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HISTOIRE ET SECRETS DE LA CARTOGRAPHIE: RENCONTRE AVEC LE FONDATEUR DU SITE CARTEANCIENNE.COM


Dans notre vie courante, comme dans les musées et les livres, les cartes font partie de notre quotidien et de notre patrimoine culturel et territorial. Plans du quartier ou de la ville que l’on habite ou que l’on visite, cartes routières d’une région ou d’un pays que l’on traverse, Atlas et planisphères, ou encore guidage géolocalisé sur notre smartphone: nous sommes tous, chaque jour, confrontés aux cartes, et donc à l’art de la cartographie. Un art scientifique qui s’avère être, en réalité, bien plus qu’une simple représentation graphique de la géographie environnante.

 

En effet, au-delà de servir à se repérer dans l’espace, la cartographie est aussi le témoin silencieux de l’évolution du monde qui nous entoure. Elle reflète ainsi, de façon plus ou moins précise et réaliste selon les époques, l’état et la vision que l’on a d’un lieu, d’une ville, d’un pays, ou même du monde, à un instant T et sur une période donnée: la transformation des paysages, les monuments disparus ou encore existants... En cela, la cartographie est intimement liée à notre histoire, et les cartes constituent de précieux outils pour nous aider à mieux connaître et comprendre notre patrimoine naturel, historique et culturel, et son évolution.

 

Des premières zones de chasse tracées sur les parois des grottes préhistoriques, aux systèmes sophistiqués d’aujourd'hui, la cartographie a évolué avec nos cultures et nos sociétés, témoignant de leurs grandes transformations et s’affinant à mesure que les techniques se sont développées.

 

Pour en savoir plus sur cette étonnante discipline et sur les précieux objets que sont les cartes pour notre patrimoine, j’ai rencontré un expert passionné, Léopold Denis, fondateur du site carteancienne.comUn site sur lequel il partage sa passion, et où il propose d’acquérir toutes sortes de cartes parmi celles qu’il a chinées dans les nombreuses brocantes et ventes aux enchères qu’il parcourt chaque année. Cartes illustrées, cartes de villes, cartes marines, carte d’État-Major ou IGN, ou encore cartes thématiques (les rivières de France, la Gaulle romaine…), on prend un singulier plaisir à explorer cette collection qui s’étend du 17e siècle aux années 1970.


Que diriez-vous, en effet, de remonter le temps pour découvrir le visage du village de votre enfance au début du 20e siècle, ou encore sous le Second Empire, ou même au 18e?

D’ailleurs, avec les fêtes qui approchent, pourquoi ne pas offrir une carte historique de sa ville ou sa région à l’un de vos proches? Ce cadeau atypique, vous pouvez dès à présent le dénicher sur le site carteancienne.com.

IDÉE CADEAU: Tout au long du mois de décembre, les abonnés des Carnets d’Igor peuvent bénéficier d’une réduction de 10% à partir de 50€ de commande sur le site carteancienne.com avec le code CARNETS.

 

Mais revenons à la cartographie. Avant d’écouter le podcast de l’interview passionnante que j’ai réalisée avec Léopold Denis, je vous propose un tour d’horizon de son histoire et de ses évolutions.

  


HISTOIRE DE LA CARTOGRAPHIE : DES FONDEMENTS AUX TECHNIQUES DE HAUTE PRÉCISION

 

Pour des raisons économiques, des enjeux politiques ou stratégiques, les hommes ont toujours cherché à définir leur environnement pour mieux l’appréhender et le maîtriser, développant pour cela des solutions de plus en plus précises à travers les siècles. Représentant ainsi les contours physiques de leurs territoires grâce à la cartographie, mais aussi les éléments importants qui les entourent -éléments naturels, constructions-, ils ont également, par le biais des cartes, laisser les traces de leur histoire et de leurs cultures. Des témoignages qui constituent aujourd’hui un patrimoine riche et précieux.

 

L’ANTIQUITÉ ET LES PREMIERS FONDEMENTS DE LA CARTOGRAPHIE

Si on observe déjà des représentations de paysages et terrains de chasse réalisées par les hommes préhistoriques sur les parois de certaines grottes, les premières traces de cartographie remontent réellement à l'Antiquité, où les civilisations égyptiennes, babyloniennes et grecques ont jeté les bases de cette discipline. Les Égyptiens ont produit des représentations rudimentaires de leur territoire sur des tablettes d'argile, dont l’objectif était principalement d’indiquer des routes et voies de transport, tandis que les Chaldéens (Mésopotamie) et les Babyloniens ont été les premiers à réaliser des plans basés sur des mesures directes au sol.

 

Cependant, c'est chez les Grecs que la cartographie a pris une dimension plus théorique. Des penseurs et mathématiciens comme Thalès de Milet, Anaximandre et Pythagore ont avancé des théories sur la forme de la Terre, certains affirmant même sa rondeur. Et si jusqu’alors, les cartes étaient surtout locales, indiquant routes, villes, frontières ou éléments géologiques, l’innovation grecque, notamment chez Anaximandre, a été de concevoir les premières cartes du monde dans son entièreté, avec la vision géographique qu’on en avait à l'époque.



Par la suite, les mesures vont évoluer vers plus de précisions. On pense alors la terre comme une sphère traversée de méridiens répondant à des logiques mathématiques. Au 3e siècle avant J.-C., Eratosthène réalise ainsi une mesure remarquable de la circonférence de la Terre. Mais c’est au 2e siècle après J.-C. que Ptolémée, s’appuyant sur les travaux de son prédécesseur, va établir la projection d’un équateur qui scinde la Terre en deux hémisphères, et produire 26 cartes de différentes régions, de la Grèce au Moyen-Orient, de la Méditerranée à l’Océan Indien en passant par les côtes asiatiques, mais aussi une carte du monde tel qu’on le connaissait alors. Malgré des imprécisions et des erreurs transmises au gré de leurs reproductions, les cartes de Ptolémée, redécouvertes à la Renaissance, serviront de base aux cartographes jusqu’au 17e siècle. Enfin, dernière grande innovation de l’Antiquité, la table du germanique Konrad Peutinger qui propose, dès le milieu du 4e siècle, des plans des routes et territoires principaux de l’Empire romain, sortes d’ancêtres de nos cartes routières. La table de Peutinger sera également redécouverte au 16e siècle et servira aussi de base aux cartographes de l’époque.

 

Car au Moyen-Âge, avec l’essor des influences religieuses et le développement d’un obscurantisme général, les connaissances cartographiques du passé vont tomber dans l’oubli -tout au moins en Occident car les Arabes et les Chinois continueront à travailler sur quelques avancées en la matière. Il existait certainement des cartes pour se repérer et se déplacer, mais globalement, la science de la cartographie stagne, liée également à une diminution de la demande: moins de voyages et d’échanges inter-régionaux…

 

Mappa Mundi

Par ailleurs, les représentations du monde que l’on peut trouver alors, comme la Mappa Mundi de Hereford réalisée en 1280, sont bien différentes de celles de l’Antiquité ou d’aujourd’hui. Les continents connus (Europe, Asie, Afrique), les pays et les localités, y sont bien précisés, mais on peut aussi y lire des informations historiques (déroulement de tel événement), ethnographiques (quelle population y réside) ou encore et surtout religieuses: dans cette période toute vouée à la spiritualité, les cartes représentent le Jardin d’Eden au-dessus de tout et placent Jérusalem au cœur de la civilisation; on y observe également des lieux et événements bibliques, du chemin de l’Exode à l’Arche de Noé, en passant par Babylone et la tour de Babel; et on y trouve aussi, dans les mers ou sur la terre, la mention de créatures imaginaires, issues de différentes mythologies -grecques, romaines, médiévales.

 

Vous l’aurez donc compris, les cartes du Moyen-Âge portent moins l’attention sur la recherche de précision que sur les dimensions culturelle et théologique. Pour se déplacer et se repérer dans l’espace, on va finalement reprendre et copier des cartes anciennes romaines, bien souvent avec moins de rigueur. Il n’y a peut-être qu’en Angleterre où l’on trouve les traces précoces de cartes plus précises: avec Guillaume le Conquérant, d’abord, qui, à la fin du 11e siècle, va chercher à établir un état de son patrimoine territorial afin d’être rigoureux dans le prélèvement des taxes foncières auprès de ses vassaux; puis avec la dynastie régnante des Plantagenêt (de 1154 à 1485) qui, pour des raisons de gestion administratives, va développer un ensemble de cartes et de relevés géographiques. Cependant, en Angleterres comme ailleurs, aucune harmonisation des cartes n’existe, et l’approximation reste de mise


Tout commence alors à bouger à la fin du Moyen-Âge, quand les Portugais développent des cartes marines, appelées des Portulans. Dessinées sur des peaux (parchemins) pour éviter leur détérioration avec l’humidité en mer, elles représentent les côtes et les ports alors connus, préfigurant des grands changements à venir pour la science cartographique, portés par l’essor des grandes explorations de la Renaissance.



 

LA RENAISSANCE ET LES GRANDES DÉCOUVERTES: L’ÉLARGISSEMENT DES HORIZONS

 

Au 15e siècle, la Renaissance est marquée par la redécouverte des connaissances antiques dont elle tire ses influences, notamment artistiques, architecturales mais aussi scientifiques. C’est à cette époque que l’on redécouvre les cartes de Ptolémée, et que l’intérêt retrouvé pour la cartographie grandit. En parallèle, la lutte contre l’Empire Ottoman en Méditerranée, et la quête de nouvelles routes commerciales vers l’Orient pour contourner la puissance économique de Venise, conduisent les puissances européennes à lancer de grandes campagnes d’explorations au-delà des frontières et des mers connues.

 

Traçant des voies maritimes inédites vers des territoires inconnus et la promesse de nouvelles richesses (épices, métaux précieux…), les grands explorateurs, parmi lesquels des noms aussi célèbres que Christophe Colomb, Vasco de Gama et Magellan, vont conduire la cartographie à s’ouvrir à un monde bien plus vaste. Scientifiques et grands voyageurs mettent alors au point de nouveaux outils de mesure plus précis, afin de reproduire au mieux les nouvelles routes empruntées et les territoires conquis.



Au 16e siècle, portées par les travaux de Galilée, Newton ou encore Snellius les avancées scientifiques en mathématiques et en géodésie -étude de la forme et des dimensions de la Terre- vont conduire à des améliorations significatives en matière de cartographie. Les cartes du monde, comme les représentations géographiques des mers et des continents -incluant les nouveaux territoires-, deviennent plus précises, à l’image de la carte plane formalisée par le géographe flamand Gerardus Mercator, en 1569. Des progrès techniques et scientifiques qui laissent présager de nouvelles innovations cartographiques au cours des siècles suivants.


Carte de Mercator 1569

 

L'ÈRE MODERNE : ÉVOLUTIONS TECHNIQUES, RIGUEUR ET PROGRÈS

 

Au 17e siècle, l’essor d’états modernes avec, comme en France, l’instauration d’une monarchie centralisée, va pousser la cartographie à améliorer ses techniques pour servir une définition précise du patrimoine territorial du royaume. Pour les souverains, l’objectif est de connaître les terres qui leur appartiennent et qui représentent des ressources foncières et fiscales considérables, mais aussi de mieux appréhender les territoires et leur géographie, pour mener les grands travaux nécessaires au fonctionnement d’un État puissant -routes, canaux, constructions défensives. Avec la diffusion et l’exposition de ses cartes, il s’agit également pour le roi de démontrer la force et la grandeur de son pouvoir à travers l’ampleur de son patrimoine et des domaines royaux.



C’est ainsi que la France de Louis XIV (règne 1643-1715) va voir émerger des avancées cartographiques en lien avec les risques de guerres et les besoins de protection des villes et frontières face aux menaces extérieures. Il s’agit d’utiliser les plans pour la construction de fortifications, comme pour la mise en place de stratégies militaires. Le roi possèdera ainsi une collection exceptionnelle de plans reliefs qui lui permettront de mieux préparer ses armées aux combats. C’est d’abord son principal ministre, Jean-Baptiste Colbert (1619-1683) qui, pour mieux administrer le territoire, confiera à l’Académie des Sciences le soin de développer des méthodes de cartographie plus rigoureuses. Mais les avancées techniques sont alors en grande partie dues au marquis de Vauban (1633-1707), célèbre maréchal et ingénieur militaire. Son travail sur les fortifications des villes françaises et sur la topographie du royaume a contribué à établir une cartographie plus précise du territoire français pour mieux le défendre. Vauban travaillera également à harmoniser les plans pour que d’un architecte à l’autre, leur lecture soit plus claire et plus efficace.

 


C'est dans ce contexte que s'inscrit la mise en place du Corps des ingénieurs géographes, et que les travaux de Jean-Dominique Cassini, descendant d'une lignée d'astronomes et cartographes, ont commencé et vont révolutionner l’art de la cartographie.

 

LES CASSINI ET LE 18e SIÈCLE: DES AVANCÉES MAJEURES

 

La carte dite de Cassini, appelée aussi carte de l’Académie, est la plus ancienne carte détaillée de France. Avec sa nouvelle technique, la famille Cassini va permettre à la cartographie d’entrer dans l’ère moderne. Les Cassini ambitionnent ainsi de cartographier pour la première fois l’ensemble du territoire français en détail, ville par ville, région par région. Ce sera chose faite grâce à un travail innovant et minutieux d’assemblage (la France est divisée en morceaux qui seront chacun cartographiés). Un travail commencé en 1747 et qui ne se terminera que peu de temps avant la Révolution.

 

Tout commence ainsi à la fin du règne de Louis XIV. Le roi, conscient de l'importance stratégique de disposer d'une cartographie précise de son royaume, initie en 1683 la création d'une carte détaillée du pays. Il fait appel, pour cela, à l’astronome italien installé en France, Jean-Dominique Cassini, connu sous le nom de Cassini I.

 

Ce projet colossal et exhaustif va courir sur plusieurs générations et impliquer les membres successifs de la famille Cassini, de Cassini I à son fils Cassini II, et son petit-fils Cassini III. Se fondant sur les progrès mathématiques portés par d’Alembert (1717-43), Euler (1707-83) et Clairaut (1713-65), mais aussi sur les théorèmes antiques de Pythagore et de Thalès, leur prouesse technique va résider dans l’utilisation d’outils innovants (lunettes plus précises, cercles gradués pour mesurer les angles…), et dans la maîtrise de la triangulation géodésique. Cette méthode consiste à déterminer la distance entre deux points (deux villes, deux clochers, deux éléments géologiques…) en les rattachant à une base que l’on a mesurée au préalable, afin de former un triangle. De là, en prenant en compte la courbure des arcs méridiens (soit la forme en ellipse de la Terre), et à partir de mesures précises des angles du triangle, on obtient la distance cherchée. En cumulant ainsi une multitude de triangles successifs, on obtient le calcul précis de nombreuses distances.



La Carte de Cassini est réalisée à une échelle de 1/86 400e, ce qui signifie que chaque unité (cm) sur la carte équivaut à 86 400 unités (cm) sur le terrain, une précision jusque-là inégalée. Le travail révolutionnaire des Cassini, qui couvre tout le territoire français et représente des milliers de lieux, villes, rivières et caractéristiques géographiques, a été considérée comme une référence pendant des décennies, et a posé les bases pour de nombreuses cartes et projets cartographiques ultérieurs, notamment ceux de Napoléon.

 

 NAPOLÉON ET LE 19e SIÈCLE: LA CARTOGRAPHIE AU SERVICE DE L'EMPIRE… ET AU-DELÀ

 

Le 19e siècle a connu une évolution significative dans la cartographie grâce aux aspirations de Napoléon Bonaparte. Conscient de l'importance stratégique des connaissances géographiques pour maîtriser et administrer le territoire national, comme pour mener les guerres ou ses ambitions expansionnistes, Napoléon a initié des projets de cartographie à grande échelle pour servir son empire. Il s’agit, entre autres, de mettre à jour les cartes de Cassini, mais aussi de produire des cartes militaires précises des régions sous domination française. Car en grand stratège militaire, le général devenu empereur est un grand amateur de cartes. Dans toutes ses résidences (de Fontainebleau aux Tuileries ou à Compiègne), il possède ainsi des tables spécifiquement construites pour travailler les cartes, comme des salons dédiés à l’étude cartographique.



Lancé en 1802, l’idée de refondre les cartes de Cassini pour créer des cartes dites d’État-Major, plus précises et détaillées encore, ne se concrétise réellement qu’à partir de 1818, en pleine Restauration et donc après la chute de Napoléon 1er. Réalisés par le Dépôt de la Guerre (qui deviendra le Service Géographique des Armées dans les années 1870), les travaux de levés topographiques et de cartographie vont durer près de 60 ans. Finalisée en 1880, la carte d’État Major au 1/80 000e, découpée en 273 feuilles, sera, en 1889, repartagée en 965 cartes plus petites, les cartes dites de «Type 1889», pour faciliter leur publication et leur diffusion.



Ces cartes d’État-Major vont alors être utilisées jusqu’au milieu du 20e siècle. Si dès 1901, un projet initie une mise à jour de ces cartes, notamment grâce à la photographie qui permet plus de précisions encore, c’est la création de l’IGN (Institut Géographique National) qui va tout bouleverser.

 
LA CARTOGRAPHIE CONTEMPORAINE : ENTRE PRÉCISION ET ACCESSIBILITÉ

 

Après la seconde guerre mondiale, la photographie aérienne et les technologies plus précises employées par l’IGN vont permettre de cartographier le territoire national en détail et avec la plus grande exactitude. La couverture totale est achevée en 1980, et les cartes IGN, que nous connaissons tous, vont connaître un grand succès.

 

Aujourd'hui, la cartographie est devenue omniprésente dans nos vies, grâce à des technologies comme le GPS, les systèmes de cartographie en ligne, et les applications mobiles. Ces outils offrent une précision et une accessibilité inégalées pour la représentation et la navigation dans notre monde en constante évolution.

 

Finalement, qu’elles soient en parchemin, en papier ou digitalisées, on s’aperçoit que les cartes sont essentielles pour accompagner l’homme dans la représentation du monde qui l’entoure et dans lequel il évolue. Des outils indispensables dans notre quotidien, mais aussi pour mieux connaître notre histoire et explorer notre patrimoine historique, naturel et territorial.

  

L’INTERVIEW DE LÉOPOLD DENIS, FONDATEUR DU SITE CARTEANCIENNE.COM

 

Retrouvez ici et sur les plateformes d’écoutes habituelles, l’interview de Léopold Denis.



SOURCES

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