Pour cette nouvelle visite des Carnets d’Igor, je vous donne rendez-vous au château de Versailles, une fois n’est pas coutume, dans les appartements de Madame Du Barry. Belle, audacieuse, parfois détestée et souvent controversée, elle est la dernière favorite du roi Louis XV (règne: 1715-1774). À ce titre, elle a eu le privilège de vivre dans de somptueux appartements situés juste au-dessus du Petit appartement privé du roi, au cœur même du château. Des appartements tout juste rénovés et rouverts en visite guidée depuis octobre dernier, et dans lesquels je vous propose de me suivre.
Au 18e siècle, l’appartement de Madame Du Barry est l’un des plus raffinés de Versailles. C’est également l’un des plus intimes et des plus délicats, mais aussi l’un des plus courus de la fin de règne de Louis XV. Aménagé dès 1770 par l’architecte du roi, Ange-Jacques Gabriel, pour celle qui est devenue la favorite royale en titre lors de sa présentation officielle à la cour le 22 avril 1769, cet appartement de 350 mètres carrés et de quatorze pièces est agrémenté de décors luxueux, de mobilier et d’objets d’art à la pointe de la mode pour l’époque. Des aménagements qui préfigurent déjà la fin du style rocaille ou Louis XV, et l’avènement du style néo-classique qui s’imposera avec le règne à venir de Louis XVI (règne : 1774-1793).
Dans cet article, après vous avoir d’abord présenté l’hôte des lieux, Madame Du Barry, je vous propose de vous rappeler l’histoire de l’appartement qu’elle occupera quatre années à la fin du règne de Louis XV. Je vous partagerai enfin la visite que j’en ai faite, et que je vous invite à suivre si vous en avez l’occasion.
MADAME DU BARRY, UNE FAVORITE CONTROVERSÉE
Avant de vous partager la visite de son appartement privé, revenons sur l’histoire de Madame Du Barry, une femme méconnue et souvent considérée à tort comme mal intentionnée.
Jeanne Bécu, dite aussi Mademoiselle Vaubernier, connue plus tard comme Madame Du Barry, est née le 19 août 1743 au château de Vaucouleurs, en Lorraine. C’est là que vivaient sa mère, Anne Bécu, son grand-père, Fabien Bécu (dit Bécu de Cantigny du nom de son premier mariage avec Séverine Bonne, Dame de Cantigny), qui était cuisinier de la comtesse Isabelle de Ludres, ex-maîtresse de Louis XIV et propriétaire du château de Vaucouleurs, et sa grand-mère Anne Husson, femme de chambre de la comtesse.
Sa mère, Anne Bécu, mène une vie plutôt volage. A tel point qu’on a des doutes sur l’identité exacte du père biologique de la petite Jeanne. On pense cependant que, parmi les hommes fréquentés par Anne, il s’agit de Jean-Jacques-Baptiste Gomard de Vaubernier, dit Frère Ange. Ce moine franciscain se serait rapproché intimement d’Anne Bécu alors qu’elle venait régulièrement travailler comme couturière dans son couvent. La réputation d’Anne est entachée mais en 1747, elle fait la rencontre d’un riche financier, Claude Roch Billard du Monceaux qui, séduit par sa beauté, devient son protecteur et l’emmène avec lui à Paris et lui offre un poste de cuisinière. La petite Jeanne, âgée de 4 ou 5 ans, suit sa mère à la capitale. Le 18 juillet 1749, Anne Bécu épouse un des domestiques de Billard du Monceaux, Nicolas Rançon qui sera peu après envoyé en Corse pour travailler. Anne le suit et Jeanne se retrouve en pension chez les dames de Saint-Aure, dans le couvent de la rue Neuve-Sainte-Geneviève près du Val-de-Grâce à Paris.
Après 9 ans passés au couvent, Jeanne ressort lettrée, cultivée, et initiée aux arts –danse, musique dessin– comme à l’histoire et aux sciences. Mais les conditions de vie sont strictes, et la jeune fille finit par s’échapper pour devenir modiste. A 16 ans, en 1759, elle entre au service d’Elisabeth de la Garde, veuve retirée dans son château de La Courneuve, où elle côtoie et apprend à connaître la haute société. En 1761, renvoyée de son poste (elle était trop proche du fils de la châtelaine), celle qui se fait appelée Jeanne de Vaubernier devient vendeuse dans une boutique de mode à Paris où elle est en contact avec la bonne société. Rapidement, et sa beauté n’y est pas étrangère, Jeanne devient demi-mondaine et fréquente les salons parisiens. En 1764, elle y rencontre un certain Jean-Baptiste du Barry-Cérès, dit le Roué, âgé de 40 ans, réputé pour être sans foi ni loi et pour baigner dans le proxénétisme. Il devient son amant. Finalement, à 21 ans, sous la protection de du Barry, elle devient une des prostituées le plus en vue de Paris.
En parallèle, à la Cour de France, Louis XV, traverse une période difficile. En 1768, à l’âge de 58 ans, il a déjà perdu une fille, un petit-fils, une petite-fille ; sa favorite et amie de 20 ans, la célèbre Madame de Pompadour (1721-1764) ; son gendre, puis son fils, le dauphin de France, et sa belle-fille, la dauphine ; son beau-père Stanislas Leszczynski, et son épouse, la reine Marie Leszczynska, décédée le 24 juin 1768. D’une tendance dépressive, le roi est célibataire et malheureux, et chacun va profiter de cette situation pour essayer de gagner en influence sur lui. Son ministre, le duc de Choiseul, souhaite placer sa sœur, la duchesse de Gramont, auprès de lui. Mais c’était sans compter sur un certain maréchal de Richelieu, proche de du Barry et client de Jeanne. Afin de gagner la faveur du roi, le duc de Richelieu va s’entendre avec du Barry pour proposer la belle Jeanne aux plaisirs du souverain.
Au printemps 1768, Richelieu présente jeanne, âgée de 24 ans, à Louis XV qui va vite s’éprendre de la jeune femme dont les charmes et les talents aux jeux de l’amour redonnent de la vitalité au roi vieillissant. Louis XV tombe amoureux de Jeanne dont il veut faire sa nouvelle favorite officielle. Il doit pour cela la présenter à la Cour et lui donner un titre. On convient de la marier au frère de Jean-Baptiste du Barry, Guillaume du Barry, le 1er septembre 1768. Par ce mariage blanc, Jeanne devient Madame la comtesse Du Barry. Sa réputation et son passé sont connus de la Cour de France et elle n’est pas la bienvenue. Mais moins rancunière que sa prédécesseuse, Madame de Pompadour, ni avide d’intrigues, Madame Du Barry pardonne les offenses qu’on lui fait et joue parfaitement le jeu des usages de la cour. Elle va cependant rencontrer une adversaire de taille en la dauphine et future reine de France, Marie-Antoinette. Prévenue de la situation et de la réputation de Madame Du Barry par le duc de Choiseul, qui a été l’instigateur de son mariage avec le futur Louis XVI, la jeune Autrichienne n’acceptera jamais cette favorite qu’elle juge indigne d’un roi.
Si elle ne prend pas réellement part à la politique ni aux affaires d’État, Madame Du Barry va cependant s’intéresser aux arts, comme autrefois Madame de Pompadour. Elle contribue ainsi à l’essor du style néo-classique : elle fait la promotion d’architectes comme Claude-Nicolas Ledoux ; elle commande de nombreux tableaux aux peintres Drouais, Greuze ou Fragonard ; elle collectionne les meubles et objets d’art les plus affinés… et finalement, après Madame de Pompadour qui avait initié le néo-classicisme, elle contribue l’installer durablement et à inventer le style Louis XVI. De la même façon, élégante, Madame Du Barry créera des modes, notamment celle des étoffes à rayures qui se propagera dans toutes les cours européennes.
Mais toutes les belles choses ont une fin. Après 5 ans de règne comme favorite et compagne officielle de Louis XV, elle est renvoyée de Versailles peu avant le décès du roi, le 10 mai 1774, afin d’éviter le scandale. Le nouveau roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette se garderont bien de faire revenir à Versailles celle qu’on appelle la Du Barry et qu’ils méprisent. Réfugiée à l’abbaye du Pont-aux-Dames à Couilly, près de Meaux, elle est finalement autorisée par le jeune roi à en sortir en 1775 ; et dès 1776 elle peut gagner son château de Louveciennes, offert par Louis XV en 1769 à l’époque de leurs amours.
Heureuse à Louveciennes, elle y vivra quelques histoires d’amour, notamment avec un Lord anglais, Henry Seymour. Arrive alors la Révolution de 1789. Son passé de maîtresse royale la rend suspecte. Cependant, des événements vont la pousser à quitter la France pour Londres où elle sera un temps en sécurité. En effet, dans la nuit du 10 au 11 janvier 1791, son château de Louveciennes est victime d’une effraction et ses diamants et bijoux lui sont dérobés. On en retrouve la trace en Angleterre et Madame Du Barry décide alors de quitter Paris pour tenter de les récupérer. Ses recherches seront vaines mais, ainsi réfugiée à Londres, elle s’éloigne des risques révolutionnaires. Une sécurité de courte durée puisqu’elle décide imprudemment de revenir en France après la mort de Louis XVI, le 21 janvier 1793. En effet, alors que la France est devenue une république en septembre 1792 et que les biens de la noblesse sont réquisitionnés, elle souhaite empêcher qu’on nationalise sa propriété de Louveciennes.
Malheureusement, en pleine période de Terreur, et bien qu’une pétition signée par des habitants de Louveciennes réclament sa liberté, elle est officiellement déclarée ennemie de la Révolution. On l’accuse d’espionnage à cause de ses allers-retours en Angleterre, et elle finit emprisonnée le 22 septembre à la prison de Sainte-Pélagie. Jugée devant le Tribunal révolutionnaire, face à l’accusateur public, Fouquier-Tinville, elle est condamnée à mort et guillotinée le 8 décembre 1793 place de la Révolution (actuelle place de la Concorde). Son corps sera enterré au cimetière de la Madeleine, comme ceux de Louis XVI et Marie-Antoinette. Un cimetière remplacé aujourd’hui par la Chapelle Expiatoire, bâtie en hommage au couple royal entre 1815 et 1826 par les frères de Louis XVI, Louis XVIII et Charles X, qui monteront sur le trône de France pendant la période dite de Restauration (1814/15-1830).
Maintenant que vous en savez plus sur la dernière favorite de Louis XV, qui n’est autre, aussi que la dernière favorite royale de Versailles puisque Louis XVI restera fidèle à son épouse Marie-Antoinette, je vous propose de vous en dire plus sur l’histoire de son appartement aujourd’hui rénové en l’état qu’il avait lorsqu’elle y résidait.
L’APPARTEMENT DE MADAME DU BARRY: À FAVORITE EXCEPTIONNELLE, LIEU D’EXCEPTION
Avant d’être attribué à Madame Du Barry et réaménagé selon sa volonté, l’appartement situé au deuxième étage du château, au-dessus du Petit appartement du Roi, connaît plusieurs locataires des plus prestigieux.
Tout d’abord, il faut rappeler que les rois de France, et en particulier sous Louis XV et Louis XVI, vont se créer des espaces privés et intimes en arrière-plan des appartements dit d’apparat où se joue leur vie publique.
En effet, de Versailles on connaît bien souvent et uniquement les grands appartements royaux du château, ce palais grandiose construit par Louis XIV (règne 1643-1715) à partir de 1661 autour du modeste pavillon de chasse que son père, Louis XIII (règne 1610-1643), avait acquis en 1632. Comme vous le savez sûrement, une fois agrandi et transformé pour assoir la puissance et la grandeur du monarque absolu, le palais de Versailles devient, en mai 1682, le lieu de résidence principal de la Cour de France, jusque-là itinérante.
Dans son château, le Roi Soleil organise ainsi la vie de cour autour de sa personne, et l’Étiquette impose alors un ensemble de règles qui régissent la vie de la famille royale, de la Cour et de ceux qui l’entourent (le personnel, les invités, les courtisans). Le roi lui-même y est contraint, effaçant les lignes entre sa vie publique et sa vie privée qui se joue d’ailleurs souvent… en public ! Car par tradition, et contrairement aux autres cours européennes, la monarchie française se doit d’être accessible à tous ses sujets. Aussi, le roi se doit-il de se montrer et d’informer tout un chacun de ses activités : repas publics, quotidien rythmé avec précision -lever, loisirs, coucher…, en dehors de quelques heures dites « rompues » où il peut jouir d’un peu d’intimité, le monarque mène une vie d’apparat de tous les instants.
Ainsi, le Roi Soleil, dans une moindre mesure, mais surtout ses successeurs, Louis XV, Louis XVI et Marie-Antoinette, vont-ils tenter d’échapper de plus en plus régulièrement à cette vie publique ininterrompue. Pour cela, ils vont se bâtir des espaces privés et intimes comme le Petit Appartement du Roi, en retrait des Grands Appartements du château, le Grand puis le Petit Trianon, à quelques kilomètres du palais, ou encore, plus tard, le Hameau de la Reine où Marie-Antoinette mènera une vie plus simple et sans protocole.
Revenons plus précisément à l’appartement intérieur du Roi. À l’origine, il est créé par Louis XIV pour exposer ses collections d’œuvres d’art et de bijoux. Au retour de la cour en 1722, Louis XV va procéder à des réaménagements du château, et dès 1735, il va décider de transformer et d’agrandir l’appartement-musée de son arrière-grand-père pour en faire un petit appartement privé au décor raffiné et intime. Louis XV comme son petit-fils et successeur Louis XVI y inviteront leurs conseillers pour travailler en toute discrétion ; ils y recevront aussi une société choisie pour des parties de jeux, des moments de discussion intimes ou des repas en petit comité comme le souper dit au « petit couvert » qui n’accueillait que les proches et les intimes par opposition au souper au « Grand Couvert » qui imposait à la famille royale de manger en public dans l’antichambre du Grand Appartement du Roi.
Le Petit appartement du Roi est situé au premier étage du château, dans l’aile Nord réservée au souverain (l’aile Sud ou du Midi étant réservée à la reine et aux enfants de France). Il se trouve autour de la cour des Cerfs (une cour intérieure décorée de têtes de cerfs sculptés), à l’arrière et en parallèle du Grand Appartement du Roi qui donne, lui, sur les jardins et les extérieurs du château. Ainsi, par de simples portes ou d’étroit passages dédiés, le souverain pouvait passer rapidement des pièces d’apparat à ses espaces privées.
Pour accéder à son Petit appartement, le roi peut aussi directement passer par un escalier qui lui est réservé, un escalier appelé le petit degré du roi et qui est accessible par une entrée privée donnant sur la cour Royale.
Rapidement, au-dessus de son appartement intérieur, au deuxième étage et dans l’attique (les combles si vous préférez), Louis XV va créer de nouveaux espaces encore plus privés pour lire, cuisiner, pratiquer les sciences dont il est féru, ou profiter de moments de loisirs (il aime tourner le bois ou l’ivoire par exemple). Ces nouvelles pièces sont accessibles par différents escaliers cachés, dont le petit degré du Roi, bien sûr. On y trouve une salle à Manger, un cabinet des Jeux, mais aussi une galerie, la galerie des Chasses Exotiques qui n’existe plus et qui exposait, de 1735 à 1766, huit toiles représentant des Chasses en pays étranger. Notez que ces peintures sont exceptionnellement présentées dans la très belle exposition «Louis XV, passions d’un roi» qui se tient au château de Versailles du 18 octobre 2022 au 19 février 2023.
A la mort de son fils, le Dauphin Louis de France (1729-1765), le 20 décembre 1765, Louis XV attribue une partie des cabinets du deuxième étage à sa belle-fille, Marie-Josèphe de Saxe, la mère du futur Louis XVI, dont l’appartement est en travaux. Malheureusement, elle mourra le 13 mars 1767 et le roi réintègrera alors ses cabinets privés jusqu’en 1770, date à laquelle il décide d’y installer sa nouvelle favorite, Madame Du Barry.
Le style de l’appartement est démodé quand elle s’y installe. Il n’a quasiment pas été refait depuis 1735. Avant-gardiste, elle va choisir de créer des aménagements néo-classiques. Et si les moulures et boiseries conservent un style rocaille, le mobilier et les objets sont clairement empreint de néo-classicisme. D’ailleurs, il faut savoir que si Madame Du Barry est logée par le roi, elle n’a cependant pas accès aux collections du Garde-Meuble de la Couronne. Contrainte d’acheter elle-même son mobilier et ses objets de décoration, elle n’a pas l’obligation de suivre le style royal un peu daté. Elle fait alors appel aux fournisseurs les plus innovants et créatifs de son temps, créant un des appartements les plus à la mode et donc les plus courus de Versailles.
Le logement est scindé en deux parties. D’un côté, les pièces de réception qui donnent sur la cour de Marbre et qui présentent des décors blancs et or. Elles étaient accessibles aux invités privilégiés de la comtesse via une entrée aujourd’hui disparue. De l’autre côté, on trouve des pièces plus privées qui donnent sur la cour des Cerfs et dont les décors polychromes sont typiques du raffinement du 18e siècle. Elles sont accessibles par deux escaliers réservés au roi qui pouvaient ainsi rejoindre son amante depuis son Petit appartement, soit via son petit degré depuis l’antichambre des Chiens, soit via un escalier dérobé depuis sa bibliothèque privée. A l’arrière des pièces du logement, on trouve plusieurs pièces de service pour le personnel ou les commodités.
Confiés à l’architecte du roi Ange-Jacques Gabriel, les travaux mobilisent une vingtaine d’ouvriers, afin que la nouvelle favorite puisse s’y installer dès la fin de l’année 1770. L’ensemble sera agrandi en 1772, notamment avec la création d’une salle dédiée aux bains. Ces aménagements laissent cependant en suspend ceux des logements de certains membres de la famille royale qui vont encore plus haïr cette Du Barry qu’ils n’appréciaient déjà pas, et à laquelle le roi ne refuse aucun caprice.
Car Madame Du Barry est exigeante et elle n’hésite pas à user de son ascendant sur Louis XV pour obtenir des faveurs jusque-là inaccessibles à une personne de son rang. En effet, dans la première partie de son appartement dédiée aux pièces de réception, les décors blancs et or qu’elle fait réaliser sont habituellement réservés au roi, à sa famille et aux princes de sang. On dira même que les boiseries sont plus dorées chez la Du Barry que chez le roi lui-même! On raconte aussi qu’à l’époque, il y avait tellement de meubles et d’objets précieux qu’on pouvait à peine le traverser.
En mai 1774, lorsque Madame Du Barry est forcée de quitter la cour quelques jours avant que Louis XV ne s’éteigne, l’appartement est récupéré par le nouveau roi Louis XVI qui le réserve à son premier valet de chambre et à deux de ses plus proches conseillers. Et comme pour montrer qu’il n’est pas frivole et qu’il entend ne jamais prendre de maîtresse, Louis XVI fait installer une barrière sur le palier du premier étage du petit degré du Roi, frontière symbolique marquant sa volonté de rester fidèle à la reine Marie-Antoinette.
A la Révolution, cet appartement est l’un des seuls à ne pas subir de destructions. En effet, il sera toujours habité, notamment par le bibliothécaire ou des administrateurs du château. C’est pourquoi on peut encore y observer des fleurs de lys sculptées ou des doubles « L », le chiffre du roi Louis XV, qui sont d’origine.
Après le Premier Empire de Napoléon 1er (1804-1814), des travaux de rénovation sont lancés alors qu’il est envisagé de réinstaller la cour de France à Versailles lors de la période dite de la Restauration qui voit revenir sur le trône deux rois, les frères de Louis XVI, Louis XVIII (de 1814/15 à 1824) et Charles X (de 1824 à 1830).
Sous la Monarchie de Juillet (1830-1848) qui met au pouvoir le roi des Français Louis-Philippe d’Orléans, petit-cousin de l’ancien roi Louis XVI, de grands travaux sont menés au château de Versailles pour en faire un musée dédié « à toutes les gloires de la France » et à son Histoire. De nombreux appartements de cour sont alors détruits, mais celui de Madame Du Barry est préservé par l’architecte Frédéric Nepveu qui décide de le rénover sans le transformer.
Après le Second Empire de Napoléon III (1852-1870), le gouvernement de la IIIe République, confronté en mars 1871 aux partisans de la Commune de Paris, s’exile à Versailles où il installe des logements et des bureaux, n’hésitant pas à remanier certains espaces comme ceux de l’appartement de Madame Du Barry. Cependant, la presse, notamment à travers la voix de l’attaché de conservation du château de l’époque, Pierre de Nolhac (qui deviendra ensuite le conservateur du domaine de Versailles), se fait le relais de nombreuses critiques face à ces transformations. Le château de Versailles redevient alors un musée dès les années 1891, et des travaux de nettoyages sont engagés. On procède alors au premier chantier de restauration de l’appartement de Madame Du Barry depuis le 18e siècle.
Pendant la Seconde Guerre Mondiale, le château est fermé, des pièces sont murées, les décors sont ôtés et, comme les œuvres d’art et les objets, ils sont cachés loin de Versailles, dans les sous-sols de châteaux de la zone libre (Chambord par exemple). L’occupant Allemand s’en plaint et demande qu’on restaure les lieux. L’architecte en chef d’alors à Versailles, André Japy, a la charge de la restauration dès 1943. Il s’attaque ainsi à l’appartement de Madame Du Barry dont les travaux de rénovation, après des recherches minutieuses, débutent à l’été 1944, et lui redonnent son volume de 1770 et ses principaux éléments de décors (parquets, lambris et moulures, peintures et couleurs…). Il faudra ensuite attendre février 2021 pour qu’une nouvelle période de restauration s’ouvre et offre de nouveau aux visiteurs la possibilité de découvrir un appartement au plus près de celui où a vécu, dans un faste intimiste, la célèbre favorite royale.
Je vous propose maintenant de découvrir les différentes pièces qui compose l’appartement de Madame Du Barry. Un appartement présenté dans son état de 1772, lorsque la favorite l’habitait encore, et qui propose par la richesse de ses décors une histoire du goût du 18e siècle, du style rocaille au style néo-classique.
À LA DÉCOUVERTE DE L’APPARTEMENT DE MADAME DU BARRY
La visite commence dans l’antichambre des Chiens du Petit appartement de Louis XV, au premier étage. Comme lui quand il rendait visite à sa favorite, nous allons a emprunter le petit degré du Roi pour atteindre l’étage supérieur. Pour se faire, nous passons la barrière installée par Louis XVI et dont je vous ai parlée.
Nous entrons alors directement dans la salle à Manger de l’appartement qui donne sur la cour des Cerfs. Il faut savoir qu’à l’époque de Madame Du Barry, lorsqu’ils arrivaient, les invités utilisaient plutôt la deuxième porte sur le palier qui ouvre, elle, sur une antichambre. Dès les premiers pas dans la salle à Manger on est subjugué par les décors. C’est ici que l’on trouve des fleurs de lys datant de l’époque Louis XV. Par ailleurs, chose surprenante pour nous, mais comme cela se faisait au 18e siècle, les parquets sont teintés en jaune et non simplement vernis. On remarque aussi la couleur des moulures qui se détachent sur les murs blancs. Ces boiseries sculptées sont réalisées dans les tons de vert avec ce qu’on appelle un vernis Martin.
Point anecdote : Qu’est-ce que le vernis Martin ?
Le vernis Martin est une technique de vernissage créée par les frères Martin. Installés à Paris, ils ont en effet mis au point en 1728 une laque à base de copal. Cette laque, appelée rapidement le vernis Martin, permettait de concurrencer les laques originaires de Chine et du Japon, beaucoup plus coûteuses.
Dans cette salle à Manger, Louis XV et sa favorite reçoivent des intimes. Comme je le disais précédemment, l’appartement est divisé en deux parties. L’une avec les pièces de réception donnant sur la cour de Marbre, l’autre avec les pièces plus privées donnant sur la cour des Cerfs. Ici, nous sommes donc dans la partie plus intime de l’appartement. En 1738, cette pièce servait déjà de salle à manger d’hiver pour Louis XV. Elle deviendra ensuite une antichambre, en 1751, avant de devenir la salle de bain du Roi en 1763, puis la chambre de la Dauphine Marie-Joseph de saxe qui y mourut le 13 mars 1767, et enfin de nouveau une salle à Manger pour Madame Du Barry.
Depuis cette salle à Manger, une porte s’ouvre, à droite, sur une antichambre ou pièce des Buffets où l’on préparait le service pendant les diners et où l’on rangeait ensuite la vaisselle. Peinte dans des tons beige réhaussés, au niveau des moulures, d’un rose bonbon, cette petite salle présente des pièces de services en porcelaine de Sèvres exposées dans les placards. On peut aussi y observer une jolie commode peinte dans les mêmes tonalités que l’ensemble de l’antichambre, et de jolies chaises à motifs floraux.