792, et qui dirigeait depuis, est remplacée par le Directoire, qui met à la tête du pays cinq Directeurs, soit cinq Chefs de gouvernement.
Cependant, le Directoire ne va durer que 4 petites années. En effet, un nouveau régime va vite s’imposer le 10 novembre 1799, à la suite de ce qu’on appellera le coup d’État du 18 brumaire de l’an VIII (i.e. le 9 novembre 1799 : je rappelle qu’avec la 1ère République on a délaissé le calendrier chrétien pour le calendrier révolutionnaire).
Ce nouveau régime, c’est ce qu’on appelle le Consulat. Le général Napoléon Bonaparte, qui est l’un des principaux protagonistes du coup d’État, devient Premier Consul, et le reste jusqu’à la proclamation du Premier Empire le 18 mai 1804, date à laquelle il devient Napoléon 1er, Empereur des Français – il le restera jusqu’en 1814/1815.
Au départ, le Consulat admet encore que l’on chante La Marseillaise mais, considéré comme trop jacobin -il prône un peu trop la liberté, l’égalité et la souveraineté du peuple-, le chant est entonné pour la dernière fois le 20 septembre 1800 avant d’être interdit. Il est ensuite remplacé par l’hymne impérial Veillons au salut de l’Empire.
Après le Premier Empire, la Restauration marque le retour de deux Rois de France sur le trône : les frères de Louis XVI, Louis XVIII (règne: 1814/15-1824) et Charles X (règne:1824-1830). Cette période ne tolérera évidemment pas La Marseillaise.
Il faut ainsi attendre la révolution des Trois Glorieuses, les 27, 28 et 29 juillet 1830, pour que l’hymne révolutionnaire fasse son retour sur les barricades, inspirant le célèbre tableau de Delacroix, La Liberté guidant le peuple. Un hymne dont l’orchestration sera alors même revue par le compositeur Hector Berlioz (1803-69) lui-même.
La révolution de1830 porte sur le trône le roi des Français Louis-Philippe 1er d’Orléans (règne: 1830-48) avec lequel La Marseillaise est de nouveau mise de côté. Elle réinvestit cependant les rues de Paris quand, en 1832, les funérailles du général Lamarque, soldat de la révolution et de l’Empire, opposant à Louis-Philippe, laissent place à de nombreuses manifestations républicaines. Elle sera ensuite de retour dans les années 1840 alors que les nationalistes renforcent leurs positions politiques et s’emparent du chant républicain.
Afin de réunir les camps, en 1833, Louis-Philippe commandera une sculpture allégorique de La Marseillaise à François Rude (1784-1855). Placée sur la face nord du pied droit de l’Arc de Triomphe de la place de l’Étoile, au cœur du haut-relief dit du «Départ des Volontaires de 1792», cette ‘Marseillaise’ est symbolisée par un groupe en mouvement, au centre duquel se tient une figure de femme (inspirée par la femme de Rude) conduisant la Liberté dans un style des plus romantiques.
Mais c’est en février 1848, à l’occasion d’une ultime révolution qui va renverser Louis-Philippe et mener plus tard à l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, que La Marseillaise va de nouveau retentir dans les rangs des républicains et des révolutionnaires. L’hymne français va même traverser les frontières et être reprise dans de nombreux pays européens à l’occasion de ce qu’on appellera le Printemps des peuples, ce réveil libertaire des populations d’Europe sous l’influences des mouvements révolutionnaires français.
Une fois proclamé par Napoléon III en décembre 1852, le Second Empire (1852-70) interdira La Marseillaise et instituera comme hymne Partant pour la Syrie, un chant composé en 1809 par Hortense de Beauharnais, la mère du nouvel empereur.
A la chute de l’empire, le 4 septembre 1870, la IIIe république est instaurée, et avec elle revient l’hymne hérité de la Révolution française. D’abord entonnée au cours de l’épisode de la Commune de Paris (18 mars – 28 mai 1871), La Marseillaise reprend sa place d’hymne national du pays en 1879 après un vote des députés présidés par Gambetta. Un an plus tard, le 14 juillet 1880 devient pour la première fois officiellement le jour de la Fête Nationale française.
Point anecdote : que fête-t-on le 14 juillet ?
En choisissant le 14 juillet comme jour de Fête nationale, il s’agit de commémorer la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, mais aussi et surtout la Fête de la Fédération, organisée le 14 juillet 1790 sur le Champs de Mars à l’occasion du premier anniversaire de cet événement, mais aussi pour célébrer la Nation unifiée. Ce jour-là, le roi et la reine prêtent serment à la Nation et à la Loi, et le peuple prête serment à la Nation, à la Loi et au Roi, le tout dans un climat d’union. C’est donc avant tout en mémoire de cette unité nationale que cette date est retenue en 1880, sous la IIIe République, même si très vite, on va y intégrer la célébration de la prise de la Bastille, événement clé de la Révolution.
LA MARSEILLAISE S’IMPOSE À JAMAIS COMME L’HYMNE FRANÇAIS
Après les deux guerres mondiales, la Constitution du 27 octobre 1946 reconnait officiellement La Marseillaise comme l’hymne national du pays. Par la suite, l’article 2 de la Constitution de la Cinquième République en fait un des emblèmes de la nation française et de la République, au même titre que le drapeau tricolore, la devise républicaine «Liberté, Égalité, Fraternité» et que le principe de démocratie.
« Symbole des combats d’un peuple pour gagner sa liberté et sa souveraineté », comme le déclarait Maurice Thorez en 1936, La Marseillaise «nous inspire dans notre lutte pour la paix, dans la sécurité et la dignité de notre peuple». Certains le trouveront parfois agressif et belliqueux, certes, mais ce chant est en réalité le reflet de notre histoire et de ses luttes pour garantir au peuple sa liberté, et à la Nation son unité.
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