L’ASSEMBLÉE NATIONALE : VISITE GUIDÉE AU CŒUR DE LA MAISON DU PEUPLE
- Igor Robinet-Slansky
- il y a 5 jours
- 18 min de lecture

Et si vous poussiez les portes de l’Assemblée nationale ? Installée depuis plus de deux siècles sur les bords de la Seine, face à la place de la Concorde, elle est bien plus qu’un haut lieu de la vie politique française : elle est le cœur battant de notre démocratie, un lieu où chaque jour se font les lois qui régissent la société française.
L’activité parlementaire y est souvent intense, mais l’Assemblée n’est pas réservée qu’aux seuls députés et ministres. Véritable « maison du peuple », elle est ouverte à toutes et tous en visites guidées gratuites, sur réservation sur le site officiel de l’Assemblé nationale, mais aussi, et on le sait peut-être moins, pour assister aux séances comme spectateurs.
Trésor de notre patrimoine national, son siège, le Palais Bourbon, allie histoire, art et politique. À ses côtés, l’hôtel de Lassay, résidence du président ou de la présidente de l’Assemblée, complète l’ensemble (mais seule la Galerie des Fêtes se visite). Depuis avril 2025, la majestueuse bibliothèque décorée par Eugène Delacroix, joyau longtemps réservé aux parlementaires, a rouvert ses portes au public après une importante restauration. Un argument de plus – s’il en fallait un – pour s’inscrire aux visites.
Dans ces lieux se croisent les voix d’aujourd’hui et les échos d’hier : débats républicains et souvenirs révolutionnaires, plafonds peints et bustes de Marianne, fresques à l’Antiques et œuvres contemporaines. Visiter l’Assemblée nationale, c’est ainsi s’immerger dans l’histoire de notre pays et au cœur de la démocratie : une leçon de civisme grandeur nature, indispensable à tout citoyen, mais aussi une rencontre avec un patrimoine historique mais bien vivant. Suivez moi !
L’ASSEMBLÉE NATIONALE ET LE PALAIS BOURBON : UNE HISTOIRE ENTRE MONARCHIE ET RÉPUBLIQUE
Avant d’en découvrir l’hémicycle, les salons et autres couloirs, je vous propose de revenir sur l’histoire de l’Assemblée nationale et du Palais Bourbon, ainsi que sur les rôles et fonctions de cette institution centrale de l’État français.
L’ASSEMBLÉE NATIONALE : UNE INSTITUTION NÉE DE LA RÉVOLUTION
L’histoire de l’Assemblée nationale commence en 1789, aux prémices de la Révolution. Les finances du royaume sont alors au plus mal, les protestations se multiplient, et la monarchie commence à vaciller. Le 4 mai 1789, Louis XVI est ainsi contraint de convoquer les États généraux à Versailles pour la première fois depuis 1614. Il s’agit de réunir les trois ordres qui composent la nation - la Noblesse, le Clergé et le Tiers-Etat - afin de trouver une solution aux problématiques budgétaires.
Mais le 17 juin 1789, le Clergé et la Noblesse ne réagissant pas au projet d’Assemblée Commune proposé par les députés du Tiers-Etats, ces-derniers, réunis dans la salle du Jeu de Paume de Versailles et conscients d’être les véritables représentants de la nation, se proclament en assemblée délibérante représentative du peuple. Ils prennent alors le nom d’Assemblée nationale, et le 20 juin 1789, toujours dans la salle du Jeu de Paume, ils font le serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France pour fixer le rôle de chaque pouvoir. C’est le célèbre Serment du Jeu de Paume qui plante les germes de notre démocratie moderne: "Partout où ses membres sont réunis, là est l'Assemblée nationale" - extrait du Serment. Lorsque les gardes royaux tenteront de déloger les députés du Tiers-Etat, Mirabeau lancera alors sa célèbre phrase : « Allez dire à votre maître que nous sommes ici par la volonté du peuple et qu’on ne nous en arrachera que par la puissance des baïonnettes. »
Cette origine révolutionnaire marquera à jamais l’identité de l’Assemblée. Elle n’est pas seulement une institution parmi d’autres : elle est la voix du peuple souverain. Depuis ce jour, elle n’a cessé d’évoluer, changeant parfois de nom (Corps législatif, Chambre des députés) mais avec toujours la même mission : faire la loi, contrôler l’exécutif, porter la parole citoyenne.
Un peu plus de 5 ans après le fameux serment, le Palais Bourbon, face à la place de la Révolution (ancienne place Louis XV et actuelle place de la Concorde) est choisi et aménagé pour héberger le travail des députés qui composent désormais l’Assemblée nationale.
LE PALAIS BOURBON : DU PALAIS ARISTOCRATIQUE AU CŒUR DU POUVOIR RÉPUBLICAIN
Les lieux qui accueillent aujourd’hui l’Assemblée nationale ne se prédestinaient pas à l’effervescence républicaine qu’on lui connaît aujourd‘hui. Le Palais Bourbon est en effet construit au début du 18e siècle, entre 1722 et 1728, pour la duchesse Louise-Françoise de Bourbon (1673-1743), Mademoiselle de Nantes, fille légitimée de Louis XIV et de Madame de Montespan, et épouse du 6e Prince de Condé, Louis III de Bourbon-Condé.
À l’époque, il se situe est aux limites de Paris, dans une zone semi-rurale. Relié par un jardin à l’hôtel de Lassay - construit par Louise-Françoise pour installer à proximité d’elle son amant, le marquis de Lassay - l’ensemble formait un havre de tranquillité à l’écart de la cour.
Les deux bâtiments, de plain-pied, sont érigés dans un style à l’italienne par quatre architectes successifs : Girardini, Pierre Cailleteau (surnommé « Lassurance »), puis Jean Aubert et Jacques V Gabriel.
À la mort de la duchesse, Louis XV récupère le palais avant de le céder en 1764 à Louis V Joseph de Bourbon-Condé (1736-1818), 8e prince de Condé, qui va agrandir et réaménager l’ensemble.
À la Révolution, les deux bâtiments sont confisqués comme biens d’émigrés, puis affectés à l’usage de la jeune République. Après avoir accueilli une prison, en 1795, sous le Directoire (1795-1799), le Palais Bourbon devient le siège du Conseil des Cinq-Cents, l’une des deux chambres du nouveau pouvoir législatif avec le Conseil des anciens - ancêtre de l’actuel Sénat. En 1798, on y aménage une salle des Séances en hémicycle, imaginée par les architectes Jacques-Pierre Gisors et Étienne-Chérubin Leconte, et inspirée des forums antiques. Le lieu entre dans l’histoire parlementaire.
En 1800, afin de finaliser l’ensemble, on fait appel à l’architecte Bernard Poyet pour restructurer la façade du palais côté Seine. On choisit un style néo-classique avec une colonnade, en écho et en symétrie avec l’Église de la Madeleine, alors en construction de l’autre côté de la place de la Concorde. Plus tard, en 1809, une galerie est érigée pour relier le palais Bourbon à l’Hôtel de Lassay. Elle deviendra, en 1845, la Galerie des Fêtes.
Après le Premier Empire (1804-1815), la Restauration (1815-1830) voit remonter sur le trône deux roi successifs, les frères du défunt Louis XVI : Louis XVIII (r. 1815-1824) et Charles X (r.1824-1830). Le Palais Bourbon et l’hôtel de Lassay reviennent alors aux mains des princes de Condé, à la condition qu’ils louent le palais à la Chambre des Députés. Finalement, en 1827, le palais Bourbon devient définitivement propriété de l’État, suivi, en 1843, par l’hôtel de Lassay.
Si les lieux ont subi plusieurs aménagements et transformations au gré des évolutions politiques du début du 19e siècle, l’Assemblée nationale prend sa configuration actuelle avec l’architecte Jules de Joly sous la Monarchie de Juillet (1830-1848) - un régime politique instauré après la Révolution des Trois Glorieuses (27, 28 et 29 juillet 1830) qui porte au pouvoir Louis-Philippe d’Orléans, cousin des Bourbons.
C’est ensuite à partir de 1879, sous la IIIe République (1870-1940), que l’hôtel de Lassay devient définitivement la résidence du président de l’Assemblée.
Peu à peu, en quelques décennies, ce palais aux origines monarchiques et aristocratiques devient le centre de la démocratie et la véritable maison du peuple.
LA MAISON DU PEUPLE EN ACTION
Aujourd’hui, l’Assemblée nationale est composée de 577 députés élus au suffrage universel direct pour cinq ans. Ils ne représentent pas uniquement leur circonscription, mais la nation tout entière. Leur rôle ? Élaborer la loi, bien sûr, mais aussi contrôler l’action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques. Trois missions essentielles dans le fonctionnement démocratique.
Les textes de loi - propositions émanant des députés ou projets déposés par le Gouvernement - sont d’abord examinés par l’une des huit commissions permanentes, spécialisées par domaine (affaires culturelles, affaires sociales, affaires économiques, affaires étrangères, défense, finances, lois et développement durable). Un rapporteur est désigné, des amendements sont proposés. Puis vient le débat en séance publique dans l’hémicycle. Discussions, votes à main levée ou électroniques, navette avec le Sénat… À la tribune, le président ou la présidente de séance veille au respect du règlement, tandis que la Garde républicaine assure le cérémonial.
La présidente – aujourd’hui Yaël Braun-Pivet – ou le président de l’Assemblée nationale, quatrième personnage de l’État, dirige les débats, représente l’institution à l’international, et nomme des membres de diverses autorités. Il ou elle préside également le Bureau de l’Assemblée et la Conférence des présidents, où se décide chaque semaine l’agenda parlementaire. Trois questeurs, élus eux aussi, gèrent les finances et les moyens humains.
À travers ses débats, ses questions au Gouvernement (les mardis), ses commissions d’enquête et ses votes, l’Assemblée nationale donne corps à un principe simple mais fondamental : nul ne peut gouverner sans rendre compte. Le Palais Bourbon n’est pas un musée figé, c’est une ruche, un théâtre, un atelier de la démocratie.
VISITE GUIDÉE DE L’ASSEMBLÉE : DANS LES COULISSES D’UNE DÉMOCRATIE
Il est temps de pénétrer les murs de l’Assemblée nationale et d’en découvrir les principaux espaces.
UN PALAIS VIVANT, OUVERT A TOUTES ET TOUS : COMMENT VISITER L’ASSEMBLÉE ?
On l’oublie souvent, mais l’Assemblée nationale se visite. Et gratuitement ! Il suffit de s’inscrire en ligne sur le site officiel - avec un peu d’anticipation, car les créneaux sont vite pris - ou de se faire inviter par un député dans le cadre d’une visite de groupe. L’entrée se fait par le 33, quai d’Orsay, à deux pas du pont de la Concorde. Notez que les députés empruntent l'entrée officielle côté rue de Lille.
Ces visites sont bien plus qu’un moment de curiosité ou une simple découverte patrimoniale. C’est une immersion dans la vie républicaine. Car ici, chaque décor, chaque galerie, chaque statue a une fonction mais aussi une histoire. En franchissant le porche, on entre dans un espace de pouvoir... mais aussi de mémoire, d’art, de débats, de symboles.
Depuis avril 2025, la bibliothèque du Palais – tout juste restaurée - est à nouveau accessible au public. Une raison de plus pour franchir le seuil de ce lieu emblématique, et se laisser guider à travers salons historiques, œuvres d’art et scènes de la vie démocratique.
L’HÔTEL DE LASSAY ET SES SALONS D’APPARAT
La visite commence par l’un des espaces les plus prestigieux : l’hôtel de Lassay. Résidence officielle du président ou de la présidente de l’Assemblée, il fut construit entre 1722 et 1728, en même temps que le Palais Bourbon. Son nom évoque le marquis de Lassay, amant de Louise-Françoise de Bourbon, commanditaire du palais.
Nous sommes ici dans un lieu privé. Aussi, à part la Galerie des Fêtes, nous ne pourrons malheureusement pas en explorer les différentes espace – enfin, j’ai eu la chance d’y être reçu et d’en voir un peu plus… mais c’est rare, à part pendant les Journées Européennes du Patrimoine, peut-être. Quoi qu’il en soit, l’harmonie classique des façades laisse présager de fastueux intérieurs, dignes d’un hôtel princier du 18e siècle.
La visite publique débute donc réellement dans la Galerie des Fêtes. Aménagée en 1845, elle impressionne par son décor néo-Renaissance : plafonds à caissons, grandes ouvertures cintrées, pilastres, lustres… Avec ses peintures allégoriques de François-Joseph Heim - l’agriculture, la justice, le commerce, les arts - elle rappelle aussi la Galerie des Glaces du château de Versailles.
Cette galerie est doublée de la Galerie des Tapisseries, un couloir orné de neuf tapisseries réalisées dans les années 1780 et issues des Manufactures royales des Gobelins et de Beauvais. Sous le Second Empire (1852-1870), on pouvait admirer ici les collections de peintures - aujourd’hui dispersées - du duc de Morny, demi-frère de l’empereur Napoléon III, et président de l’Assemblée nationale.
C’est par la Galerie des Fêtes que le ou la présidente de séance rejoint le palais Bourbon pour gagner l’hémicycle (il s’agit habituellement du ou de la présidente de l’Assemblée, si il ou elle n’est pas contrainte d’être remplacé.e). Un protocole solennel s’active alors : le cortège traverse la Rotonde, puis la salle des Pas-Perdus, encadré par deux haies de gardes républicains. Lorsqu’il ou elle franchit la porte de l’hémicycle, les armes des gardes sont symboliquement abaissées. Un détail qui en dit long : l’armée est ici au service de la République, non l’inverse.
ESPACES EMBLÉMATIQUES : MÉMOIRE ET SYMBOLES DE LA RÉPUBLIQUE
Chaque salle, chaque couloir du Palais Bourbon raconte une page de notre histoire collective. C’est particulièrement vrai dans les espaces emblématiques du parcours de visite, où se mêlent patrimoine, symboles et art contemporain - dont la Sphère des Droits de l’Homme qui trône depuis 1989 dans la cour extérieure, et autour de laquelle sont gravés les 17 articles de la Déclaration des Droits de l'Homme, est un bel exemple.
À l’intérieur, à l’extrémité de la Galerie des Fêtes, la Rotonde Alechinsky relie l’hôtel de Lassay et le Palais Bourbon.
Depuis 1992, elle est ornée d’une fresque du peintre belge Pierre Alechinsky (1927-.), inspirée d’un vers du poète Jean Tardieu : « Les hommes cherchent la lumière dans un jardin fragile où frissonnent les couleurs ». Ce dialogue entre poésie, lumière et peinture contemporaine illustre la volonté de faire entrer l’art dans les institutions, et de montrer que le Palais Bourbon n’est pas figé dans le passé, mais bien ancré dans son époque. L’Assemblée abrite d’ailleurs d’autres œuvres de créateurs contemporains, comme JonOne, Olivier Debré ou Ernest Pignon-Ernest.
Plus loin, la salle des Quatre-Colonnes évoque l’Antiquité, berceau de la démocratie : colonnes, statues de législateurs antiques, mais aussi une colossale sculpture de la République, ou encore un monument aux morts de la Première Guerre Mondiale. C’est aussi le théâtre des interviews télévisées entre députés et journalistes les jours de séance.
La salle des Pas-Perdus, aussi appelée salon de la Paix, est le cœur solennel du parcours. Elle doit son nom à son usage: on y attend, on y marche, on s’y croise, notamment les journalistes qui patientent en attendant la sortie de séance des députés. Le plafond peint par Horace Vernet sous la Monarchie de Juillet représente la Paix au centre, avec sa branche d’olivier, entourée de génies de la Vapeur, sur l’eau ou sur terre, symbolisant le progrès, synonyme de paix et de prospérité. Les murs en stuc jaune, les bas-reliefs et la statue de Minerve (ou Athéna), déesse de la sagesse et de la loi, protectrice de la Cité et de la Paix, en font un manifeste esthétique du pouvoir républicain.
Enfin, la grande rotonde conduit aux tribunes de la presse. Une sculpture de l’artiste Tim représentant le célèbre caricaturiste de la Monarchie de Juillet, Honoré Daumier, rappelle le lien entre satire, liberté d’expression et vie parlementaire.
LES SALONS HISTORIQUES : ENTRE POLITIQUE, ART ET SYMBOLES
Le Palais Bourbon n’est pas seulement un haut lieu du débat démocratique, c’est aussi un musée vivant de l’art et de l’architecture. Les salons bordant l’hémicycle sont autant de capsules temporelles où se mêlent faste décoratif et mémoire politique.
Le salon Delacroix est sans doute le plus spectaculaire. Conçu au 19e siècle pour les députés siégeant à gauche de l’hémicycle, il est orné de fresques d’Eugène Delacroix : la Justice, la Guerre, l’Agriculture, l’Industrie - des figures allégoriques encadrées des fleuves personnifiés. L’artiste a même osé une rupture avec les canons de son époque en représentant la Saône sous les traits d’un homme, pour maintenir une parité symbolique. Ce salon, appelé « salon du Roi » sous la Monarchie de Juillet, pouvait accueillir Louis-Philippe lors de certaines sessions parlementaires. Il s’asseyait alors sur un trpobe placé dans la niche où se trouve aujourd’hui un buste de Marianne.
Face à lui, le salon Pujol, du nom du peintre Abel de Pujol, est habituellement utilisé par les députés de la droite de l’hémicycle. Les murs en faux marbre et les plafonds en grisaille évoquent des moments-clés de l’histoire juridique française : la loi salique (imposant un héritier masculin au trône de France), la Charte de 1830 (charte constitutionnelle sur laquelle Louis-Philippe a prêté serment), les capitulaires de Charlemagne (évoquant les prémices de la centralisation de l’État)... Au-delà de ces somptueux décors, ce salon est donc un manuel d’histoire du droit à lui seul !
Le salon Casimir-Perier, traversé par les ministres lors des séances de questions au Gouvernement, rappelle par ses colonnes corinthiennes cannelées et son plafond à caissons les temples antiques. Le nom de ce salon fait référence au député Casimir-Perier, élu en 1817, et représentant de l’opposition libérale face à Louis XVIII. Des statues et des bas-reliefs évoquent la loi dans ses dimensions vengeresse et protectrice, tandis qu’un bronze monumental d’Aimé-Jules Dalou, créé pour le centenaire de la Révolution française, figure la fameuse séance du 23 juin 1789 où, trois jours après le Serment du Jeu de Paume, Mirabeau et les députés du Tiers-États refusèrent d’obéir au roi et de se séparer.
Plus singulier encore, le salon des Mariannes, autrefois vestibule de l’Assemblée, accueille une double collection : des bustes caricaturaux modelés par Honoré Daumier, et des représentations très variées de Marianne, certaines arborant un bonnet phrygien, d’autres une couronne végétale. Une œuvre de street-art signée JonOne, « Liberté, Égalité, Fraternité », trône depuis 2015 au cœur de ce salon, soulignant l’ouverture contemporaine de l’institution. C’est depuis le salon des Mariannes que l’on peut accéder à la bibliothèque de l’Assemblée.
ANECDOTE : POURQUOI MARIANNE INCARNE-T-ELLE LA RÉPUBLIQUE ET QUI EST-ELLE ?
Figure emblématique de la République française, Marianne personnifie les valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité. Son apparition remonte à la Révolution française, période durant laquelle on cherche à incarner la jeune République à travers une allégorie forte, à la fois universelle et populaire.
Marianne est représentée comme une femme libre, souvent coiffée du bonnet phrygien - symbole hérité des esclaves affranchis dans la Rome antique - et portant les traits d’une femme du peuple, à rebours des figures royales d’Ancien Régime. Notez qu’au début de la IIIe République (1870-1940), le Président Adolphe Thiers avait demander à substituer le bonnet phrygien par une couronne végétale pour éviter de lui donner un air trop révolutionnaire.
Mais pourquoi ce prénom ? « Marianne » est en réalité la contraction des deux prénoms féminins les plus courants dans la population française de l’époque : Marie et Anne. En adoptant ce prénom simple et commun, les républicains affirment l’ancrage populaire de leur idéal politique : une République qui parle au plus grand nombre, loin des titres et des privilèges. Par ailleurs, « Marie-Anne » rassemble symboliquement Marie et Anne, les prénoms portés par la Vierge et sa mère dans la tradition chrétienne. Ce choix aurait aussi facilité l’acceptation de cette figure dans une société encore largement catholique.
Quoi qu’il en soit, Marianne est donc une femme libre, citoyenne et engagée, à la fois proche du peuple et porteuse d’un idéal républicain. C’est pourquoi elle trône dans toutes les mairies de France, orne les timbres, les pièces de monnaie et les documents officiels, et qu’on la retrouve en majesté dans le salon des Mariannes du Palais Bourbon, où bustes traditionnels et œuvres contemporaines dialoguent pour incarner une République toujours vivante. Saviez-vous également que Marianne pouvait prendre les traits d'une personnalité féminine française? Brigitte Bardot, Catherine Deneuve ou encore Laetitia Casta lui ont prêté leur visage.
LA BIBLIOTHÈQUE : JOYAU ARTISTIQUE ET MÉMOIRE POLITIQUE
C’est un lieu méconnu et longtemps réservé aux parlementaires qui a rouvert au public en avril 2025 après de longs travaux de restauration. La bibliothèque de l’Assemblée nationale, conçue par Jules de Joly et décorée par Eugène Delacroix entre 1838 et 1847, est un chef-d’œuvre qui mérite, à elle seule, la visite de l’Assemblée.
Ses plafonds s’organisent en cinq coupoles : au centre, la Législation, encadrée par la Philosophie, la Théologie, la Science et la Poésie. Aux extrémités, deux vastes scènes : Orphée civilisateur d’un côté, Attila destructeur de l’autre. Entre ces extrêmes, la loi apparaît comme l’équilibre nécessaire entre chaos et harmonie. Pour l’anecdote, il aura fallu dix ans à Delacroix pour finaliser son œuvre. Non pas qu’il soit particulièrement lent, mais il devait démonter ses échafaudages à chaque session parlementaire !
La bibliothèque n’est cependant pas seulement un décor. Elle abrite plus de 700 000 volumes rassemblés dès 1796, dont des trésors : manuscrit de la Constitution annoté par Robespierre, Marseillaise écrite de la main de Rouget de Lisle, discours de Jean Jaurès ou Clémenceau, lettres de Victor Hugo, procès de Jeanne d’Arc... Un programme de numérisation permet aujourd’hui de consulter certaines pièces en ligne.
C’est ici que les députés préparent leurs interventions, approfondissent les textes, croisent sources historiques et enjeux contemporains.
LA SALLE DES CONFÉRENCES
Ancienne salle à manger des princes de Condé, la salle des Conférences est un bel exemple de la manière dont les espaces du Palais Bourbon ont été réinvestis par la République. Réaménagée en 1830 par l’architecte Jules de Joly pour faire pendant à la salle des Pas-Perdus, elle conserve l’élégance de son décor d’origine tout en reflétant les mutations politiques du 19e siècle.
Les symboles royaux ont peu à peu laissé place à des éléments plus républicains. Ainsi, sur la cheminée, une couronne de France surplombe aujourd’hui un buste de Marianne. Sous la verrière zénithale, les peintures de François-Joseph Heim mettent en scène quatre souverains législateurs : Charlemagne (règne 768-814) promulguant ses ordonnances, Louis VI le Gros (r. 1108-1137) affranchissant les communes, Louis XII (1498-1515) organisant la Chambre des comptes, et Louis IX - Saint Louis (r. 1226-1270) publiant ses lois.
Deux grandes toiles murales complètent cet hommage aux figures du pouvoir et du droit : à gauche, « Le dévouement des bourgeois de Calais » d’Ary Scheffer (1795-1858), et à droite, « Les États généraux de 1302 » par Auguste Vinchon (1789-1855). Enfin, un meuble à casiers surnommé « le piano », toujours utilisé par les huissiers pour y déposer des messages destinés aux députés, rappelle que cette salle reste un lieu de passage et d’échange dans la vie parlementaire quotidienne.
L’HÉMICYCLE : THÉÂTRE DE LA RÉPUBLIQUE
C’est le point d’orgue de la visite, le cœur battant de la maison du peuple. L’hémicycle, avec ses sièges rouges en arc de cercle, ses colonnades monumentales et son perchoir surélevé, impressionne par sa solennité autant que par son activité constante – d’ailleurs, l’éclairage zénithal est conçu de façon à ce que la lumière soit toujours la même, vive comme en plein jour, pour permettre aux députés de se réunir et travailler à tous les moments de la journée… et parfois de la nuit.
Construit à l’époque du Conseil des Cinq-Cents, sous le Directoire (1795-1799), à la toute fin du 18e siècle, il a été agrandi au 19e siècle par Jules de Joly (1788-1865). Le président ou la présidente de séance y siège au centre, encadré de symboles républicains. Si on parle de perchoir pour désigner l’emplacement où elle ou il se trouve, il faut savoir qu’en réalité, le fauteuil de la présidence se situe au même niveau que les rangs les plus hauts des députés. Car ici, le président - ou la présidente – est un ou une député.e comme un.e autre.
Par ailleurs, son fauteuil, massif et de style Empire, est hérité de la présidence de l’Assemblée par Lucien Bonaparte, frère de Napoléon 1er. Il est si lourd qu’il nécessite l’aide de deux huissiers pour le déplacer et permettre au président ou à la présidente de s’assoir. Cette dernière (ou ce dernier), n’est de toute façon pas autorisé.e à se lever pendant la séance. Si elle ou il s’absente, la séance est levée. Les députés, quant à eux, peuvent aller et venir comme bon leur semble. En effet, pour qu’une séance soit effective, il faut la présence du ou de la présidente, et au moins celle d’un ou d’une membre du Gouvernement.
DES DÉCORS TOUT EN SYMBOLES
Au-dessus de la tribune de l’orateur, un bas-relief signé François-Frédéric Lemot (1772-1827) représente Janus, dieu romain à deux visages regardant à la fois vers le passé (ici figuré par une allégorie de l’Histoire) et l’avenir (ici sous les traits de la Renommée). À ses pieds, les coqs gaulois ont remplacé les anciennes aigles impériales, signe d’un ancrage républicain assumé.
Face aux bancs des ministres et des députés, une grande tapisserie reproduit L’École d’Athènes de Raphaël (l’original est au Vatican), hommage direct aux racines grecques de la démocratie. Deux statues monumentales encadrent l’ensemble : la Liberté, et l’Ordre public. Deux piliers, deux équilibres permanents du débat parlementaire, pour ne jamais sombre ni dans l’anarchie, ni dans la dictature. Au-dessus, quatre statues symbolisent les vertus que les députés doivent avoir : Éloquence, Justice, Force et Prudence.
UNE ORGANISATION PROTOCOLAIRE STRICTE
En séance, chaque député dispose d’un pupitre et d’un boîtier électronique pour voter. Notez que seuls les députés sont équipés de boîtiers de vote. Les membres du Gouvernement, présents aux premiers rangs, n’ont pas le droit de voter – ils peuvent tout au plus émettre un avis favorable ou non. C’est ici la marque de séparation claire des pouvoirs exécutifs et législatifs.
Quant aux débats, ils suivent un ordre précis : le temps de parole est minuté et les règles codifiées. L’intensité des échanges, les oppositions, les compromis, donnent à l’Assemblée cette vie vibrante que ressent tout visiteur : ici, la démocratie s’exerce à voix haute.
UNE GÉOGRAPHIE TRÈS POLITIQUE DE L’HÉMICYCLE
Dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, rien n’est laissé au hasard, pas même l’emplacement des députés. Chaque élu dispose d’un siège attitré, défini selon son appartenance à un groupe politique… mais aussi son ancienneté ou son statut : plus un député a fait de mandats, plus il se rapproche des premiers rangs. Et s’il a été président de la République, par exemple, comme François Hollande ou Valéry Giscard d’Estaing en son temps, il bénéficie aussi d’une place privilégiée.
Les groupes classés à gauche de l’échiquier politique sont installés à la gauche de la tribune de l’orateur (vue depuis la salle), ceux de droite à sa droite. C’est de là, d’ailleurs, que viennent la notion de partis de «gauche» et de «droite». En séance, les députés peuvent toutefois se déplacer librement, dans la limite des places disponibles.
Les membres du Gouvernement, lorsqu’ils viennent défendre un projet de loi ou répondre aux questions, prennent place tout en bas de l’hémicycle, face au perchoir. Derrière eux, les administrateurs et commissaires du Gouvernement s’installent sans pouvoir intervenir. Cet agencement, très codifié, reflète autant l’organisation du débat démocratique que les équilibres politiques du moment.
GUIGNOLS, CIMETIÈRE ET TRIBUNES
Au-dessus de l’hémicycle, plusieurs tribunes offrent une vue plongeante sur les débats parlementaires. Certaines sont accessibles au public. Il faut soit être invité par un député, soit simplement s’inscrire à l’avance sur le site de l’Assemblée nationale pour assister à certaines séances, notamment les très courues questions au Gouvernement du mardi après-midi – le programme des thématiques des débats est disponible en ligne sur le site de l’Assemblée.
Mais attention, les règles sont strictes, sous peine d’être exclu ! D’abord, Chaque visiteur doit présenter une pièce d’identité en cours de validité, et une tenue correcte est exigée. Ensuite, c’est simple : on assiste en silence, sans possibilité d’intervenir, ni de monter un quelconque signe d’approbation ou de mécontentement. Il est également interdit de filmer, ou de porter des lunettes de soleil (pour éviter de cacher son visage).
Parmi les tribunes les plus emblématiques, celles surnommées les tribunes des « guignols » sont réservées aux journalistes. Installés à droite et à gauche au-dessus des entrées de l’hémicycle, ils observent les débats à la manière de critiques au balcon d’un théâtre, d’où ce surnom ironique qui illustre aussi la tension historique entre presse et pouvoir.
Plus discrète encore, une autre tribune appelée « le cimetière » accueille les anciens députés venus suivre les débats de leurs successeurs. Et tout autour du « perchoir », des loges spécifiques permettent aux huissiers, collaborateurs de séance, conseillers politiques ou commissaires du Gouvernement d’assister aux échanges.
L’ASSEMBLÉE NATIONALE : UNE MAISON COMMUNE À REDÉCOUVRIR
Visiter l’Assemblée nationale, c’est bien plus que découvrir un lieu de pouvoir : c’est comprendre le fonctionnement concret de notre République ; c’est relier des lois abstraites à des visages, des gestes, des espaces ; c’est aussi s’émerveiller devant des plafonds peints, des sculptures ou des salons habités par l’Histoire.
Ce lieu nous appartient. Il est à la fois patrimoine et avenir, tradition et mouvement, mémoire et débat. Le Palais Bourbon n’est pas qu’un décor télévisé : c’est une maison vivante, ouverte à toutes celles et ceux qui veulent voir de près comment se fabrique la démocratie.
Alors, pourquoi ne pas franchir le pas ? Une pièce d’identité, une réservation... et la République s’ouvre à vous ! Rendez-vous sir le site de l’Assemblée nationale pour en savoir plus.