Ce week-end, j’ai découvert pour la première fois le château de Vaux-le-Vicomte, en Seine-et-Marne (77), chef-d’œuvre du 17e siècle et haut lieu de notre patrimoine historique. Mais cette découverte s’est faite de manière on ne peut plus insolite: de nuit et aux chandelles! Car cet été, comme chaque année, le château et son parc s’illuminent de milliers de lumières (2000 bougies) pour accueillir les visiteurs privilégiés. Un événement exceptionnel dont vous pouvez encore profiter, sur réservation, tous les vendredis et samedis de l’été (jusqu’au 28 septembre en 2024).
VAUX-LE-VICOMTE BY NIGHT
Petit conseil: arrivez en fin d’après-midi, lorsqu’il fait encore jour. Vous pourrez parcourir les jardins, des parterres de broderies et de la Couronne au Grand Canal, en passant par le Rond d’eau, les bassins des Tritons, le Miroir d’eau (qui, par un jeu d’optique, reflète la silhouette du château pourtant déjà lointaine), les grandes Cascades et les Grottes, jusqu’à l’immense statue d’Hercule en bronze doré qui fait face au château et d’où on jouit d’un superbe point de vue sur l’ensemble du domaine.
Ensuite, préférez un créneau de visite de l’édifice vers 21h/21h30 afin d’avoir le temps de dîner (format pique-nique -on peut réserver des paniers à l’avance- ou restaurant -ceux du site sont très bien) et de visiter le musée des équipages qui rassemble une belle collection de voitures hippomobiles.
Enfin, pénétrez dans l’intimité des appartements privés 17e-18e au premier étage du château, avant de vous émerveillez devant les fastueuses pièces de réception du rez-de-chaussée, de la grande chambre carrée à la salle des Buffets, en passant par l’impressionnante chambre des Muses et son cabinet des Jeux attenant aux décors ‘grotesques’ (i.e. mélange d’éléments fantastiques et réels), le somptueux appartement du Roi (prévu pour Louis XIV qui n’y dormira jamais), et l’étonnant Grand Salon ovale, dont le volume sous la coupole qui trône à 18 mètres, les sculptures et l’opulence des décors de stuc ne peuvent que vous faire perdre la tête. Avant de sortir, gagnez le sous-sol pour découvrir l’envers du décor en explorant les cuisines et autres caves et garde-manger.
La soirée se termine par un feu d’artifice dans le jardin. Une féérie un peu courte mais magique dans ce cadre d’exception!
Quant au château de Vaux-le-Vicomte, son histoire est intrinsèquement liée au destin tragique du célèbre surintendant des Finances de Louis XIV, Nicolas Fouquet. Je vous propose maintenant de me suivre à la découverte de l’histoire et de l’architecture de ce lieu emblématique du Grand Siècle, mais aussi à la rencontre de Nicolas Fouquet, son bâtisseur et premier propriétaire, et de ceux qui lui ont succédé jusqu’à aujourd’hui.
Point biographique: Qui est Nicolas Fouquet?
Issu d’une riche famille de parlementaires ayant fait fortune dans le commerce, il connaît une ascension sociale fulgurante, à l’image de l’emblème de sa famille, l’écureuil (fouquet signifiant écureuil en ancien patois), et de sa devise «Quo non ascendet» (jusqu’où montera-t-il?). D’abord conseiller au parlement de Metz, il devient intendant de la généralité de Paris en 1648, et prouve sa fidélité à la Couronne en s’engageant à défendre le pouvoir royal contre la Fronde (1648-53), cet épisode de rébellion d’une partie de la noblesse contre le jeune roi Louis XIV, sa mère et régente Anne d’Autriche et son conseiller et premier ministre, le cardinal Mazarin.
Reconnu pour sa loyauté envers la famille royale, Nicolas Fouquet devient le protégé de Mazarin et est nommé surintendant des Finances du Royaume en 1653, à tout juste 38 ans. Chargé de renflouer les caisses, il multiplie les emprunts et les crédits auprès de créanciers parfois un peu trop gourmands. Quoi qu’il en soit, il remplit sa mission et au passage se construit une fortune considérable.
Mais il est jalousé, notamment par Jean-Baptiste Colbert (1619-83), ancien intendant de Mazarin et proche conseiller du roi, qui aimerait prendre sa place. Ce dernier va alors travailler à détruire sa réputation, et fait courir le bruit que Nicolas Fouquet détourne les fonds publics (subtilisés, en réalité par Mazarin), notamment auprès du jeune Louis XIV qui, déjà, se méfiait du pouvoir grandissant de son surintendant, trop proche des créanciers du royaume. Ensemble, le roi et son conseiller vont se décider à le faire chuter. On dit et on pense souvent que la déchéance de Nicolas Fouquet tient uniquement des conséquences de la réception qu’il a organisée pour le roi à Vaux-le-Vicomte le 17 aout 1661. Cette réception grandiose, où bals, spectacles et soupers, jeux d’eau et feux d’artifices s’enchaînent dans la démesure, a certes agacé le jeune Louis XIV âgé de 22 ans, dont l’orgueil royal a été piqué par la beauté du château et de ses jardins, comme par la débauche de faste durant cette soirée. Mais son arrestation était prévue bien en amont. Et la somptueuse réception n’a que souligné aux yeux du roi la fortune colossale de son surintendant. Une fortune alors supposée douteuse et malhonnête.
Le 5 septembre 1661, jour de l’anniversaire du roi, Fouquet est arrêté à Nantes par le capitaine des mousquetaires, d’Artagnan. Après un long procès de plus de trois ans et demi, peu équitable -les témoins favorables sont écartés et certaines preuves sont falsifiées par Colbert-, l’ex-surintendant est d’abord condamné à mort, puis à l’exil. Mais le Roi Soleil, qui se veut plus ferme, le fait envoyé à la prison de Pignerol où il meurt le 23 mars 1680.
HISTOIRE DE VAUX-LE-VICOMTE
Vaux-le-Vicomte n’existerait pas sans Nicolas Fouquet (1615-1680). Issu d’une famille fortunée (voir l’encart dédié ci-avant), et après avoir hérité de son père et de son épouse, Louise Fourché, décédée prématurément en 1640, ce dernier acquiert la seigneurie de Vaux en 1641, parfaitement située entre la capitale, Paris, et la résidence royale de Fontainebleau. C’est là qu’il veut installer son domaine, sur ces terres où se trouvent alors une forteresse médiévale et une ferme, au croisement de deux ruisseaux, l’Anqueil et la Bobée, à proximité du village de Vaux. Notez qu’à cette époque, on ne parle pas encore de Vaux-le-Vicomte. Il faudra attendre le 20e siècle pour cela. Vaux tient alors simplement son nom des deux vallons creusés ici par les deux cours d’eau (pour rappel, on dit bien: un val, des vaux).
Mais revenons au 17e siècle. Construire une résidence prestigieuse comme il en rêve coûte cher. Ainsi, au départ, Fouquet se contente de créer le parc de son futur château: l’Anqueil et la Bobée sont détournés et canalisés, les bois sont coupés et le terrain, nettoyé, est réorganisé en terrassements et perspectives.
Remarié en 1650 avec la fille d’un riche parlementaire, Madeleine de Castille, Nicolas Fouquet gravit rapidement les échelons et, proche cardinal Mazarin, premier ministre du jeune Louis XIV, il est nommé surintendant des finances du royaume en 1653. Un poste grassement payé qui lui permet aussi de gagner toute la confiance des créanciers pour emprunter. Aussi, dès lors, il décide de bâtir sur son domaine de Vaux un château digne de sa position.
Son talent va alors résider dans sa capacité à réunir pour la première fois trois des plus grands artistes de son temps autour de son projet: l’architecte Louis Le Vau -architecte de Mazarin, il sera nommé premier architecte du roi en 1654; le peintre, sculpteur et décorateur Charles Le Brun -fondateur de l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1648; et le jardinier André Le Nôtre -déjà dessinateur en charge des jardins du roi depuis 1643. Ce trio va se surpasser, et entre 1656 et 1661, grâce au travail de plus de 900 ouvriers, ils vont élever ici un château des plus somptueux et des plus innovants de l’époque, au cœur d’un magnifique parc considéré comme l’œuvre fondatrice des jardins à la française.
Les fondations sont creusées en 1553, en 1559 le gros œuvre est terminé et en 1661 le château est quasiment achevé quand Nicolas Fouquet décide d’organiser une grande journée de réception pour le jeune Louis XIV qui doit se terminer par la plus somptueuse des soirées. Un événement qui signera la fin de son pouvoir et le début de sa déchéance.
Tout va se passer le 17 août 1661. Certains travaux sont encore en cours, mais pour ce jour-là, on va démonter les échafaudages et meubler à la hâte les pièces qui restent encore vides. Car un événement de grande ampleur se prépare: le roi Louis XIV, âgé de 22 ans, accompagné de sa mère, Anne d’Autriche, de son ministre, le Cardinal Mazarin, et de la cour, est invité à une réception à Vaux. Il est déjà venu en visiteur, mais ce 17 août, l’invitation est on ne peut plus officielle.
La journée se passe sous une chaleur écrasante, et le soir venu, on se dirige vers les jardins qui s’animent: jeux et spectacles d’eau, parterres brodés des plus belles fleurs, grottes et cascades… les invités sont émerveillés! Mais la soirée ne fait que commencer. Après un souper (notre dîner) fastueux, créé et cuisiné d’une main de maître par le célèbre et talentueux chef cuisinier François Vatel, et qui se tient dans les décors somptueux du château au son des compositions de Jean-Baptiste Lully, l’assemblée se déplace de nouveau vers les jardins.
D’abord, près de ce qu’on appelle la Grille d’eau, le dramaturge et metteur en scène Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, présente une de ses dernières créations, Les Fâcheux, qui alterne scènes jouées et dansées. Le public est conquis! La soirée se poursuit près des grandes cascades d’où la perspective des jardins mène le regard vers le château, un château illuminé de milliers de bougies, tout comme les bassins et fontaines. Les invités, aussi prestigieux soient-ils, sont enchantés et ébahis… jusqu’à ce que résonne le premier coup d’un feu d’artifice gigantesque qui se reflète sur le grand Canal et qui donne à la réception un caractère encore plus féérique.
La soirée se termine alors quand Louis XIV quitte les lieux vers 2 heures du matin pour regagner Fontainebleau. Pour le saluer et lui rendre hommage une dernière fois, un second feu d’artifice est tiré depuis le lanternon qui coiffe le dôme du château.
Tout aurait pu se conclure ainsi. Mais loin d’être flatté par cet événement organisé en son honneur, le Roi Soleil va décider d’en finir avec son surintendant. On dit souvent qu’il a été jaloux du faste éblouissant de cette réception, comme de la grandeur du château et de la beauté des jardins de Nicolas Fouquet. Mais en réalité, cela fait un moment que Louis XIV est suspicieux envers lui. Il craint sa puissance grandissante et le soupçonne, entre autres, de détournement de fonds. Des soupçons fortement appuyés par son proche conseiller Jean-Baptiste Colbert qui, jaloux de la position de Fouquet, ne manque pas de le dénigrer auprès du roi, quitte à mentir. La soirée du 17 août ne fait que renforcer les inquiétudes du monarque: les immenses sommes d’argent déboursées pour cet événement surdimensionné ne sont-elles pas la preuve de la richesse malhonnête de Fouquet?
Quoi qu’il en soit, trois semaines plus tard, le 5 septembre suivant, Nicolas Fouquet est arrêté sur ordre du roi à Nantes par le capitaine des Mousquetaires, Charles de Batz de Castelmore, dit d'Artagnan. Après plus de trois années d’un procès complexe au cours duquel Colbert n’hésite pas à présenter de fausses preuves, Nicolas Fouquet est reconnu coupable le 22 décembre 1664. La sentence doit être la mort mais il sera finalement condamné à l’exil. Une condamnation qui le laisse libre hors de France, ce qui n’est pas du goût de Louis XIV qui intervient et le fait enfermé dans la prison de Pignerol, ville alors française de l’actuelle région de Turin, où il meurt le 23 mars 1680.
Dès l’arrestation de Fouquet et surtout après sa condamnation, l’ensemble des tableaux, tapisseries et statues, jusqu’aux ifs et orangers du parc, sont réquisitionnés par Louis XIV, en partie pour son nouveau domaine de Versailles pour lequel il va faire appel à Le Vau. Car au-delà du matériel, le Roi Soleil, admiratif du travail collectif réalisé à Vaux, va faire appel au trio d’artistes engagés par Fouquet -Louis Le Vau, Charles Le Brun et André Le Nôtre- pour construire son nouveau palais de Versailles, ce palais qui doit dépasser tous les autres et assoir l’absolutisme de son pouvoir.