PAUL POIRET, LA MODE EST UNE FÊTE : MODERNITÉ, LIBERTÉ ET CRÉATIVITÉ AU MUSÉE DES ARTS DÉCORATIFS DE PARIS JUSQU’AU 11 JANVIER 2026
- Igor Robinet-Slansky
- il y a 4 jours
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Du 25 juin au 11 janvier 2026, Le MAD Paris (Musée des Arts Décoratifs de Paris) consacre sa première grande rétrospective parisienne au couturier Paul Poiret avec une exposition magistrale : « Paul Poiret. La Mode est une fête ». Plus de 550 œuvres, une scénographie immersive signée Paf atelier, et un parcours conçu comme une fête de l’art et de la mode, font revivre l’univers exubérant et radical de ce créateur pionnier.
Premier couturier à abolir le corset et à libérer le corps des femmes, pionnier du parfum, maître des collaborations artistiques et organisateur de fêtes mythiques, Poiret a incarné comme nul autre l’esprit de liberté et d’avant-garde du Paris du début du 20e siècle, de la Belle Époque aux Années folles. À travers vêtements, accessoires, œuvres graphiques, objets décoratifs et extraits de films, le MAD rend justice à l’un des créateurs les plus inventifs de son temps – et aujourd’hui moins connu des nouvelles générations.
PAUL POIRET : UN VISIONNAIRE ENTRE CRÉATEUR DE MODE ET ARTISTE TOTAL
Né à Paris le 20 avril 1879, dans une famille modeste, Paul Poiret grandit dans un environnement baigné de textile – son père était marchand de tissus. Très jeune, il manifeste un goût prononcé pour l’art et le théâtre, et confectionne ses premières robes miniatures sur un mannequin en bois offert par ses sœurs. Ébloui à 10 ans par l’Exposition universelle de 1889, il gardera toute sa vie ce sens du spectacle et de l’émerveillement.
C’est en vendant ses dessins à des couturières comme Madame Chéruit puis au grand Jacques Doucet qu’il entre dans le monde de la mode. Doucet le prend sous son aile en 1898, puis Worth l'engage en 1901. Ces expériences nourrissent chez lui le rêve d’une maison qui porterait sa vision. Ce sera chose faite en 1903, grâce à l’aide financière de sa mère.
Dès 1906, il révolutionne la silhouette féminine en abolissant le corset et en imaginant des lignes fluides et orientalisantes, inspirées de ses voyages, de l’Empire, de l’Orient, des Ballets russes et de l’Art nouveau. Sa muse, Denise Boulet, qu’il épouse en 1905, incarne cette nouvelle féminité : libre, naturelle, moderne.
En parallèle, il lance les Parfums de Rosine en 1911 - bien avant Chanel -, puis un atelier d’arts décoratifs, la Maison Martine. Il s’entoure également des plus grands artistes de son temps : Dufy, Vlaminck, Bakst, Lepape. Son ambition ? Créer une œuvre d’art totale, de la robe au décor, du parfum à la fête. Peintre, écrivain, gastronome, metteur en scène, parfumeur, Poiret l’affirmait ainsi sans détour : « Je suis un artiste, pas un couturier ». Sa renommée dépasse alors les frontières, et il devient le premier créateur à orchestrer des défilés comme de véritables performances et à exporter la mode française à l’international (Europe de l’Est, États-Unis dès 1913).
Mais Poiret est aussi un homme de passions coûteuses. Ses fêtes somptueuses, ses investissements dans ses activités annexes - Maison Martine, Parfums de Rosine -, mais aussi son refus de s’adapter au prêt-à-porter et aux nouvelles formes de marketing après 1920, auront raison de sa maison. Il doit la vendre en 1924, et la quitte définitivement en 1929. Il meurt oublié, ruiné, en 1944, sous l’Occupation. Pourtant, son influence est immense : Dior, Lacroix, Galliano, Saint Laurent… tous s’en sont réclamés, souvent sans le citer.
PAUL POIRET, INVENTEUR D’UN STYLE
LIBÉRER LA FEMME
Poiret est le premier à affranchir la mode féminine du carcan du corset. Ses robes, aux tailles hautes et aux tissus souples, dessinent une silhouette droite, libre, en mouvement. Il imagine des manteaux kimono, des pantalons bouffants, des capes flottantes, et insuffle à la mode parisienne une touche d’exotisme aux accents de Perse, du Maghreb ou de l’Inde.
L’ART AU CŒUR DE LA CRÉATION
Fauvisme, orientalisme, théâtre, design… Poiret ne sépare jamais la mode des arts. Il collabore avec Raoul Dufy pour ses imprimés textiles, commande des dessins à Georges Lepape, travaille avec les Ballets russes et habille Isadora Duncan – célèbre danseuse de l’époque. Il peint lui-même, fonde une école de décoration pour jeunes filles issues de milieux modestes, et imagine des flacons de parfums comme de véritables sculptures et objets d’art.
UN ENTREPRENEUR EXTRAVAGANT
Ses défilés sont des spectacles. Ses fêtes, comme «La Mille et deuxième nuit» en 1911 ou «Les Festes de Bacchus» en 1912, sont entrées dans la légende. En 1925, il organise à ses frais une exposition sur des péniches amarrées sur la Seine, où il met en scène son univers total – un projet ruineux qui accélérera la fin de sa maison de couture en 1932. Pourtant, son influence perdure jusqu’à aujourd’hui.
L’EXPOSITION : UN PARCOURS EN ONZE ACTES DANS L’UNIVERS FOISONNANT DE PAUL POIRET
L’exposition est conçue à la fois de manière chronologique et thématique. Chaque section dévoile une facette du génie de Poiret, entre vie intime, création foisonnante et vision artistique.
1. LES ANNÉES DE FORMATION
On découvre ici un jeune homme fasciné par les arts. Des dessins de jeunesse, les premières commandes pour Doucet et Worth montrent l’éclosion d’un œil singulier. Le parcours revient sur sa jeunesse parisienne, son émerveillement devant les lumières de l’Exposition universelle de 1889, et ses premiers pas dans le milieu de la couture.
2. LES DÉBUTS DU COUTURIER
Sa maison fondée en 1903 connaît très vite un succès fulgurant. On y admire les robes de la collection manifeste de 1907, libérées du corset, aux lignes hautes et épurées. Les documents illustrent aussi le rôle central de Denise Poiret, mannequin, muse et complice.
3. LES COLLABORATIONS ARTISTIQUES
Poiret ne crée jamais seul : il s’entoure des artistes les plus avant-gardistes. Dufy dessine ses tissus, Lepape illustre ses créations, Iribe met en page ses catalogues. Des œuvres originales de ces artistes sont exposées aux côtés des vêtements, révélant un véritable dialogue entre mode et art.
4. HABILLER LES DANSEUSES ET LES COMÉDIENNES À LA VILLE ET À LA SCÈNE
Les liens de Poiret avec le spectacle vivant sont ici mis en lumière. Il habille Isadora Duncan, Tamara Karsavina, Natalia Gontcharova. Ses costumes évoquent le mouvement, la légèreté, l’émotion. Des croquis de Léon Bakst, des photos de danseuses illustrent cette osmose entre corps et tissu.
5. LE VOYAGE, INSTRUMENT DE COMMERCIALISATION ET SOURCE D’INSPIRATION
Cette section retrace les tournées de Poiret en Europe centrale, en Russie, puis aux États-Unis. Il y organise des défilés itinérants, véritables campagnes de promotion modernes. Ses itinéraires sont ponctués de rencontres artistiques, d’achats de textiles, de découvertes culturelles qui nourrissent sa création.
6. ENRICHIR SON ESPRIT PAR LE VOYAGE
En Méditerranée, au Maghreb, en Espagne ou en Italie, Poiret trouve des motifs, des coupes, des matières. Cette partie montre comment ses vêtements deviennent de véritables récits de voyage, recréant un Orient onirique. Des robes comme Marrakech ou Tolède témoignent de ce goût du lointain.
7. L’ORGANISATEUR DE FÊTES ET DE SPECTACLES - LE CERCLE DES ARTISTES
Costumes, photos, décors reconstitués… On revit ici les fameuses fêtes de Poiret, dont « La Mille et deuxième nuit » en 1911. Elles mêlent mode, musique, théâtre, gastronomie. On découvre aussi ses cercles d’artistes, ses amis peintres, écrivains, musiciens qu’il fait dialoguer avec ses créations.
8. PORTRAIT DE FAMILLE
Une section plus intime dévoile des photos de famille, des portraits de ses enfants, de ses sœurs créatrices (Nicole Groult, Jeanne Boivin). On y ressent la dimension familiale et affective de son aventure artistique.
9. RÉNOVER LES ARTS DÉCORATIFS - LE COUTURIER PARFUMEUR
Ici, place aux Parfums de Rosine et à la Maison Martine : flacons raffinés, papiers peints, textiles imprimés, mobilier. Poiret voulait tout créer, de la robe au décor. Ses flacons deviennent sculptures, ses papiers peints des œuvres d’art.
10. UN COUTURIER AUX PASSIONS MULTIPLES - LA SYNTHÈSE ENCHANTÉE DES PÉNICHES DE 1925
Gastronome, comédien, écrivain… Poiret multiplie les passions. En 1925, il présente son univers sur trois péniches à l’occasion de l’Exposition des Arts Décoratifs : une utopie flottante qui scelle sa ruine, mais marque son apothéose artistique.
11. LE CINÉMA, L’ART DES TEMPS MODERNES - L’HÉRITAGE STYLISTIQUE DE PAUL POIRET
La dernière salle montre ses collaborations avec le cinéma (L’Inhumaine de Marcel L’Herbier) et met en regard ses créations avec celles de Dior, Galliano, Lacroix, Yves Saint Laurent ou Schiaparelli. Une manière de rappeler combien l’influence de Poiret irrigue encore la mode contemporaine.
MON AVIS
Si vous aimez la mode, l’histoire, les arts ou tout simplement les belles histoires, cette exposition est un incontournable. Foisonnante, immersive, joyeuse, elle rend justice à un créateur visionnaire tombé à tort dans l’oubli. On en ressort émerveillé, inspiré… Une exposition-fête, comme son titre l’indique.
Pourquoi visiter l’exposition ? Parce que Paul Poiret a inventé la mode moderne. Parce que son œuvre est un feu d’artifice d’audace, de couleurs, de liberté. Parce que l’exposition est superbe, didactique sans être pesante, magnifiquement scénographiée et riche d’objets inédits. Et parce qu’il est temps de redonner à ce créateur génial la place qu’il mérite.
INFOS PRATIQUES
Quoi ? « Paul Poiret. La Mode est une fête ».
Où ? Musée des Arts décoratifs, 107 rue de Rivoli, 75001 Paris
Quand ? Du 25 juin 2025 au 11 janvier 2026
Mardi à dimanche, 11h – 18h ; nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Combien ? 15 € plein tarif - 10 € tarif réduit - gratuit -26 ans
Toutes les informations et réservations sur le site du MAD Paris.