Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance de visiter certains des espaces cachés du château de Versailles grâce à l’association des Amis de Versailles. Des pièces situées en retrait des appartements officiels des souverains, et parfois même de leurs cabinets privés, que vous pouvez explorer, vous aussi, grâce à la visite guidée intitulée «Les Lieux cachés de Versailles», disponible sur réservation sur le site du château.
Portes dérobées, passages secrets, entresols ou escaliers privés, on grimpe, on se baisse, on bifurque… et on s’émerveille surtout de pouvoir accéder à des espaces personnels et méconnus du grand public, où sont parfois nées les petites histoires qui ont bousculé la grande. Loin du faste des grands appartements, qui marquent une réelle distance entre le public et les souverains, on pénètre ici le quotidien intime des rois et reines qui ont habités Versailles, à tel point qu’on ne serait presque pas surpris d’y croiser Louis XV, Louis XVI ou Marie-Antoinette.
De l’appartement intérieur du Roi, à son petit appartement, en passant par les cabinets intérieurs de la Reine, nombreux sont les espaces qui échappent aujourd’hui au parcours de visite standard du château, comme ils échappaient aussi, bien souvent, aux visiteurs et courtisans l’époque. Il faut ainsi savoir qu’au-delà des pièces d’apparat que l’on connaît toutes et tous, se cache un deuxième Versailles plus privé, destinés au roi comme à la reine et leurs proches.
L’appartement intérieur du Roi, tout d’abord, est situé au premier étage de l’aile Nord du château, à l’arrière des salons officiels. Bâti par Louis XIV en 1682 pour accueillir ses collections privées (bijoux, médailles, œuvres d’art), cet appartement intérieur est réaménagé dès 1735 par son successeur, Louis XV. Moins adeptes de la vie publique dictée par l’étiquette, il fait créer par son architecte Ange-Jacques Gabriel de véritables espaces de vie privés où il peut lire, travailler en toute discrétion, seul ou avec ses conseillers; mais aussi recevoir une société choisie pour des parties de jeux, des moments de discussion intimes ou des soupers en petit comité. Par de simples portes ou d’étroits passages, le souverain passe ainsi rapidement des salons d’apparat, régies par le protocole, à ses pièces privatives, où il se sent plus libre.
Mais en marge de cet appartement intérieur où il reçoit ses proches, le roi s’est également réservé un petit appartement encore plus intime, dont l’existence est parfois insoupçonnée des courtisans. Une première enfilade de petits espaces sera ainsi créée en 1670 pour Louis XIV (règne 1643-1715) dans l’attique (troisième étage), au-dessus de son appartement intérieur. Détruit pour laisser place à la hauteur de la galerie des Glaces, il sera rebâti dans les combles, et accessible par un escalier semi-circulaire que nous emprunterons durant notre visite, et qui reste le seul vestige de l’époque du Roi Soleil. En effet, les aménagements que l’on peut voir aujourd’hui, du deuxième au quatrième étages, sont ceux réalisés à la demande de Louis XV (règne 1715-1774), puis de Louis XVI (règne 1774-1792) au 18e siècle.
Les cabinets intérieurs de la Reine, quant à eux, se situent aux premier et deuxième étages de l’aile sud du corps central du château, à l’arrière, là-aussi, de ses appartements officiels. On parle de cabinets et non d’appartement car on n’y trouve pas, ici, de chambre. Loin des contraintes de la vie de cour, la reine y est femme, mère et amie. Elle reçoit sa famille -Madame Elisabeth, sa pieuse belle-sœur, ses beaux-frères, les Comtes de Provence et d’Artois, ses enfants; mais aussi ses amis -la Duchesse de Polignac, la Princesse de Lamballe ou encore son ami (amant?), le Comte Axel de Fersen.
Traditionnellement, ces pièces étaient moins nombreuses chez la reine que chez le roi qui avait, lui, une chambre privée. Si Marie Leszczynska, l’épouse de Louis XV, réaménage et agrandit ses cabinets intérieurs entre 1728 et 1748, c’est surtout Marie-Antoinette qui, dès son arrivée à Versailles en 1770, va s’approprier les lieux et les redécorer. Passionnée de décoration, elle n’a de cesse de revoir et agrandir ses cabinets. Elle dépense sans compter pour les aménager à son goût, ce qui participe à sa réputation de reine dépensière. Dès son accession au trône, en 1774, elle étend ses espaces privés au deuxième étage (où se trouvaient des pièces de services).
Il faudra attendre la mort de Madame Sophie (fille de Louis XV) en 1782 pour qu’en 1784, Marie-Antoinette se fasse construire un petit appartement avec une chambre et une salle de bain, au rez-de-chaussée du château, en lieu et place des espaces de la défunte tante de Louis XVI.
En entresol, la reine fera enfin aménager, sous ses cabinets privés, des pièces de services pour son personnel, mais aussi pour accueillir la gouvernante de ses enfants (Madame de Polignac, d’abord, puis Madame de Tourzelle), puisque nous sommes en effet, ici, au-dessus des appartements du Dauphin et de la Dauphine.
Ces dernières pièces font partie de la visite dédiée aux lieux cachés que je vous propose de découvrir sans plus attendre.
À LA DÉCOUVERTE DES LIEUX CACHÉS
La visite organisée autour des lieux cachés de Versailles débute dans le vestibule de Marbre, au centre du château-vieux (le château initial de Louis XIII autour duquel Louis XIV bâtira son palais). D’ici, à gauche de la galerie Haute attenante, nous gagnons, le passage du Roi via un petit escalier. Ce passage en entresol, bâti pour lui alors qu’il n’est encore que le Dauphin de France, sera régulièrement utilisé par Louis XVI pour rejoindre l’appartement de Marie-Antoinette en toute discrétion. Il l’empruntera notamment dans la nuit du 5 au 6 octobre 1789 pour tenter de gagner la chambre de la reine alors que la foule de Parisiennes et Parisiens, arrivée à Versailles pour réclamer du pain et le retour de la famille royale à Paris, forcera les grilles du château. Ce soir-là, Louis XVI trouvera malheureusement porte close. Marie-Antoinette était en effet partie de son côté rejoindre la chambre de son époux via son passage privé situé, lui, au-dessus de celui du souverain. Le couple royal finira par se retrouver dans la chambre du Roi avec leurs enfants.
Aujourd’hui, le passage du roi est coupé en deux parties distinctes, tandis qu’à l’époque de Louis XVI, il reliait bien, de bout en bout, l’aile Nord, occupée par le roi, à l’aile sud, habitée par la reine. C’est en réalité le choix de restaurer les galeries Haute et Basse du château dans leur configuration d’époque Louis XIV, en retrouvant les volumes et hauteurs sous plafond d’alors, qui a conduit à la destruction d’appartements qui se trouvaient ici, au rez-de-chaussée du corps central du château (comme celui de Madame Sophie), et surtout à la disparition d’une partie du passage du Roi, à l’entresol.
Quoi qu’il en soit, pour commencer notre visite, nous empruntons un tronçon de ce couloir privé situé du côté de l’aile de la Reine. Nous gagnons ainsi l’appartement de Madame de Tourzelle, gouvernante des enfants de France. Après la Révolution, et sous la Restauration (1814/15-1830), ces pièces seront remises en état pour accueillir les appartements privés de la duchesse d’Angoulême, fille de Louis XVI et Marie-Antoinette. Et, bien que cette dernière ne l’occupera finalement jamais, c’est cette version que nous pouvons voir aujourd’hui.
En revenant sur nos pas, et après avoir gravi quelques marches jusqu’au premier étage, nous gagnons ensuite certaines des pièces de services ou de commodités (cabinet de la Chaise, cabinet de Toilette) situées en arrière-plan du grand appartement de la Reine et de ses cabinets intérieurs.
Nous nous trouvons ainsi d’abord juste à l’arrière de la chambre du grand appartement de Marie-Antoinette. L’émotion est grande lorsque l’on ouvre la porte cachée qui se trouve devant nous et qui nous mène à droite du lit de la souveraine. D’ici, le point de vue est inhabituel et très privé. C’est certainement celui qu’avait la souveraine lorsqu’elle se couchait. On peut ainsi observer sous un angle nouveau son lit, comme les décors et le mobilier qui composent la pièce, et notamment ce magnifique coffre à bijoux en acajou qu’elle reçoit en 1787, et que l’on admire toujours de loin sans jamais pouvoir l’approcher… excepté dans le cadre de cette visite exclusive!
Toujours à proximité de sa chambre, les pièces de service que nous traversons ensuite donnent sur les cabinets intérieurs de la Reine, comme le cabinet de la Méridienne que l’on découvre ici selon un point de vue différent des visites habituelles – notamment lorsque l’on suit la visite autour des cabinets intérieurs de Marie-Antoinette (une autre visite guidée disponible, à retrouver dans l’article dédié sur ce site).
Après avoir déambulé dans l’intimité de la reine, il est grand temps de se rendre chez le roi. Sous Louis XVI, nous aurions emprunté le passage du Roi. Mais, comme je vous l’expliquais, à la suite des restaurations des galeries Basse et Haute, nous sommes aujourd’hui contraints de regagner le rez-de-chaussée et de traverser la cour de Marbre, avant d’entrer dans l’aile du Roi. Nous empruntons alors ce qu’on appelle le degré du Roi, soit l’escalier qui conduit à son appartement intérieur, et montons jusqu’au premier étage. Après avoir traversé son appartement intérieur (antichambre des Chiens, cabinet de la Pendule, nouvelle Chambre) nous arrivons dans la salle du Conseil du Roi qui ouvre d’un côté sur sa chambre d’apparat, de l’autre sur la galerie des Glaces, et enfin, via une porte dérobée, sur les pièces intimes de son petit appartement. Notez que ces pièces privées, que nous allons découvrir maintenant, sont également accessibles directement depuis l’appartement intérieur, grâce à deux petites portes, l’une située dans la salle à manger dite «des Retours de chasse», l’autre dans la salle des Buffets.
La première pièce du petit appartement que nous rencontrons est la salle de Bain du Roi. C’est la sixième que Louis XVI possède à Versailles. On peut y observer de jolies boiseries dorées -on reste dans une pièce royale-, une cheminée pour réchauffer l’atmosphère, mais aussi les emplacements de deux baignoires, ainsi que les conduits qui devaient accueillir les robinets. Attenant à la salle de Bain, on peut apercevoir le petit cabinet de chaise de Louis XVI, soit ses toilettes privées.
Après être passés devant l’escalier semi-circulaire que nous allons bientôt monter et qui conduit aux cabinets supérieurs, nous entrons dans le cabinet Doré, dit aussi cabinet des Perruques. Louis XVI avait installé ici son cabinet de géographie où il étudiait et dessinait les cartes. Ce cabinet ouvre ensuite sur le passage des Cartes, que nous n’emprunterons pas, et dont le nom provient des nombreuses cartes qui y étaient accrochées. Un passage qui conduit directement à la salle à manger des Retours de chasse ou à la pièce des Buffets de son appartement intérieur. Notez que toutes les pièces du petit appartement donnent sur la cour des Cerfs. Reconnaissable aux têtes de cerfs en plâtre qui en décorent les murs, cette cour est parcourue de balcons qui pouvaient servir à se rendre d’une pièce à l’autre par l’extérieur, parfois de manière plus directe que par les intérieurs.
Pour ce qui nous concerne, la visite se poursuit à l’entresol du petit appartement du Roi que l’on rejoint via l’escalier semi-circulaire. Ici se trouvent d’un côté la salle des réservoirs, avec ses cuves et son système de chaufferie qui permettaient d’alimenter en eau froide et en eau chaude la salle de Bain du Roi située juste en-dessous; et de l’autre la réserve de bois.
Toujours par l’escalier semi-circulaire, nous gagnons maintenant le deuxième étage. La pièce de droite, créée pour Louis XV et qui a connu de nombreuses fonctions, est aujourd’hui présentée comme le cabinet de Chimie de Louis XVI. On y voit encore la table de marbre surmontée d’une hotte qui permettait de préparer les solutions chimiques et d’évacuer les fumées. A gauche du palier, se trouve une pièce qui fût successivement la bibliothèque de Louis XV, la garde-robe de Marie-Josèphe de Saxe puis celle de Madame du Barry, avant de devenir le cabinet du Tour de Louis XVI où il pouvait travailler (tourner) le bois ou l’ivoire.
Il faut savoir qu’à cet étage, se trouvaient à l’origine une dizaine de pièces qui complétaient le petit appartement du roi Louis XV (salles à manger, cuisines, laboratoires, salles de bain, salons de jeu…). Entre 1766 et 1767 la dauphine Marie-Josèphe de Saxe, mère du futur Louis XVI, y logera pendant les travaux de son appartement du rez-de-chaussée. Elle y mourra malheureusement avant d’avoir pu habiter son nouveau logement. Par la suite, dès 1769, et jusqu’à la mort du roi le 10 mai 1774, c’est la favorite de ce dernier, Madame du Barry, qui s’y installera. Depuis son ancienne bibliothèque, devenue la garde-robe de sa maîtresse, Louis XV pouvait ainsi rejoindre aisément l’appartement de celle-ci grâce à un passage menant directement à sa salle de Bain. Louis XVI, qui n’aura pas de maîtresse, divisera l’appartement de Madame du Barry entre son premier valet de chambre, Thierry de Ville-d’Avray, et son premier gentilhomme, le duc de Villequier.
De notre côté, la visite continue au troisième étage (les attiques) que nous gagnons, toujours, par l’escalier semi-circulaire. La première pièce située à droite du palier servait de supplément de Bibliothèque à Louis XVI. Sous Louis XV, on trouvait ici la pièce des buffets utilisée pour entreposer la vaisselle et préparer les plats servis dans la salle à manger d’été de l’appartement. Cette salle à manger sera remplacée en 1755 par une grande bibliothèque. Il n’est pas prévu d’y entrer dans le cadre de cette visite, mais j’ai eu l’occasion de la découvrir lors d’un autre de mes passages au château. Cette grande bibliothèque, qui servira aussi à louis XVI, se situe au-dessus du cabinet du conseil du Roi. Elle permettait aussi, par un petit escalier, de gagner la petite galerie de Louis XV, transformée ensuite en chambre pour Madame du Barry.
De l’autre côté du palier du troisième étage, à gauche, Louis XVI avait installé son cabinet d’artillerie. Sa collection d’armes y était présentée sur des étagères prévues spécialement. Avant lui, cette pièce servait de salle de bain à une autre grande favorite de Louis XV, Madame de Pompadour, et faisait partie intégrante de l’appartement privé qu’elle possédait à cet étage.
L’escalier semi-circulaire nous conduit enfin sous les combles, au quatrième et dernier étage. À gauche du palier, se trouvait l’atelier de menuiserie de Louis XVI, et à droite, sa forge et sa serrurerie (deux de ses passions) qui ont depuis été remplacées par le mécanisme de l’horloge de la cour de Marbre. Depuis les combles, Louis XV comme Louis XVI pouvaient accéder aux toits du château, au-dessus de la galerie des Glaces, où ils aimaient se promener.
Poursuivons notre visite. Nous revenons sur nos pas et redescendons au troisième étage. Là, via le cabinet d’artillerie de Louis XVI, nous gagnons l’arrière de l’appartement de Madame de Pompadour. Après avoir traversé sa garde-robe, nous gravissons quelques marches pour découvrir l’appartement de sa suivante et femme de chambre, Madame du Hausset. Ce très petit appartement présente du mobilier et des éléments de décors qui laissent à imaginer ce que pouvait être la vie du personnel et des dames de compagnie. On est ici marqué par la présence de deux lits. Un plus grand, disposé dans la chambre même, et un second, en alcôve. Ce dernier servait à la femme de chambre de Madame du Hausset… donc la femme de chambre de la femme de chambre.
Une fois redescendus, nous longeons l’appartement à proprement parler de Madame de Pompadour: son cabinet intérieur, son salon de compagnie, sa chambre, son antichambre… des pièces que nous ne visitons pas dans le parcours du jour, mais que j’ai pu découvrir lors d’une visite des appartements des favorites de Louis XV, toujours avec les Amis de Versailles (ma visite de l’appartement de Madame du Barry est disponible dans l’article dédié, ici).
Finalement, nous empruntons un ultime escalier qui nous conduit sur le palier de l’escalier dit de Louis-Philippe, au premier étage, à l’arrière du grand appartement du Roi, et précisément des salons de Diane, Vénus et de l’Abondance. Nous entrons dans ce dernier, gagnons le grandiose salon d’Hercule, et pénétrons dans l’ultime lieu caché de notre visite: le premier étage de la chapelle Royale.