Direction la charmante ville de Cognac, en Charente (16). Réputé pour ses vignobles qui, sur plus de 80 000 hectares dans les territoires alentours, produisent les raisins nécessaires à la création du célèbre spiritueux qui porte son nom, la ville médiévale est aussi riche d’une histoire et d’un patrimoine porté par les grandes Maisons qui ont fait sa réputation (je le rappelle : l’abus d’alcool est dangereux pour la santé. Il est donc à consommer avec modération).
Parmi elles, la Maison Hennessy est l’une des plus célèbres, et l’une des pionnières du secteur à bien des égards. Le monde entier connaît Hennessy – c’est le ‘H’ du groupe LVMH (Louis Vuitton Moët-Hennessy), propriétaire de la Maison depuis 1987. Mais connaissez-vous son histoire, et celle, passionnante, de celui qui lui a donné son nom, un certain officier irlandais, Richard Hennessy ?
Pour tout savoir, un programme exclusif vous est proposé lors des 41e Journées Européennes du Patrimoine (JEP) les 21 et 22 septembre 2024 pour découvrir cette Maison aux savoir-faire et à la renommée séculaires. Rendez-vous ainsi à quelques pas du site historique de la Maison, sur les bords de la paisible Charente, rue Richonne à Cognac, dans le magnifique bâtiment contemporain créé par l’architecte Jean-Michel Wilmotte.
Au programme de ces deux journées :
« Laisser au temps… », une exposition inédite en hommage au fondateur de la Miason, Richard Hennessy, un homme visionnaire dont on célèbre les 300 ans en cette année 2024.
Pour les JEP, l’exposition est proposée en visites guidées de 30 minutes de 10h à 18h (départ en groupe de 15 personnes toutes les 15 minutes depuis l’accueil des Visites Hennessy, rue de la Richonne à Cognac). Notez que l’exposition est aussi accessible en visite libre (hors JEP) jusqu’au 31 décembre 2024.
Visite de la Tonnellerie de la Maison Hennessy (quai Maurice Hennessy à Cognac) : Explorez l’atelier où, selon les savoir-faire ancestraux et avec les outils traditionnels, les artisans tonneliers continuent à fabriquer, réparer et entretenir les barriques qui conservent les eaux-de-vie de la Maison depuis des siècles. Les visites guidées en petit groupe se feront entre 10h et 12h30 le matin, puis 14h et 17H30 l’après-midi.
Notez que ces visites se font sans réservation et sur présentation directement sur place.
L’exposition « Laisser au temps… » et la découverte de la tonnellerie s’ajoutent au programme de visites guidées proposées tout au long de l’année par Hennessy et qui permettent d’explorer son histoire et une partie des secrets de fabrication de ses cognacs.
Installations, vidéos explicatives, réalité virtuelle (l’animation poétique ‘Mobilis’ dans l’imaginaire de Richard Hennessy est grandiose), visites des chais et ateliers… conçus comme de véritables expériences multisensorielles, ces parcours offrent une immersion dans l’univers fascinant du cognac : de l’importance des terroirs aux subtiles assemblages des maîtres de chai, en passant par les spécificités de la culture des raisins, les techniques rigoureuses de la double-distillation, le vieillissement indispensable des eaux-de-vie en fût de chênes ou encore les secrets des artisans tonneliers…
Tous les renseignements concernant les visites sont à retrouver ici, sur le site de la Maison Hennessy.
Pour ma part, outre l’exposition et la tonnellerie que j’ai eu la chance de visiter en avant-première, j’ai eu le privilège d’explorer certains des lieux emblématiques qui ont fait la renommée de la Maison Hennessy :
Le chai de la Faïencerie, où est conservée une partie des eaux-de-vie servant à créer les assemblages qui feront les cognacs de la Maison.
Le chai du fondateur, le plus ancien bâti en 1774 qui conserve les eaux de vie les plus anciennes – 50 ans d’âge minimum.
Le château de Bagnolet, acheté en 1841 par le petit-fils de Richard Hennessy, Auguste, pour en faire la propriété familiale. Toujours privé, il ne se visite pas et appartient aujourd’hui à la Maison Hennessy qui y accueille des événements et ses invités privilégiés.
Je vous invite donc ci-après à me suivre au fil de l’exposition « Laisser au temps… » et à découvrir ainsi l’histoire d’Hennessy, avant d’explorer les lieux historiques de la Maison que j’ai eu la chance de visiter. Mais pour commencer, et parce qu’il est important d’en connaître les fondements, je vous propose de vous rappeler les caractéristiques du cognac, son histoire séculaire et les grandes étapes de sa fabrication.
LE COGNAC : UN ASSEMBLAGE DE QUALITÉ ET DE SAVOIR-FAIRE
Il est difficile d’établir une date de naissance pour le cognac que nous connaissons, mais on sait que dès le 3e siècle, sous l’impulsion des Romains, la région produit des vins qu’elle exporte.
DU VIN BRÛLÉ AU COGNAC
Il faut cependant attendre le 15e siècle pour que ce vin de Charente soit distillé en eau-de-vie. En effet, le vin produit alors voyage mal et tourne souvent pendant le transport. On a ainsi l’idée de le distiller pour exporter un concentré de vin, une « eau ardente » comme on l’appelle puisqu’elle est chauffée que l’on transportera ensuite dans des barriques via la Charente vers les pays du Nord qui en raffolent (la Hollande notamment, mais aussi l’Angleterre). Ce mode de production sera en outre idéal puisqu’ainsi distillé, une même quantité de vin est beaucoup moins volumineuse à transporter.
Ce vin brûlé, comme on l’appelle aussi, sera également nommé brandevin en français, un dérivé du hollandais brandewijn (vin brulé) qui donnera Brandy en anglais. Une fois arrivé à destination, il sera coupé d’eau pour « recréer » un vin comestible. Ce sont ainsi les Hollandais installés en Charente pour canaliser le marais poitevin, qui mettront en place les premiers alambiques dédiés à la distillation.
Les années passant, on s’aperçoit que cette eau-de-vie stockée dans des barriques de chêne se bonifie en vieillissant, et qu’on peut alors la consommer pure. Ce nouvel alcool se diffuse ainsi dans toute l’Europe où il fait fureur. A tel point qu’en Angleterre, au début du 17e siècle, la croissance économique aidant, le royaume connaît une pénurie d’alcool et des eaux-de-vie charentaises. Pour produire plus rapidement de bonnes eaux-de-vie, les Anglais adaptent alors aux eaux-de-vie importées la double distillation utilisée dans la fabrication du Whisky.
Cette double distillation sera importée au 18e siècle en Charente par des marchands anglais et irlandais, souvent exilés, qui s’installent dans la région. Certains ouvrent des sociétés de négoces, comme Richard Hennessy en 1765.
Ainsi est née la production de Cognac en Charente. Mais quels sont les étapes et les secrets de sa fabrication ?
LES ÉTAPES D’ÉLABORATION DU COGNAC
La fabrication du cognac est un processus long et complexe, qui implique un savoir-faire unique et de nombreuses étapes, qui vont de la culture de la vigne à la commercialisation des assemblages. Voici les principales phases du processus.
1. Le terroir et les crus
Le cognac est produit exclusivement dans la région délimitée autour de Cognac, en Charente et en Charente-Maritime, et un peu en Dordogne et dans les Deux-Sèvres. Ce terroir de plus de 75 000 hectares est divisé en six crus, classés en fonction de la qualité du sol et du climat, qui influencent le caractère des vins produits :
Grande Champagne : Le cru le plus prestigieux, avec des sols crayeux, donnant les eaux-de-vie les plus fines et des cognacs raffinés et élégants. Il nécessite un long vieillissement.
Petite Champagne : Semblable à la Grande Champagne, mais moins prestigieux, ce cru produit des eaux-de-vie d’une grande finesse.
Borderies : Plus petit cru, il produit des cognacs ronds et floraux qui nécessite une maturation plus rapide.
Fins Bois : Ce cru est le plus large en termes de territoires. Il produit des cognacs fruités et souples, souvent utilisés dans les assemblages.
Bons Bois et Bois Ordinaires : Ces deux crus sont cultivés dans les territoires les plus éloignés de Cognac. Leurs sols sont moins calcaires et, pour les Bois Ordinaires, le climat est plus maritime. Ces crus produisent des cognacs plus rustiques, moins utilisés pour les assemblages haut de gamme.
2. Les cépages
Le principal cépage utilisé pour la production du cognac est l'Ugni Blanc (ou Trebbiano), choisi pour sa résistance et sa forte acidité, qui en fait un excellent vin de base pour la distillation. D’autres cépages sont autorisés, mais moins utilisés, tels le Colombard ou la Folle Blanche.
Ces différents cépages produisent des vins blancs secs et peu alcoolisés, parfaits pour la distillation.
3. La vinification
Les raisins sont récoltés généralement en septembre ou octobre. Ils sont ensuite pressés pour en extraire le jus, qui est fermenté pendant quelques jours pour obtenir un vin blanc sec, avec un faible taux d'alcool (environ 7 à 9%).
Ce vin n'est pas destiné à être bu tel quel, car il est acide et peu agréable au goût, mais il est idéal pour la distillation.
4. La distillation
Le vin est distillé dans des alambics en cuivre traditionnels, appelés alambics charentais. La distillation dite distillation charentaise est en fait une double distillation qui se fait en deux étapes ou en double chauffe :
La première chauffe (ou première distillation) produit une eau-de-vie appelée "brouillis", avec un taux d'alcool d'environ 27 à 30%.
La seconde chauffe, appelée "bonne chauffe", permet de raffiner cette eau-de-vie pour obtenir un liquide titrant entre 68 et 72 % d'alcool. Seul le "cœur" de cette distillation, la partie la plus pure, est conservé pour le vieillissement. C’est le distillateur qui, par son expérience, son savoir-faire et grâce à son nez expert, réussit à séparer les condensats qui seront redistillés – appelés têtes (premiers condensats), queues (derniers condensats) et secondes – et le cœur de chauffe, ce liquide cristallin qu’on appelle alors eau-de-vie, qui lui sera entreposé dans des barriques en chêne pour vieillir au minimum deux ans.
La distillation est réglementée et ne peut s’effectuer dans les distilleries qu’entre la récolte en octobre et le 31 mars de l’année suivante. Il faut en moyenne 12 litres de vin pour produire un litre d’eau-de-vie.
5. Le vieillissement
L'eau-de-vie est ensuite vieillie en fûts de chêne, traditionnellement issus des forêts de Tronçais ou du Limousin. Le bois des barriques joue un rôle crucial dans la maturation du cognac, en lui apportant des arômes de vanille, de fruits secs ou d'épices, tout en permettant une légère oxydation.
Le vieillissement minimum est de deux ans, mais pour des cognacs plus complexes, il peut durer plusieurs décennies. Les eaux de vie de Cognac sont conservé ou élevées en fûts dans des chais, où les variations de température et d'humidité influencent également son développement.
Chez Hennessy, les eaux-de-vie les plus anciennes (minimum 50 ans d’âge) sont conservées dans le chai du Fondateur bâti en 1774. Pour les plus rares et prestigieuses (la plus ancienne date de 1800), elles sont même stockées dans une partie de ce chai appelé avec poésie le Paradis.
Seuls des barriques ayant contenu des eaux-de-vie de Cognac peuvent être utilisées. Les eaux-de-vie les plus jeunes sont conservées dans les nouvelles barriques. La Maison Hennessy conserve plus de 350 000 barriques réparties dans 65 chais.
Lorsqu’une eau-de-vie est arrivée à maturité et qu’elle n’a plus besoin de vieillir, elle est transférée dans une dame-jeanne. Ces grandes bonbonnes en verre gainées d’osier sont notamment utilisées chez Hennessy pour conserver des eaux-de-vie très anciennes. Elles permettent de stopper le vieillissement une fois la maturation optimale atteinte, protégeant ainsi les arômes et la qualité des cognacs. Hermétiques, elles préservent ces eaux-de-vie précieuses pour des assemblages rares ou des éditions limitées, garantissant leur conservation dans des conditions parfaites pendant des décennies.
Anecdote : Savez-vous ce qu’on appelle la part des anges ?
Pendant le vieillissement en fûts de chêne, une partie du cognac s'évapore naturellement à travers le bois. Ce phénomène est appelé la part des anges.
Environ 2 à 3 % du volume total s'évapore chaque année, contribuant ainsi au développement des arômes en permettant une légère oxygénation de l'eau-de-vie. Bien que cette perte soit significative, elle fait partie intégrante du processus de vieillissement, conférant au cognac ses caractéristiques uniques. Au fil du temps, cette évaporation représente des millions de litres, mais elle est essentielle pour atteindre l'équilibre parfait entre puissance et subtilité.
En s’évaporant dans l’atmosphère, cet alcool nourrit un champignon microscopique nommé Torula compniacensis. C’est lui qui confère aux murs des chais et à leurs toits une couleur noire typique de la région.
Autrefois, lorsqu’on voulait repérer une production clandestine de cognac, il suffisait ainsi de regarder la couleur des murs : si cette pellicule noire les recouvrait, alors pas de doute, des eaux-de-vie de Cognac vieillissaient ici.
6. Le comité de dégustation
Chez Hennessy, la qualité du cognac repose sur l’expertise de son comité de dégustation. Ce comité, composé de plusieurs experts, se réunit chaque matin à 11 heures pour déguster et évaluer jusqu’à 80 eaux-de-vie en cours de vieillissement.
Les membres du comité, des maîtres de chai ou des œnologues, testent les différentes cuvées pour s'assurer de leur qualité, de leur évolution et de leur potentiel de vieillissement. Ce processus permet d’identifier les eaux-de-vie qui seront utilisées pour les différents types d'assemblages et garantit la cohérence du style Hennessy au fil des ans.
7. L'assemblage
Une des étapes clés du processus est l'assemblage, ou le "mariage" des eaux-de-vie. Le maître de chai, responsable de cet art, sélectionne et mélange des eaux-de-vie de différents âges et de différents crus pour créer un cognac équilibré. Cela permet de produire un goût constant année après année, malgré les variations naturelles des récoltes.
Chez Hennessy, les mentions sur les étiquettes (VS, VSOP, XO) correspondent à l'âge des eaux-de-vie utilisées dans l'assemblage :
VS (Very Special) : Cognac dont la plus jeune eau-de-vie a au moins 2 ans.
VSOP (Very Superior Old Pale) : La plus jeune eau-de-vie a au moins 4 ans.
XO (Extra Old) : La plus jeune eau-de-vie a au moins 10 ans.
Notez que l’âge d’un cognac correspond à celui de la plus jeune des eaux-de-vie assemblées dans sa composition.