top of page

LE CHÂTEAU DE LANGEAIS EN TOURAINE


A l’occasion d’un week-end automnal en Touraine, j’ai découvert le charmant château de Langeais, en Indre-et-Loire (37). Situé à quelques 30 kilomètres de Tours, et bien que moins célèbre que ses cousins de la région, ce château de la Vallée de la Loire n’a pourtant rien à leur envier, tant d’un point de vue architectural qu’historique. L’édifice séculaire a ainsi été le témoin d’un événement fondateur de l’Histoire de France: le mariage, le 6 décembre 1491, du roi Charles VIII (1470-98) et de la très jeune duchesse Anne de Bretagne (1477-1514), l’une des héritières les plus courues d’Europe. Une union qui inaugurera le processus de rattachement du duché de la Bretagne au royaume de France.

L’histoire du château de Langeais commence vers l’an Mil, alors que les combats font rage entre le comte de Blois, Eudes 1er (950-996), et le comte d’Anjou, Foulques III dit Nerra (965 ou 970-1040), qui se disputent la Touraine. En cette fin de 10e siècle, Foulques Nerra acquiert ainsi la région de Langeais où il bâtit une première forteresse en surplomb de la Loire. Après quelques rebondissements et conflits, le village de Langeais reste la propriété des comtes d’Anjou jusqu’en 1206 où il entre dans le domaine royal après la conquête de la vallée de la Loire par le roi de France Philippe Auguste (1165-1223).


Pendant la Guerre de Cent Ans (1337-1453), le château est tantôt occupé par les Anglais, tantôt par les Français, jusqu’en 1428 où le roi de France Charles VII (1403-1461) rachète la forteresse pour la détruire -et ainsi éviter qu’elle ne serve de place forte aux ennemis. Il garde cependant le donjon dont on peut encore admirer les vestiges dans les jardins, et qui serait aussi le plus ancien donjon roman de France.

Le château de Langeais actuel est bâti en 1465 sur les ruines de la forteresse de Foulques Nerra à la demande du fils de Charles VII, le nouveau roi de France Louis XI (règne 1461-83). Les travaux sont supervisés par deux proches du souverain: son conseiller, Jean Bourré (1424-1506), et le magistrat et maire de Tours, Jean Briçonnet (1420-1493). L’objectif pour Louis XI est d’une part d’affirmer son autorité royale par l’édification d’un château défensif moderne, mais aussi de protéger la Loire et la route qui mène jusqu’à sa nouvelle résidence principale du Plessis-Lès-Tours.


Niché sur un promontoire au cœur de Langeais, le château que l’on peut visiter aujourd’hui est typique de l’architecture militaire du 15e siècle, à mi-chemin entre Moyen-Âge et Renaissance. Il impressionne ainsi d’abord, côté ville, par sa façade médiévale affublée de remparts, de tours défensives, d’un pont-levis et d’un chemin de ronde avec ses nombreux mâchicoulis, à l’image des châteaux forts traditionnels.

Mais une fois que l’on passe le pont-levis, la cour nous offre le spectacle d’une jolie façade Renaissance, côté jardin, avec ses larges fenêtres et ses décors sculptés de feuilles de vigne, de lierre ou de chêne. Louis XI avait en effet le désir de bâtir une résidence où il fait bon vivre, comme la tendance de l’époque l’exigeait désormais.

Resté propriété royale tout au long de son histoire, le château de Langeais a étonnamment connu peu de modifications et présente un ensemble homogène qui a cependant subit les affres et dégradations du temps.


Le monument sera restauré et sauvé grâce à la passion et la persévérance de Jacques Siegfried (1840-1909), un banquier, entrepreneur et collectionneur d’art, notamment médiéval, français. Ce dernier acquiert le domaine de Langeais et son château en 1886 et décide de le restaurer entièrement en restant fidèle aux plans et dessins d’origine, quand cela était possible, ou en restituant l’environnement de la vie aristocratique de la fin du Moyen-Âge, grâce à du mobilier d’époque ou reproduit à l’identique, et des rénovations minutieuses et rigoureuses. En 1904, quelques années avant sa mort, il lèguera son château à l’Institut de France qui en a depuis la gestion. C’est cette version rénovée et remeublée que nous pouvons visiter aujourd’hui.

De la salle du Banquet, au rez-de-chaussée, avec sa belle cheminée du 15e siècle, à la chambre de Parement (d’apparat), au 1er étage, avec son lit à colonnettes et son dressoir typique de l’époque où le seigneur exposait sa vaisselle précieuse, en passant par la chambre de Retrait (privée), la chambre des enfants ou encore le chemin de ronde, la visite du château de Langeais nous plonge littéralement dans la vie d’une seigneurie médiévale.

Le visiteur peut également s’émerveiller des 36 panneaux et tapisseries des 15e et 16e siècles qui jalonnent le parcours: les «verdures» -ces tapisseries représentant des jardins, forêts et motifs végétaux- ou les scènes bibliques qui décorent les chambres et les salons de réception; mais aussi les sept tapisseries de la salle des Preux, une pièce impressionnante située sous les charpentes du château. Tissées entre 1520 et 1540, elles représentent sept des neuf Preux, ces figures historiques ou religieuses incarnant l’idéal de la chevalerie -sagesse, prudence, courage, piété, vertu, amour.


Point anecdote : qui sont les Neuf Preux ?

Les neuf Peux sont en réalité neuf guerriers et personnages héroïques, réels ou imaginaires, de l’histoire -païens, juifs ou chrétiens- qui incarnaient, par leurs exploits et actions, la sagesse, la prudence, le courage, la piété, la vertu et l’amour, soit les valeurs et un certain idéal de la chevalerie dans l’Europe du 14e siècle.


L’histoire héroïque et l’idéalisation des neuf Preux seront diffusées pour la première fois par l’auteur lorrain Jacques de Longuyon dans sa chanson à geste «Les Vœux du paon» écrite en 1312, l’une des plus célèbres de l’époque, et qu’il a composé pour l’évêque de Liège Thiébaut de Bar.


Ces héros, qui incarnent à eux neuf les qualités du parfait chevalier, sont divisés en trois groupes:

  • Les héros de l’Antiquité païenne: Hector de Troie, Alexandre le Grand de Grèce et Jules César de Rome. Ces personnages légendaires représentent aussi les trois grands empires qui se sont succédé dans l’Antiquité et qui marquent encore les esprits au Moyen-Âge.

  • Les héros bibliques de l’Ancien Testament: Josué, Judas Macchabée et David. Josué, qui doit sa victoire contre les infidèles à la volonté divine, inspire les chevaliers des croisades. Judas Macchabée, vainqueur des Syriens à Jérusalem, est un exemple de dévotion à Dieu. David, qui battra Goliath le Philistin et deviendra roi de Jérusalem, est un modèle de puissance pour les combattants chrétiens.

  • Les héros chrétiens des temps modernes: Charlemagne, le roi Arthur et Godefroy de Bouillon. Charlemagne, à travers sa légende, notamment véhiculée par la Chanson de Roland, célèbre chanson à geste du 11e siècle, représente à la fois le fondement d’une France unie et puissante, et le défenseur de la chrétienté face aux invasions, notamment arabes. Le roi Arthur, au cœur des légendes bretonnes, marque la force pieuse de la Bretagne, bientôt rattachée à la France. Godefroy de Bouillon, chevalier-héros de la première croisade de 1099, est célébré pour son courage, sa bonté et son dévouement à la chrétienté.

Notez qu’en écho aux vertus de ces neuf Preux sont également louées les qualités de neuf Preuses. Evoquées pour la première fois par l’auteur Jehan Le Fèvre (1320-1380) dans son ouvrage «Le Livre de Lëesce», leurs noms varieront régulièrement au cours de l’histoire, comme leur nombre, entre sept et neuf.


Quoi qu’il en soit, si l’on revient aux neuf Preux, leur légende va perdurer au fil des siècle set on les retrouvera représentés sur de nombreux tableaux ou sur des tapisseries. C’est ainsi le cas au château de Langeais qui exposent sept ouvrages réalisés entre 1525 et 1540 pour le seigneur du château de Chauray, dans le Poitou. Ici, manquent à l’appel Charlemagne et Judas Macchabée qui ont disparu ou été détruites.


Pour la petite histoire, sachez que les noms des Preux se sont retrouvé jusqu’au sur les jeux de cartes. D’ailleurs, si vous regardez bien, certains des personnages représentés sur les cartes à jouer d’aujourd’hui portent encore souvent leurs noms:

  • Hector, le valet de carreau.

  • Alexandre, le roi de trèfle.

  • César, le roi de carreau.

  • David, le roi de cœur.

Pour finir, et avant de pénétrer plus précisément dans certaines pièces remarquables du château de Langeais, revenons sur l’événement le plus important de l’histoire des lieux: le mariage de Charles VIII et d’Anne de Bretagne. Ainsi, lors de votre visite, ne manquez pas la salle du Mariage où ce jour crucial pour le royaume de France est relaté grâce à un spectacle réussi, mêlant scènes audiovisuelles et reconstitution des protagonistes avec des mannequins de cire. Un spectacle d’une dizaine de minutes à la fois ludique et pédagogique, porté par la narration du plus célèbre des conteurs d’Histoire, Stéphane Bern.


Point anecdote: Les enjeux du mariage de Charles VIII et Anne de Bretagne.

Le 6 décembre 1491, au petit matin, le château de Langeais est le témoin d’un événement fondateur pour notre pays : l’union du roi de France Charles VIII (1470-98), 21 ans, et de la duchesse Anne de Bretagne (1477-1514), alors seulement âgée de 14 ans. Par ce mariage, le duché de Bretagne sera rattaché au royaume de France pour les siècles à venir et jusqu’à aujourd’hui.

Mais au premier abord, cette union n’était pas une évidence. En effet, Anne de Bretagne est promise depuis 1490 au futur empereur de Saint-Empire Romain Germanique, Maximilien de Habsbourg (1459-1519). Leur mariage a d’ailleurs lieu le 19 décembre 1490 en la cathédrale de Rennes. Mais il s’agit d’un mariage par procuration. Le marié est absent et se fait représenté.


Le roi Charles VIII est furieux. Un accord tacite empêchait la Bretagne de s’unir avec un adversaire du royaume de France. Or en épousant Maximilien, Anne permet à la Bretagne d’entrer dans le domaine du Saint-Empire Romain Germanique, et par là, d’y installer un ennemi de la France qui risque ainsi d’être encerclée sur ses flans Est et désormais Ouest.


Un stratagème va être mis en place par Charles VIII, avec l’aide de ses conseillers rapprochés et de sa sœur, la très politique Anne de Beaujeu qui fut régente pendant la minorité de son frère. Charles VIII assiège ainsi Rennes où se trouve Anne pour tenter de la faire renoncer à son mariage. Le 15 novembre le roi de France entre dans la ville et on organise secrètement son mariage avec Anne. Cette dernière arrive à Langeais, escortée par son armée (signe qu’elle est supposée libre de ses choix) et, alors qu’on considère que le mariage par procuration est nul, l’union de Charles VIII et d’Anne de Bretagne est célébrée en petit comité et en secret, sans l’accord du Pape, le 6 décembre 1491 à l’aube dans la salle dite du mariage du château de Langeais.

Plus tard, en 1492, le mariage d’Anne et de Maximilien sera annulé par le Pape Innocent VIII après négociations. L’une des raisons invoquées est la non-consommation du mariage. En effet, le représentant du futur empereur aurait bien passé sa jambe sous les draps de la jeune épouse, mais rien de plus, et surtout, les deux époux ne se sont pas encore recnontrés. Anne est sacrée reine de France le 8 février 1492 à la basilique Saint-Denis. C’est la première reine à s’y faite couronner.


Le mariage d’Anne et de Charles étant avant tout politique, un contrat précis est signé entre la France et la Bretagne. Afin de garantir la paix entre le duché et le royaume, il est stipulé qu’en cas de mort du roi sans héritier, Anne devra épouser son successeur. Ainsi, l’héritier de la couronne de France deviendra duc de Bretagne par sa mère, et le duché sera ainsi définitivement rattaché au domaine royal français.


C’est exactement ce qui va se passer. Alors que le couple est au château d’Amboise, le 7 avril 1498, pour distraire son épouse qui vient d’accoucher d’un enfant mort-né, le roi lui propose d’assister à un tournoi de jeu de paume. Or, dans sa précipitation, Charles VIII heurte sa tête au linteau de pierre d’une porte trop basse. Le roi semble aller bien, on est rassuré. Mais vers 14h, il tombe d’un coup sur lui-même. Il ne parle plus et, allongé dans sa chambre, il finit par mourir dans la nuit. Il serait certainement mort d’une commotion cérébrale.


Quoi qu’il en soit, Anne doit épouser son successeur, qui n’est autre que le cousin du roi, Louis d’Orléans, qui devient alors Louis XII (1462-1515). Ironie de l’histoire, il était l’un des témoins du mariage de feu son cousin et de sa nouvelle épouse en 1491. Elle est la seule femme à avoir épousé deux rois de France et donc à avoir été deux fois reine de France.

Anne et louis XII auront deux filles. L’aînée, Claude de France, épousera son cousin François d’Angoulême, héritier le plus direct de la couronne, qui deviendra le célèbre roi François 1er (règne 1515-1547).

Je vous propose maintenant de me suivre à la découverte de certaines des pièces les plus remarquables du château de Langeais.

PIÈCES REMARQUABLES DU CHÂTEAU DE LANGEAIS


La salle des boiseries peintes (rez-de-chaussée)

C’est l’une des premières pièces que l’on visite. Le mobilier n’est pas d’origine dans cette salle, mais on y comprend l’origine du mot «mobilier». En effet, au Moyen-Âge, la cour et les grands seigneurs sont itinérants. A chaque voyage, d’un château à l’autre, on emporte les meubles, qui sont donc «mobiles» (d’où leur nom), les objets et autres tapisseries. On peut ainsi observer ici un coffre, élément essentiel qui pouvait facilement se déplacer et qui, couvert d’un tapis appelé le «banquier», servait aussi de banc. On peut aussi apercevoir un «ployant», ces sièges pliants aisément transportables, ou encore deux panneaux de bois peints intéressants, dont un triptyque où est représenté une scène de banquet.


La salle du banquet (rez-de-chaussée)

Dans cette pièce de réception, un banquet est reproduit avec ses tables dressées, faites de tréteaux, sa vaisselle et ses victuailles. Ici, l’un des points d’intérêt est la cheminée du 15e siècle dont le manteau sculpté représente les étages d’un château avec son chemin de ronde et ses créneaux. Il s’agissait par ce décor d’affirmer son autorité aux convives.

Autre curiosité, le banc près de la cheminée. Son dossier pivotant permettait, sans avoir à bouger ce meuble lourd, de se chauffer le dos ou les pieds, selon si on s’asseyait face ou dos à l’âtre. Remarquez aussi la crédence surmontée d’un dais en bois. Ce meuble servait à disposer les plats.


Enfin, on trouve ici une collection de meubles religieux qui n’étaient cependant pas dans cette pièce à l’origine: une armoire de sacristie et des stalles en bois sculpté.


La chambre de parement (premier étage)

Il s’agit de la chambre d’apparat, où le seigneur travaille, mange et reçoit, parfois assis sur son lit. Le lit est en effet alors un lieu d’exercice du pouvoir. Dans cette pièce, le mobilier n’est pas d’origine, mais il reproduit le type de meubles que l’on trouvait à l’époque, notamment le lit à colonnettes, ou encore le dressoir. Composé de plusieurs parties pour faciliter son transport, le dressoir servait à exposer la vaisselle de luxe -orfèvrerie, flacons, coupes remplies d’épices- afin de montrer sa richesse aux visiteurs.

Autre point d’intérêt, les deux tapisseries qui décors les murs. «La Crucifixion», inspirée du peintre flamand Van der Weyden, et «La Prédication de Saint Jean-Baptiste» tissée de laine et de soie à Tours vers 1527.


La chambre de retrait (premier étage)

Contrairement à la chambre de parement, la chambre de retrait est privée. Le seigneur y dort, et il peut y recevoir des proches. Ici, le lit est une reproduction d’un lit du 13e siècle. Le ciel-de-lit y est suspendu à des cordages et non à des colonnes comme dans la chambre précédente. On peut admirer ici aussi deux verdures, ces tapisseries représentant des arbres ou motifs végétaux: une tapisserie d’Aubusson du 16e siècle avec des animaux exotiques, et une tapisserie de Tournai, du 16e également, illustrée d’animaux fantastiques. Enfin, attardez-vous sur la dernière tapisserie. Elle est remarquable. Tissée dans les Flandres vers 1530, elle représente des motifs astrologiques, rappelant l’importance de l’astrologie à l’époque.


La chambre de la Dame (deuxième étage)

Il s’agit de la chambre de l’épouse du seigneur dont l’appartement se situe au deuxième étage, au-dessus de celui de son mari. Elle est meublée d’une diversité de pièces qui auraient pu se trouver ici au Moyen-Âge et à la Renaissance: un coffre en bois aux décors gothiques flamboyants, une armoire aux inspirations antiques datant de la Renaissance, et un barguenio ou bargueno espagnol, soit un petit cabinet, datant du 17e siècle. La grande tapisserie est là-aussi remarquable avec ses motifs floraux.


La chambre des enfants (deuxième étage)

Située à côté de la chambre de la Dame, cette chambre accueillait les enfants du seigneur et de son épouse. Le lit servait certainement pour la nourrice ou gouvernante. Chose étonnante ici, on remarque le mobilier utilisé alors et déjà très proche de celui qui aménage les chambres d’enfant contemporaines: un berceau en bois, des chaises miniatures, notamment des chaises hautes (qui datent ici du 17e siècle), ou encore, plus surprenant, un trotteur pour apprendre aux enfants en bas-âge à marcher.

Observez également les trois tapisseries «verdures», dont celle, très grande le long du lit, qui représente des plantes grimpantes aux larges feuilles et petites fleurs. Nommées aristoloches, elles étaient utilisées comme plante médicinales au Moyen-Âge.


MON AVIS


La visite du château de Langeais s’est organisée, pour ma part, de manière impromptue. Elle n’était pas prévue et j’ai été vraiment séduit. Le château est parfaitement rénové, le mobilier et les décors nous transportent directement à la frontière entre Moyen-Âge et Renaissance, et on apprend beaucoup en explorant les différentes parties du monument.


Une visite guidée est proposée gratuitement plusieurs fois par jour. Je vous recommande de la suivre pour mieux comprendre ce château et son rôle dans l’Histoire de France.


Pour toutes information complémentaire, rendez-vous sur le site du château de Langeais.


SOURCES

bottom of page